L'Algérie estime que la France doit "décontaminer" les sites d'essais nucléaires, actifs entre 1960 et 1966, dans le Sahara algérien

France-Algérie : la controverse sur les essais nucléaires

PHOTO/AFP - Combinaison d'images du président de la France, Emmanuel Macron, et du président de l'Algérie, Abdelmadjid Tebboune.

A 7h04 exactement, un intense flash lumineux traverse le ciel saharien : la France fait exploser dans le désert algérien sa première bombe atomique, au moins trois ou quatre fois plus puissante que celle qui a explosé à Hiroshima en 1945. Avec l'essai de la "gerbille bleue", Paris vient de rejoindre le club très fermé des puissances nucléaires, aux côtés des États-Unis, de l'Union soviétique et du Royaume-Uni. 

Les Français ont effectué quatre essais nucléaires aériens à Reggane entre 1960 et 1961, et treize autres essais souterrains dans une zone appelée In Ecker entre 1961 et 1966, alors que les Algériens avaient déjà été reconnus comme un pays souverain. Jusqu'en février 1966, pas moins de seize explosions atmosphériques et souterraines ont eu lieu dans la région de Reggane et dans les grottes du massif du Hoggar à In-Ekker. L'indépendance de l'Algérie n'y change rien : une clause des accords d'Évian, signés en mars 1962 entre les autorités françaises et le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA), autorise Paris à poursuivre ses activités. L'obligation de surveiller la santé des populations locales et de décontaminer l'environnement n'a pas été négociée.

Les responsabilités des essais nucléaires français au Sahara, jusqu'alors confinées à une certaine discrétion diplomatique entre les pays, prennent progressivement toute leur place dans les relations bilatérales franco-algériennes. La visite à Alger, le 8 avril, du chef d'état-major des armées françaises, François Lecointre, a été l'occasion pour les Algériens de "demander" publiquement le "soutien" de Paris pour la "réhabilitation" des sites de Reggane et d'In-Ekker, où la France a effectué dix-sept essais nucléaires entre 1960 et 1966, c'est-à-dire avant et après l'indépendance de l'Algérie en 1962. Le différend sur les conséquences sanitaires et environnementales de cet ancien site atomique n'a cessé d'alimenter le malaise de la mémoire des deux côtés de la Méditerranée. 

Alors que Paris et Alger tentent de démêler leurs différends commémoratifs, la question est à nouveau soulevée dans un rapport publié samedi 29 août par la Campagne internationale pour l'abolition des armes nucléaires (ICAN). Intitulé "Sous le sable, la radioactivité ! " et rédigée par deux experts français, Patrice Bouveret et Jean-Marie Collin, l'étude fait l'inventaire des déchets abandonnés et appelle la France à sortir de son inaction.

En vertu du traité sur l'interdiction des armes nucléaires (TNP), les pays concernés sont effectivement tenus de "fournir une assistance aux victimes de l'utilisation ou des essais d'armes nucléaires ou d'œuvrer à l'assainissement de l'environnement dans les zones contaminées". La France, comme les autres puissances nucléaires, a refusé de ratifier ce texte adopté par l'ONU en 2017. "Mais cela l'empêche-t-il de fournir une assistance humanitaire et technique à l'Algérie ?" demande ICAN.

Le chef de l'armée algérienne, Said Chengriha, et son homologue français, le général François Lecointre, ont abordé le 8 avril à Alger la question des essais nucléaires effectués par la France dans le Sahara il y a 60 ans. Cette visite n'a pas été annoncée dans les agendas officiels. Mais elle a eu lieu, contrairement à la commission intergouvernementale franco-algérienne, qui aurait dû être tenue par le Premier ministre Jean Castex à Alger le 11 avril, mais qui a été reportée au dernier moment. La réunion, au cours de laquelle M. Castex devait présider avec son homologue algérien, Abdelaziz Djerad, le comité intergouvernemental de haut niveau consacré à la coopération économique bilatérale, a été reportée "sans date" en raison, selon des sources françaises, de la crise sanitaire.

Les deux chefs d'état-major devaient discuter de nombreux sujets. Le terrorisme au Sahel, la situation en Libye et le Sahara occidental ne sont pas les sujets les moins brûlants. Mais alors qu'un porte-parole de l'état-major français s'est contenté de parler du "potentiel" de la coopération militaire bilatérale, c'est la vieille question nucléaire que la partie algérienne a publiquement mise sur la table. Selon la presse algérienne, cette question aurait également dû figurer à l'ordre du jour. 

"Je voudrais soulever la question des négociations, au sein du groupe algéro-français, sur les anciens sites d'essais nucléaires et autres essais dans le Sahara algérien, où nous attendons votre soutien, lors de la 17e session du groupe mixte algéro-français, prévue en mai 2021" a affirmé Chengriha. "L'Algérie considère que la sécurité et la stabilité de ses voisins sont directement liées à sa propre sécurité. C'est pourquoi mon pays déploie d'énormes efforts à travers l'adéquation des dispositifs militaires le long des frontières, en vue de parvenir à la stabilité dans les pays de la zone méditerranéenne", a souligné M. Chengriha, qui s'est dit préoccupé par la présence de groupes djihadistes au Sahel. "Consciente de l'ampleur du danger que représente le terrorisme pour la sécurité et la stabilité du territoire, l'Algérie n'a pas hésité à présenter des initiatives et à offrir son assistance à ses voisins pour coordonner les efforts sur la base d'une vision partagée", a-t-il conclu.

Le ministre algérien du Travail, El Hachemi Djaâboub, a qualifié la France, ancienne puissance coloniale, d'"ennemi traditionnel et éternel" de l'Algérie, lors d'une séance de questions au Sénat, jeudi 8 avril, rapporte le site d'information TSA.  Ceci est d'autant plus surprenant que les relations franco-algériennes se sont récemment détendues. "Nous n'avons aucun problème avec la France pour le moment", a déclaré le président algérien Abdelmadjid Tebboune lui-même le 2 avril, interrogé sur le rapport de l'historien français Benjamin Stora visant à réconcilier les mémoires entre la France et l'Algérie. Le président algérien a qualifié les relations bilatérales de "bonnes". Pour le secrétaire d'État français aux affaires européennes, Clément Beaune, ces propos ne doivent pas nécessairement conduire à un retrait de l'ambassadeur français en Algérie. "Non, je ne pense pas", a-t-il répondu lorsqu'on l'a interrogé sur cette possibilité. "Nous devons calmer tout cela", a-t-il ajouté. 

Clément Beaune a également démenti toute "tension" entre la France et l'Algérie au sujet de la visite de Jean-Castex, qui a été officiellement annulée en raison de la crise du COVID-19, mais surtout parce que les Algériens se sont plaints que la délégation française avait été réduite au minimum. "Le fait que cette réunion de haut niveau entre les deux gouvernements n'ait pu avoir lieu n'est pas lié à une tension entre la France et l'Algérie, mais à la situation sanitaire, qui n'a pas permis au gouvernement français de se déplacer en masse en Algérie", a-t-il déclaré. En pleine crise sanitaire, "on ne peut pas imaginer que les autorités françaises fassent comme si de rien n'était, en très grand nombre", a déclaré le secrétaire d'État. "Il ne serait pas responsable en termes d'image et de substance", a-t-il ajouté. "Nous avons collectivement préféré reporter cette réunion, qui aura lieu dans quelques mois", a-t-il poursuivi.