Entre récits mémoriels, labels et sensibilisation de la jeunesse, le Royaume du Maroc dynamise sa stratégie de sauvegarde et de protection de son patrimoine culturel immatériel

La nouvelle stratégie du Maroc face aux risques d’usurpation de son patrimoine culturel immatériel

FLICKR - Maxim Massalitin. Fantasia lors du Moussem de Tan-Tan, Maroc

Le weekend dernier, le Maroc a célébré la Fête du Trône, qui marque le vingt-quatrième anniversaire de l’accession au trône du roi Mohammed VI. À cette occasion, le Roi s’est adressé à la nation à travers un discours qui a mis en lumière les réalisations passées, les défis actuels et les objectifs futurs du pays, comme son identité plurielle et la richesse de son patrimoine culturel matériel et immatériel. 

Au cours des deux dernières décennies, le Maroc a accordé une importance grandissante à son patrimoine culturel immatériel qui se caractérise par un large éventail de pratiques, représentations, expressions, connaissances et savoir-faire. Les autorités marocaines ont ainsi redoublé d’efforts pour en préserver les expressions, les manifestations et les témoignages. 

Depuis l’entrée en vigueur de la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel en 2006, le Royaume du Maroc a ratifié toutes les conventions de l’UNESCO relatives au patrimoine. En 2008, Rabat a dressé un inventaire des trésors culturels immatériels du pays afin de les inscrire sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériels de l’humanité. Le Moussem de Tan-Tan, une fantasia et foire annuelle réunissant plus d’une trentaine de tribus nomades du Sahara, a été le premier à s’inscrire sur cette liste, qui comprend aujourd’hui une douzaine de biens culturels.  

PHOTO/Jafri Ali - Jafri Ali, Tajines dans une boutique de poterie au Maroc

Si la dernière tradition à avoir figuré sur la liste est la Tbourida (2021), une représentation équestre apparue au XVIe siècle, le Maroc continue de proposer des éléments à inscrire sur cette liste comme les arts, savoirs et pratiques liés à la gravure sur métaux (or, argent et cuivre) ou encore le Al-Malhoun, un art poétique musical folklorique. 

En outre, le Maroc multiplie ces dernières années les festivals et événements visant à faire la promotion de son patrimoine immatériel comme le Festival National du Folklore de Marrakech, le festival des cerises de Sefrou, la Saison de Tan-Tan ou encore la Saison d'Imilchil. 

Face à l’engagement et aux efforts internationaux remarquables de l’État marocain, l’UNESCO a choisi la ville de Rabat pour abriter la 17e session de son Comité intergouvernemental de sauvegarde du patrimoine culturel immatériel. Tenue entre les 28 novembre et 3 décembre de l’année dernière, cette réunion avait pour objectif d’analyser plus de 50 candidats à la liste de sauvegarde de l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (Unesco). La directrice générale de l'Unesco, Audrey Azoulay, a souligné lors d’une conférence de presse l'importance du patrimoine immatériel lié à la relation entre l'homme et la nature, et l'enjeu de la préservation de l'environnement. 

La stratégie de Rabat 

Plusieurs professeurs et experts estiment que le patrimoine immatériel est une question d’urgence et de nécessité. Ahmed Skonti, anthropologue et professeur à l’Institut national d’archéologie et du patrimoine de Rabat souligne que « protéger les nombreuses richesses culturelles immatérielles, très fragiles et menacées de disparition est un défi pour l'avenir ». « Il est très facile de conserver un objet, un site ou un paramètre plus qu'il n'est requis avec un artisanat, une coutume, une danse ou une chanson », déclare-t-il. En effet, malgré une prise de conscience grandissante de la valeur du patrimoine immatériel, de nombreux défis restent à relever, notamment en termes d’inventaire, d’organisation et de coordination entre les différents acteurs de terrain.

Pour préserver l’identité du Royaume et protéger son patrimoine culturel contre toute usurpation, le ministère de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication a lancé en 2022 le projet Morocco Heritage Label, visant à élaborer des signes distinctifs pour ces éléments du patrimoine immatériel. Son ministre, Mohamed Mehdi Bensaid, a souligné l’importance de ces initiatives dans le cadre de la préservation du patrimoine national, en accord avec les directives de l’UNESCO. 

Selon les experts, le patrimoine immatériel marocain a besoin d’une stratégie nationale dédiée qui associe tout un ensemble d’acteurs allant des décideurs politiques aux acteurs économiques, jusqu’à la société civile et la population afin de le protéger de l’extinction.  

Mettre l’accent sur la mémoire et la sensibilisation de la jeunesse 

La mémoire revêt une importance capitale dans la préservation du patrimoine culturel immatériel. Récemment, l’Association marocaine pour la recherche historique a publié un ouvrage collectif intitulé « Histoire et identité : écriture historique entre archives et mémoire et la question du pluralisme ». Grâce à la contribution de 44 chercheurs, ce livre réunit des articles rédigés en trois langues, riches de commentaires, d'images et de documents historiques où « l'histoire interagit avec les archives, la littérature, le journalisme ». 

PHOTO/Houssain Tork - La Tbourida, dérivée de Baroud qui signifie « poudre à canon », est un art équestre ancien, datant du 15ème siècle. Elle est la reconstitution d’un assaut militaire de guerriers cavaliers arabes et berbères

Outre l’initiative mémorielle, l’UNESCO et la Fondation pour la sauvegarde du patrimoine culturel de Rabat ont signé un accord quinquennal pour développer ensemble des actions de protection du patrimoine mondial et du patrimoine culturel immatériel au Maroc et sur l’ensemble du continent africain. Signé le 24 janvier 2023, cet accord marque le début d’une collaboration stratégique et opérationnelle de long terme. 

En mars 2023, l’Association de préservation et de promotion du patrimoine marocain a organisé à Rabat un colloque portant sur « La citoyenneté et le patrimoine culturel marocain », dont l’objectif principal vise à sensibiliser la jeunesse. Selon le journal 360, le ministre Mohamed Mehdi Bensaid a exprimé son « ferme soutien » à cette jeune association dont les futures actions de vulgarisation, promotion et protection du patrimoine s’élargiront à toutes les composantes de la culture et à l’ensemble des couches de la société, particulièrement les jeunes. 

Dans son discours, le ministre de la Jeunesse, de la culture et de la communication a insisté sur deux points : la création du musée du Patrimoine immatériel culturel, dont l’ouverture est prévue prochainement et la nécessité d’instaurer et de développer les sciences qui s’intéressent à la préservation du patrimoine culturel national. 

Certains biens culturels font l’objet de propositions conjointes avec d’autres pays maghrébins, notamment l’Algérie. Si Alger et Rabat avaient réussi à mettre leurs différences de côtés en 2020 lorsqu’ils ont porté ensemble une candidature pour le dossier « Savoirs, savoir-faire et pratiques liés à la production et consommation du Couscous », les tensions autour de traditions communes persistent. 

Attisé par la prolifération de contenus en ligne remettant en cause l’authenticité de certaines traditions (notamment sur la plateforme X), le patrimoine culturel est un autre domaine conflictuel de la relation algéro-marocaine. Début juillet, le Maroc a accusé son voisin algérien de s’approprier le caftan marocain. Selon le journal Hespress, l’image présentée dans le dossier déposé par l’Algérie auprès de l’UNESCO, disponible sur le site officiel de l’organisation, est en réalité une image correspondant au caftan marocain. Le ministère aurait ainsi contacté, mercredi 5 juillet, la délégation du Maroc auprès de l’UNESCO pour leur demander d’intervenir dans le sujet et de prendre les mesures nécessaires. Il convient néanmoins de noter que, mise à part la photo du caftan marocain, Rabat ne s’oppose à aucun autre élément du dossier déposé par l’Algérie.    

Le Maroc, considéré comme une terre de métissage culturel et ethnique et le creuset des civilisations anciennes, cherche ainsi à accroître son rayonnement culturel, en adoptant une stratégie active de sauvegarde et de protection de son patrimoine culturel immatériel.