Etranges décisions de la justice algérienne
Au moment même où des petits commerçants sont condamnés à de lourdes peines allant de 7 à 10 ans de prison pour avoir emmagasiné quelques sacs de semoule et bidons d’huile pour la fabrication de gâteaux traditionnels en ce mois de Ramadan, une sentence des plus étranges vient d’être prononcées, en ce début de semaine par la justice algérienne qualifiée par la vox-populi de justice du téléphone.
Elle concerne Hamid Melzi, l’ancien patron de la résidence d’Etat du Club des Pins et patron de 5 entreprises publiques (unique dans les annales). Il était poursuivi, pour trafic d’influence, corruption et blanchiment d’argent. Il avait écopé de cinq ans de prison, une peine réduite en appel à 3 ans et demi en janvier 2022. L’accusation d’espionnage économique a sauté du dossier. Pourtant, c’était la première accusation qui l’a emmené à la case prison.
Dimanche 9 avril, de nouveau, la Cour d’Alger a requis une peine de 5 ans d’emprisonnement contre Melzi pour des dépenses faramineuses qui ont été consenties pour l’hôtel Sheraton à Alger. Le coût de construction de cet hôtel 4 étoiles est des plus faramineux. Et ce n’est là qu’une affaire parmi tant d’autres. Rien que pour la construction de l’hôtel Sheraton dans la commune de Staouéli, à l’ouest d’Alger, il y a lieu de noter qu’outre le coût sidérant, les modes de passation de marché sont frappés d’illégalité. Le projet avait été géré de gré à gré par une seule personne. Il n’y a pas eu de lancement d’appel d’offres comme cela se fait pour les grands marchés.
« Dans sa plaidoirie, le représentant du ministère public a qualifié les fonds injectés dans le projet de construction de l’hôtel Sheraton d’astronomiques. Il a également souligné que l’expertise diligentée dans le cadre de ce dossier a révélé que des sommes importantes ont été déboursées pour l’acquisition de caméras de surveillance importées par la société chinoise CSCEC dont 80% des montants ont été transférés à l’étranger » note une source présente au procès.
Hamid Melzi qui a dirigé la résidence d’Etat du Club des Pins à laquelle a été annexée celle de Moretti passait pour l’un des hommes de l’ombre les plus puissants. Cet ancien plombier artisanal voyait beaucoup de potentats du régime courber l’échine devant lui. Il a toujours su comment profiter de soutiens solides pour se maintenir à son poste acquis au milieu des années 80’. Un poste qu’il a quitté au mois de mai 2019 dans la cadre de la purge entamée par feu Ahmed Gaïd Salah, l’ex-chef d’Etat-major de l’armée. Réputé proche de l’ex-patron du renseignement, Mohamed Mediene alias Toufik dont il était les yeux et les oreilles à la résidence du Sahel-Club des Pins où résidait l’essentiel des personnalités du régime. Il était parmi les premiers à faire les frais de la campagne des règlements de compte qui a vu des dizaines de généraux, ministres et hauts fonctionnaires remplir les prisons du pays.
Quelques jours plus tard, le 27 juin 2019, Hamid Melzi sera rejoint par deux de ses enfants Mouloud et Zoheir tandis que deux autres sont placés sous contrôle judiciaire. Ils sont poursuivis pour “blanchiment d’argent et transfert de biens obtenus par des faits de corruption à l’effet d’en dissimuler la source illicite dans le cadre d’une bande criminelle, dilapidation de deniers publics, incitation d’agents publics à exploiter leur influence réelle et supposée dans le but de bénéficier d’indus privilèges, bénéfice du pouvoir et de l’influence des agents de l’Etat, des collectivités locales, des entreprises et institutions publiques de droit public et des entreprises économiques publiques ou des établissements à caractère industriel et commercial (EPIC) durant l’établissement de contrats et marchés à l’effet d’augmenter les prix et de modifier, en leur faveur, la qualité des matières, services et approvisionnement”
Sans avoir travaillé un seul jour, les enfants de Melzi sont propriétaires d’une usine de jus de fruits au coût de 6 millions d’euros et de nombreux biens immobiliers en Algérie et en Espagne.
Cinq mois après l’intronisation de Tebboune à la tête de l’Etat et le décès de Gaïd Salah, les enfants Melzi quittent la prison en catimini et le dossier est classé. C’était prévisible. Les Melzi sont parents par alliance avec les Tebboune. Dans la foulée, la peine de 5 ans de prison prononcée contre leur père est réduite en appel à 3 ans. L’affaire avait fait couler beaucoup d’encre pour qu’elle soit classée comme celle de ses enfants. Il quitte la prison, le 7 novembre 2022. Cinq mois plus tard, sa condamnation à 3 ans de prison, bien que purgée dans sa totalité, est annulée. Autrement dit, Hamid Melzi est victime d’une erreur judiciaire et les pouvoirs publics ne tarderaient pas à le réhabiliter et le dédommager, bien évidemment.
Melzi n’est pas le premier à avoir bénéficié des largesses de la justice de « l’Algérie nouvelle ». Bien avant lui, le général Khaled Nezzar a vu sa condamnation à 20 ans de prison s’évaporer dans l’air tout comme le général Toufik, l’ancien patron du Département du Renseignement et de la Sécurité, condamné à 15 ans. L’acquittement a été prononcé à l’issue d’un procès de cassation tenu à la va-vite un samedi, jour de repos hebdomadaire. Il en sera de même pour son fils, Lotfi, condamné avec son épouse, Chahinèze, dans une affaire de droit commun, à 6 ans de prison, évasion de capitaux et falsification de documents. Les autres affaires relatives au blanchiment d’argent, fraude fiscale et évasion de capitaux seront classées sans bruit aucun.
Autre bénéficiaire de la justice du téléphone, le général Hassan. Après avoir purgé sa peine de 5 ans de prison et plusieurs mois après sa sortie de la prison militaire de Blida, se tient son procès en cassation pour prononcer son acquittement. Il sera réhabilité et dédommagé.
Enfin, le plus célèbre des césars du régime algérien est incontestablement le général Djebbar Mehenna, ancien patron de la Direction Central de la Sécurité de l’Armée (DCSA) et actuel patron de la Direction Général de la Documentation et de la Sécurité Extérieure (DGDSE).
Le 21 octobre, la télévision publique algérienne annonce : « le magistrat instructeur près le tribunal militaire de Blida a ordonné le placement sous mandat de dépôt, « à titre conservatoire », du général à la retraite, Djebbar Mehenna » en se référant à un communiqué du procureur général militaire près la Cour d’appel militaire de Blida (à 50 km au sud d’Alger) Selon la même source, le général Mehenna est poursuivi pour « enrichissement illicite » et « trafic d’influence ».
Il sera condamné à 8 ans de prison ferme. Mais il n’en purgera que onze mois de entre octobre 2019 et juillet 2020 Il quitte la prison sans avoir besoin d’un procès en appel ni d’une annulation de la peine. Il est réhabilité en novembre 2021 et nommé patron de la Direction générale de la lutte contre la subversion (DGLS). Sa mission est la surveillance de la scène politique et surtout la Kabylie d’où il est originaire. Le 3 septembre 2020, il est nommé à la tête de la DGDSE.
Ça serait faire tort au premier privilégié de la justice algérienne si on ne le cite pas avec ces justiciables d’un autre genre. C’est lui qui a inauguré le défilé des « victimes des erreurs judiciaires ». C’est Khaled Tebboune. Le fils de Abdelmadjid Tebboune, le président de la République Algérienne. Incarcéré au mois de juin dans la foulée de l’arrestation de Kamel Chikhi, alias Kamel le boucher, et ses acolytes, suite à la découverte de la cargaison des 7 quintaux de cocaïne dans le port d’Oran, Khaled Tebboune sera libéré quelques jours après l’entrée de son papa au palais présidentiel d’El-Mouradia. Il était accusé d’avoir touché des pots de vin de Kamel Chikhi en vue de lui obtenir des dérogations pour ses promotions immobilières, délivrées par le ministre de l’Habitat et de l’Urbanisme de l’époque, un certain Abdelmadjid Tebboune. Au terme d’un procès bien ficelé, il sera acquitté. Du paquet que lui remettait le principal accusé, Kamel Chikhi, et qu’on voyait dans une scène filmée retenue comme preuve de corruption, la justice conclut qu’il s’agit de deux flacons de parfum qui lui ont été offerts et qu’on ne saurait retenir comme moyen de corruption comme l’avait déclaré, au tribunal, Kamel Chikhi. Ce dernier sera récompensé par le classement du dossier de l’affaire de la cocaïne et écopera d’une peine de 7 ans de prison.
Dans ses déclarations à la presse, Abdelmadjid Tebboune ne cesse de clamer que l’Algérie possède un système judiciaire indépendant et équitable.