L'Agence internationale de l'énergie (AIEA) recommande à la Commission européenne d'adopter des mesures visant à réduire la consommation d'énergie de plus de 13 %

L'Europe face à la crise énergétique : flambée des prix "jusqu'en 2023"

AP/SERGEY SUPINSKY - Un homme tient une bannière représentant le président russe Vladimir Poutine et la chancelière allemande Angela Merkel souriant, ainsi que le gazoduc Nord Stream 2, lors d'une manifestation devant l'ambassade d'Allemagne à Kiev

Les prix du gaz naturel ont atteint un niveau record au troisième trimestre de l'année. La situation est critique. Loin de s'atténuer, la hausse des prix est constante en raison des pénuries provoquées par les coupures d'approvisionnement du Kremlin. Le gaz comme moyen de pression : c'est ainsi que Moscou a profité de la dépendance énergétique de l'Europe pour serrer la vis au sein de l'UE-27. Il y a des fissures. Au moins 40 % du gaz consommé par les États membres en 2021 provenait de Russie. Bruxelles accélère maintenant le processus de déconnexion de l'énergie pour réduire ce pourcentage. 

Le gaz russe, cependant, continue d'arriver au compte-gouttes. Il arrive via la Slovaquie, la mer Noire, la Turquie et la Bulgarie. Jusqu'à il y a quelques semaines, elle passait également par la mer Baltique, avant que les pipelines Nord Stream 1 et 2 ne soient sabotés, ce qui a entraîné une escalade des tensions dans la région. Environ 80 % de l'approvisionnement arrive même via les pipelines Yamal-Europe, Brotherhood ou Soyuz, qui passent par l'Ukraine. Jusqu'à présent, ils n'ont pas cessé malgré la guerre et les menaces de Gazprom sur Naftogaz, la société énergétique publique ukrainienne. Mais il est probable que cela se produise dans les semaines à venir.

L'Allemagne, première économie de la zone euro, est sous l'emprise du gaz russe. Son industrie dépend d'un approvisionnement au rythme habituel, un besoin qui n'est bien sûr pas satisfait dans ce contexte. A Berlin, comme on peut le constater, un climat de nervosité s'est installé qui paralyse l'exécutif. L'inflation est galopante. En effet, elle est la plus élevée depuis 70 ans et a dépassé les 10 % en septembre, selon les données d'Eurostat. Seule la Belgique affiche des chiffres plus mauvais dans l'UE. Les craintes d'une récession plus que probable restent à l'ordre du jour. 

Le chancelier allemand Olaf Scholz semble avoir pris l'initiative après des semaines d'inaction avec l'annonce du plan anti-crise. Le gouvernement tripartite, qui est au plus bas depuis qu'il a succédé à l'ancienne chancelière Angela Merkel il y a un an, fera adopter un fonds de consommation de 200 milliards d'euros pour compenser le niveau exorbitant des dépenses énergétiques. Environ 5 % de son PIB. Les autres États membres proposent des mesures similaires pour faire face à la tempête.

La Commission européenne a également pris des mesures. Les décisions relatives à l'extension du stockage, aux économies d'énergie et à la recherche de nouveaux partenaires d'exportation se distinguent. L'exécutif européen a trouvé des solutions, même s'il reste une crise à résoudre. Avec des réservoirs de stockage remplis à plus de 80 % en octobre, des politiques de réduction de la consommation en place et de nouvelles alliances énergétiques avec des pays comme la Norvège, le Qatar et l'Azerbaïdjan - bien que ce dernier ait été sévèrement critiqué pour les crimes de guerre commis par son armée contre des soldats arméniens - l'UE a repris son souffle. Mais ce n'est pas suffisant. 

La Commission d'Ursula von der Leyen a proposé début septembre de plafonner les prix du gaz russe. Toutefois, plusieurs États membres ont émis des réserves quant aux éventuelles représailles du Kremlin. Bruxelles a alors demandé que la mesure soit interprétée de la même manière que les autres sanctions imposées à la Russie depuis le début de l'invasion de l'Ukraine, mais le débat a commencé à s'estomper. Jusqu'à jeudi dernier, lorsque le commissaire à l'énergie Kadri Simson a ressuscité une proposition qui semble reprendre forme.

Dans ce scénario d'instabilité, la publication du dernier rapport trimestriel de l'Agence internationale de l'énergie (AIE) a gagné en importance. L'agence, créée par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), recommande à l'Union européenne de réduire sa consommation d'énergie de 9 % afin de survivre à l'hiver prochain avec une certaine marge. Une réduction, donc, d'environ 13%. 

Keisuke Sadamori, directeur des marchés de l'énergie et de la sécurité, prévoit que les marchés resteront sous tension "jusqu'en 2023". Les experts prévoient donc que les prix continueront à s'envoler dans les mois à venir. Une baisse à moyen terme est exclue. 

"Les importations européennes de gaz naturel liquéfié (GNL) devraient augmenter de plus de 60 milliards de mètres cubes (mmc) cette année, soit plus du double des ajouts de capacité d'exportation de GNL dans le monde, ce qui maintiendra le commerce international de GNL sous forte pression à court et moyen terme", prévoit l'AIE. Cependant, la consommation diminuerait de 0,8 % en 2022, avec une contraction record en Europe, selon les prévisions de l'agence.

Le rapport de l'AIE contient une analyse de la résilience du marché énergétique de l'UE dans un scénario de coupures totales de l'approvisionnement à partir du 1er novembre. Les conclusions des experts sont claires : le stockage serait réduit à 20% si, comme c'est le cas, Bruxelles est capable de stocker un niveau élevé d'approvisionnement (80%). Toutefois, si le stockage devait être réduit, les stocks de gaz européens tomberaient à 5 % après l'hiver. Cela n'atténuerait pas la demande actuelle. 

"Une chute du stockage à ces niveaux augmenterait le risque de rupture d'approvisionnement en cas de vague de froid tardive", affirme le rapport. "Pour maintenir les niveaux de stockage de gaz au-dessus de 25 % en cas de baisse de l'afflux de GNL, une réduction de la demande de gaz de l'UE pendant la période hivernale de 9 % par rapport au niveau moyen des cinq dernières années serait nécessaire." "Les mesures d'économie de gaz seront donc cruciales pour minimiser les retraits de stockage et maintenir les stocks à des niveaux adéquats jusqu'à la fin de la saison de chauffage", conclut l'agence.