Afrique et France : l'interview très critiquée de Macron qui a fait tant de bruit en Algérie
Le 20 novembre, une interview exclusive du président Emmanuel Macron a été publiée dans le journal Jeune Afrique, qui a reçu une réponse sévère de la part de certains pays africains, notamment de l'Algérie. Dans cette interview, le président français parle des relations franco-africaines, en approfondissant plusieurs sujets d'actualité, comme la négociation avec les djihadistes au Mali, la crise en Algérie ou les élections en Côte d'Ivoire.
Le début de l'interview est consacré aux relations franco-africaines, dans lesquelles le président Macron a mis en avant plusieurs aspects de la refondation des relations, parmi lesquels la restitution du patrimoine africain, la fin du franc CFA ou encore les bonnes relations économiques et avec la communauté des expatriés. Outre ces mesures concrètes sur lesquelles le président Macron a fondé ce changement théorique et cette régénération de la relation entre la France et l'Afrique, ce qui a été le plus frappant dans son discours, c'est le fait qu'il a dit que "les destins de l'Afrique et de la France étaient unis", et que "la relation entre le pays et le continent doit être celle d'une histoire d'amour". Bien qu'il reconnaisse que le passé colonial a marqué les relations jusqu'à ce point, il considère qu'"il ne faut pas être prisonnier du passé". Cette histoire coloniale, selon lui, a été marquée par le métissage, les mariages mixtes et le métissage en général, contrairement aux autres puissances coloniales, qui ne se sont jamais mélangées. Au cours de l'interview, Macron accuse la Russie et la Turquie de jouer sur le ressentiment post-colonial des Africains pour accroître le sentiment anti-français qui s'est développé ces derniers mois. Une des raisons de cette augmentation est l'interview dans laquelle Macron a commenté les caricatures de Mahomet pour lesquelles le professeur Samuel Paty a été tué. Interrogé sur cette question, Macron a été attristé par la mauvaise interprétation de ses propos, et c'est pourquoi il ne s'excuse pas de soutenir la liberté d'expression. Ce qu'il voulait défendre, c'était le droit de pouvoir caricaturer et blasphémer sur le sol français, et non de défendre ces caricatures elles-mêmes. Il a déclaré qu'il "n'attaque pas l'Islam mais le terrorisme islamiste".
Dans une deuxième partie de l'interview, l'auteur a parlé de l'opération Barkhane, des négociations avec les terroristes et du récent coup d'État au Mali. Le président français a poursuivi sa ligne habituelle, affirmant que si Barkhane se trouve au Sahel, c'est parce que le G5 Sahel lui a expressément demandé et a donné la priorité à la stratégie militaire pour mettre fin aux terroristes. Macron a souligné le fait que le gouvernement formé après le coup d'État d'août dernier est une transition militaire et non démocratique, mais que cette transition reste engagée dans la lutte efficace contre le terrorisme. Il n'a cependant pas mentionné le manque d'harmonie avec le gouvernement de transition malien qui envisage de possibles négociations avec les dirigeants du groupe djihadiste JNIM, Amadou Koufa et Iyad Ag Ghali. Macron a simplement souligné qu'aucune autre stratégie que la stratégie militaire ne devrait être utilisée pour éliminer les djihadistes, comme le montrent, selon lui, les opérations militaires anti-terroristes réussies de ce dernier mois.
Troisièmement, Macron a été interrogé sur la question algérienne. Ses réponses ont été profondément critiquées par les dirigeants de l'opposition. Il a commencé par annoncer qu'il ferait "tout son possible" pour aider le président algérien, hospitalisé en Allemagne pour un coronavirus, à "réussir la transition en Algérie". Macron a également demandé au peuple algérien de faire preuve de patience, expliquant que "les institutions ne sont pas changées en quelques mois. Compte tenu de la délicatesse de la transition, avec un président gravement hospitalisé, et des protestations populaires selon lesquelles la transition n'a pas eu lieu alors que Bouteflika n'est plus au pouvoir, ces déclarations de Macron ont été considérées comme paternalistes et l'opposition algérienne a accusé le président français de s'ingérer dans les affaires algériennes. Le parti d'opposition laïque, le RCD, condamne ces déclarations, expliquant que "Macron se croit autorisé à distribuer des certificats de légitimité aux dirigeants des peuples indigènes que nous sommes". Un des leaders du mouvement Hirak, Tebbou, dans le quotidien algérien El Watan, accuse la France d'être "raciste" et de "ne pas accepter que des forces démocratiques et une jeunesse émancipée puissent émerger en Algérie".
Une autre des déclarations du président Macron qui a heurté la sensibilité de la communauté algérienne a été son commentaire sur la guerre en Algérie. Selon le président français, "il ne s'agit pas de s'excuser mais de faire un travail historique et de réconcilier les mémoires". Macron souligne le travail d'historiens tels que Benjamin Stora pour clarifier les faits. Toutefois, ces déclarations sont très différentes de celles qu'il a faites en tant que candidat à la présidence en février 2017 lors de sa visite à Alger. Il a qualifié la colonisation de "crime contre l'humanité", ajoutant que "la France doit faire face à son passé en s'excusant auprès de ceux contre qui les actes ont été commis". Ce changement d'avis a provoqué la confusion dans la communauté algérienne, qui a estimé que le président Macron avait clairement indiqué qu'il s'agissait bien d'excuses. L'interview se poursuit par des commentaires sur d'autres questions d'actualité africaine telles que les élections en Côte d'Ivoire et en Guinée, qui ont également suscité des réactions dans les deux communautés à l'évaluation des deux processus démocratiques par le président Macron. En tout cas, ce que la controverse suscitée par cette interview montre, c'est que sur la question algérienne et sur la colonisation africaine en général, il y a encore beaucoup de chemin à parcourir. Malgré le fait qu'il répète deux fois que la France ne veut pas donner de leçons, l'opinion du président sur les différents sujets qu'il provoque est cataloguée comme une ingérence, ou simplement inutile. Ces mêmes vues d'un autre président européen ou de Macron sur une autre région du monde n'auraient pas eu le même impact.