L'Allemagne, la France et l'Italie appellent à la suspension de l'escalade militaire en Libye
Dans une déclaration commune des porte-parole du ministère fédéral allemand des affaires étrangères, du ministère français de l'Europe et des affaires étrangères et du ministère italien des affaires étrangères et de la coopération internationale, les trois pays appellent « toutes les parties libyennes à cesser immédiatement et inconditionnellement les combats et à suspendre l'escalade militaire en cours dans tout le pays ». Dans cette note, les États membres de l'UE appellent également « tous les acteurs étrangers à cesser toute ingérence et à respecter pleinement l'embargo sur les armes établi par le Conseil de sécurité des Nations unies et à encourager la conclusion rapide des négociations au sein du groupe de travail militaire 5+5 sous les auspices de MANUL (Mission d´appui des Nations unies en Libye) afin de permettre la signature d'un accord de cessez-le-feu durable et crédible ».
« C'est un élément essentiel pour créer le climat nécessaire à la reprise concrète du dialogue politique entre les Libyens qui permettra une résolution durable du conflit. Tous les efforts à cet égard, y compris l'initiative égyptienne annoncée le 6 juin, doivent être encouragés. Toute initiative en faveur d'un accord de cessez-le-feu et d'une solution politique négociée à la crise libyenne doit être pleinement inclusive et fermement ancrée dans l'architecture du processus de Berlin, qui reste le seul cadre viable », conclut le communiqué.
La Libye est plongée dans une guerre civile depuis 2011, suite à la chute de Mouammar Kadhafi. Depuis lors, deux camps se disputent le pouvoir : le gouvernement d'unité nationale (GNA, par son acronyme en anglais), dirigé par le Premier ministre Fayez Sarraj et parrainé par l'ONU ; et l'Armée de libération nationale (LNA, par son acronyme en anglais), commandée par le maréchal Khalifa Haftar. Le conflit s'est internationalisé avec l'intervention de puissances étrangères qui soutiennent différentes parties : alors que la Turquie, le Qatar et l'Italie se sont rangés du côté de GNA, la France, l'Égypte, les Émirats arabes unis et le monde arabe en général ont opté pour le LNA.
Par conséquent, ce communiqué conjoint des ministères de Berlin, Paris et Rome est une étape importante vers une position européenne unifiée dans le conflit libyen, qui avait été rompu par la France et l'Italie étant de côtés différents. Bien qu'il n'ait pas été précisé que les deux pays abandonneront leur soutien aux différentes factions - surtout lorsque Rome a déjà signé des accords avec le GNA, comme la reconstruction de l'aéroport de Maitiga/Mitika, un projet évalué à près de 80 millions d'euros accordé à un consortium italien - il semble qu'ils soient parvenus à un point de vue commun : promouvoir toutes les feuilles de route possibles pour parvenir à la paix en Libye, tant celle proposée par l'ONU, à laquelle Rome est plus favorable, que celle présentée par l'Égypte, à laquelle Paris a donné son accord, car toutes deux envisagent la cessation des hostilités et la fin de l'ingérence étrangère dans la guerre, ce que l'Union européenne défend depuis le début.
De même, avec cette note, les trois pays semblent appeler implicitement la Turquie à cesser de violer l'embargo sur les armes imposé au pays d'Afrique du Nord en 2011. Depuis que le conflit s'est intensifié en avril dernier, Ankara a été le théâtre de nombreux épisodes de remise d'armes et de mercenaires aux rangs de GNA afin d'augmenter les chances de victoire de cette faction, comme cela s'est produit début juin lorsqu'ils ont réussi à remporter la bataille contre la capitale, Tripoli, qui était assiégée par les forces du LNA depuis 14 mois. Selon l'Observatoire syrien des droits de l'homme (SOHR, par son acronyme en anglais), la nation eurasienne a déployé plus de 15 000 miliciens syriens en Libye, dont quelque 300 mineurs. En outre, 1 800 autres sont actuellement dans des camps d'entraînement en Turquie et reçoivent des instructions avant leur transfert vers le pays d'Afrique du Nord.
Il convient de rappeler à ce stade que la semaine dernière, la France s'est montrée très critique à l'égard de l'interventionnisme turc, ouvrant une profonde brèche au sein de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN), étant donné que les deux pays sont alliés au sein de l'Alliance atlantique. Paris considère l'attitude d'Ankara en Libye comme « inacceptable » et « intolérable », tandis qu'Ankara accuse Paris de « vouloir diviser le pays » dans le but de « revenir à l'ancienne époque coloniale ».
Dans ce contexte, le ministre français des affaires étrangères Jean-Yves Le Drian a appelé l'UE à « ouvrir rapidement une discussion approfondie, sans tabous ni naïveté, sur les perspectives de sa future relation avec Ankara », mettant en garde contre le danger d'une éventuelle adhésion de la Turquie à l'axe européen, ce que la nation eurasienne demande depuis plus d'un demi-siècle. « L'UE doit défendre fermement ses propres intérêts car elle en a les moyens », a souligné le chef de la diplomatie française.
« La rivalité systémique franco-turque ne montre aucun signe de diminution et est devenue un facteur significatif de la volatilité de plusieurs points critiques dans la région méditerranéenne », prévient le professeur Michael Tanchum dans The Turkey Analyst. Sur les perspectives de détente à court, moyen et long terme, l'analyste n'est pas optimiste et révèle le rôle très délicat que la France va jouer au sein du conseil. « Avec la démonstration effective par la Turquie de ses capacités expéditionnaires en Libye, qui a déjà accru l'influence d'Ankara en Tunisie et en Algérie [sphères d'influence françaises], une présence militaire turque permanente en Libye [Ankara négocie la construction de deux bases, une aérienne et une navale, dans le pays] consolidera le statut de la Turquie en tant que puissance majeure en Afrique du Nord, tout en lui permettant d'améliorer sa portée diplomatique et économique dans le Sahel. Face à cette perspective, la France pourrait choisir de soutenir l'établissement d'un protectorat administré par la Russie et l'Egypte dans l'est de la Libye, dans l'espoir de limiter les [ambitions] de la Turquie, ce qui fragiliserait davantage les relations entre les deux alliés de l'OTAN », conclut l'analyste.