Ferhat Mehenni : « La visite de Tebboune à Tizi-Ouzou est une offense à la Kabylie »
A quelques jours de la visite du président Tebboune à Tizi-Ouzou, prévue pour le 23 décembre, Ferhat Mehenni, le président du Mouvement pour l’Autodétermination de la Kabylie, a bien voulu livrer en exclusivité à Atalayar, sa réaction et ce que pense entreprendre le mouvement qu’il préside à cette occasion.
A un an des présidentielles de décembre 2024, Abdelmadjid Tebboune, projette de se rendre en Kabylie. Ce sera pour le 23/12/2023 à Tizi-Ouzou, plus exactement. Quelle est votre réaction, à chaud ?
C’est une provocation ! une offense à la Kabylie ! Que cherche-t-il ? L’humiliation du peuple kabyle ? Après avoir, en l’espace des trente-six derniers mois, décrété que toute la Kabylie était « terroriste », après l’avoir incendiée au phosphore et par voie aérienne, tuant plus de 500 personnes, dévastant l’économie, la faune et la flore ; après avoir fait arrêter et torturer des milliers de Kabyles ; après avoir offert les Kabyles en spectacle ridicule à travers d’interminables feuilletons de mascarades judiciaires dans lesquels des centaines d’innocents sont condamnés dont 54 à mort, Madjid Tebboune est logiquement persona non grata chez nous. Il vient nous narguer et nous insulter. C’est un personnage indigne ! J’espère que les Algériens comprennent nos souffrances et compatissent avec nous.
De toutes les façons, jamais un président algérien n’a été le bienvenu en Kabylie. A fortiori, celui qui s’apprête à s’y rendre ces jours-ci. Son entourage lui fait peut-être croire qu’il va faire une visite de propriétaire, en vérité tout le monde sait qu’il s’aventure en territoire étranger, totalement hostile aux visiteurs arrogants et malintentionnés.
La Kabylie n’est pas algérienne. Si elle l’était, elle ne serait pas autant quadrillée par l’armée algérienne qui, pour cette occasion, vient de recevoir plus de 4000 hommes supplémentaires. Les deux-tiers de l’ANP et des corps de sécurité s’y déploient depuis le printemps noir (2001). La crainte d’une révolte indépendantiste kabyle hante toujours, et aujourd’hui plus que jamais, les tenants d’une Algérie coloniale, bien que la Kabylie ait fait du pacifisme son arme politique de prédilection pour arracher son droit à l’autodétermination et son indépendance.
Symboliquement, la Kabylie qui boycotte toutes les élections algériennes depuis 2001 s’est défaite de toutes les chaines politiques qui la relient par la force à l’Algérie. Elle vit celle-ci pour ce qu’elle est : un oppresseur colonial, un ennemi. Tous les scrutins de ces 20 dernières années ont été rejetés par le peuple kabyle qui les a sanctionnés par un zéro votant pointé, à commencer par l’élection de Tebboune en personne, le 12/12/2019. C’est le cas également aussi bien du référendum sur la révision constitutionnelle du 01/11/2020, que des législatives du 12/06/2021.
La Kabylie s’est donc totalement désengagée des instances et des institutions algériennes dans lesquelles elle ne s’est jamais reconnue. Pour qu’un président algérien puisse y effectuer une visite d’Etat, il faudrait au préalable qu’il reconnaisse au peuple kabyle la latitude de décider souverainement de son avenir.
Quels seraient les objectifs recherchés à travers ce déplacement en Kabylie ?
Les buts de ce déplacement sont multiples. Au-delà du folklore dont il va draper son passage à Tizi-Ouzou, en y acheminant comme d’habitude, des bus d’applaudisseurs de l’extérieur de la Kabylie, les marionnettistes qui instrumentalisent Madjid Tebboune souhaiteraient avant tout défier le MAK sur son territoire en montrant à l’opinion internationale l’image d’une Kabylie vaincue, écrasée et soumise à l’Algérie. Ils peuvent se le permettre à coups de répression, de torture, de terrorisme politique et d’intimidations. Nous les attendons sur le terrain politique là où, eux, ils souhaiteraient nous voir sur le terrain militaire. Comme l’un des enjeux de ce voyage est d’amener la Kabylie à voter aux prochaines présidentielles, ce ne sera qu’à ce moment-là que nous verrons si la Kabylie était réduite ou non. Une victoire par la terreur comme celle qu’ils exhiberont ces jours-ci à Tizi-ouzou est justement celle à travers laquelle l’adage « vaincre n’est pas convaincre » prend tout son sens.
L’humiliation des Kabyles est l’un des objectifs de cette visite, conformément à ceux des tenants de l’Opération « Zéro Kabyle » dont font partie Tebboune et ses chefs.
Par ailleurs, il est fort à craindre que les troupes déployées ces derniers jours, pour cette occasion, y stationneront pour de bon. La Kabylie est en état de suroccupation militaire irrationnel.
Ce que nous redoutons par-dessus-tout serait que le clan des généraux opposé à celui qui manipule ce Tebboune profite de cette visite pour s’en débarrasser et, comme d’habitude, nous en faire porter le chapeau. Qu’ils règlent leurs différends loin de la Kabylie et du MAK.
Comment, la Kabylie qui fait l’objet d’une répression sans précédent, va-t-elle l’accueillir ?
La Kabylie est civilisée. Elle ne va pas répondre à ce crachat politique par la violence ou la vulgarité, mais par la dignité. Elle va ignorer celui qui vient la défier, la provoquer et l’insulter.
Au nom de notre honneur collectif, de l’honneur national kabyle, j’appelle tote la Kabylie à boycotter cet événement. Les personnels de l’administration et des entreprises publiques, la pléthore d’indics dont le régime dispose formeront une petite communauté contrainte à l’accueillir, sans que le cœur y soit. Mais le reste des Kabyles garderont leur dignité et leur sens des responsabilités. Ils ne vont pas descendre à Tizi-ouzou, sauf de force.
Nous avons appris que la présidence a promis aux maires de la Wilaya qui mobiliseront le plus de leurs citoyens seront promus sénateurs sur le tiers présidentiel de cette chambre haute d’enregistrement. Le maire qui le fera sera honni par les siens pour toujours.