« La vengeance est un plat qui se mange à froid » dit le vieux dicton populaire. Cela se vérifie, aujourd’hui, entre deux anciens patrons des services secrets algériens.

En Argélie, le général Tewfik prend sa revanche contre son successeur à la tête des services secrets

Othmane Tartag

Les généraux Mohamed Mediene alias Tewfik et Othmane Tartag alias Bachir. Ce dernier avait exercé, durant 25 années, sous les ordres du premier nommé. Mais, le hasard a voulu qu’il lui succède à la tête des services en septembre 2015 et les deux hommes se sont retrouvés en 2019 derrière les barreaux pour une histoire qui les a dressés l’un contre l’autre.

Mohamed Achraf, 35 ans, fils unique du général Athmane Tartag, alias Bachir, est un garçon sans histoire. Contrairement aux enfants de beaucoup de généraux, Il n’a jamais fait parler de lui ni en mal ni en bien. Selon des sources judiciaires, nous venons d’apprendre que des poursuites judiciaires sont entamées à son encontre pour « acquisition d’avantages indus», «crédits bancaires» lors du montage de sa société et le «trafic d’influence» en profitant du fait d’être fils d’un officier supérieur de l’Armée pour se faire attribuer illégalement un certain nombre de marchés ». 

Une accusation qu’on peut coller à n’importe quel fils ou fille de général de l’armée algérienne. Il n’y a qu’à citer l’exemple le plus connu de la rue algérienne celui de Lotfi Nezzar le fils du général Khaled Nezzar, l’ancien Ministre de la Défense Nationale. Des biens en Espagne (dont un appartement de 98 m2 à Barcelone et un terrain de 6000 m2 à Tarragona), à Monaco et en France pour lesquels il n’a jamais été inquiété. Même sa condamnation à 6 ans de prison ainsi que celle de son épouse Chahinèze pour falsification de documents et évasion de capitaux (pris en flagrant délit) ont été effacées et le petit fils de Rahal Nezzar qui avait pris les armes contre les combattants de la guerre de libération, continue de rouler sur l’Or.

L’affaire du fils du général Tartag, de source proche du dossier, est bel et bien l’œuvre du général Tewfik. Agissant dans l’ombre et l’un des acteurs principaux du pouvoir occulte, l’ancien patron du Département du renseignement et de la sécurité (DRS) a un vieux compte à régler avec le général Athmane Tartag. 

En 1999, à son arrivée à la tête de la magistrature suprême du pays et lors de sa première visite au Ministère de la Défense Nationale (MDN), feu Abdelaziz Bouteflika avait demandé les têtes de deux officiers supérieurs. Le premier est le colonel Belkacem Boukhari, Directeur Central de la Justice Militaire au MDN et le second, le général Athmane Tartag alias Bachir, chef du Centre Principal Militaire d’Investigation (CPMI), relevant de la Direction de la Sécurité Intérieur que chapeautait le Département du Renseignement et de la Sécurité (DRS) que dirigeait le général de corps d’armée Mohamed Mediène alias Tewfik. Le premier a été radié dans les 48 heures qui ont suivi les ordres du président de la république. 

Le second bénéficiait de l’indulgence de son patron et est envoyé au placard dans un organisme international pour être loin des regards jusqu’à ce que passe la tempête. Quelques années plus tard, il est rappelé au cabinet du patron du DRS comme conseiller avant d’être nommé en 2012 à la tête de la Sécurité Intérieure en remplacement du général Ahmed Kherfi soupçonné de rouler pour le clan de Saïd Bouteflika, le frère cadet du président de la république. A son tour, le général Bachir est récupéré par ce même Saïd Bouteflika qui commençait à prendre du poids au point de songer à faire débarquer l’inamovible général Tewfik de son poste. Il parviendra à ses fins en septembre 2015. Et c’est le général-major Bachir qui sera désigné à lui succéder. Un coup difficile à digérer par celui qui a survécu à toutes les tempêtes en se maintenant à la tête des services secrets algériens durant un quart de siècle. Un record à inscrire dans le Guinness book. 

Les généraux Bachir et Tewfik

En 2019, le général Tewfik effectue son retour sur la scène du pouvoir occulte à la faveur de la révolution populaire du 19 février appelée communément « Hirak ». Il est sollicité par Saïd Bouteflika pour trouver une solution à la crise dans laquelle était plongé le pouvoir d’un Bouteflika aux abois. Ainsi, est organisée une réunion à la villa « Dar El-Afia » entre les deux hommes et la présidente du Parti des Travailleurs, la trotskiste Louiza Hannoune. Le général Tewfik s’était opposé à la présence de son successeur à la tête des services.

Ayant appris la nouvelle de la réunion par le truchement du général à la retraite et ex-président de la république Liamine Zeroual, le général de corps d’armée Ahmed Gaïd Salah, alors vice-ministre de la Défense Nationale et chef d’état-major de l’armée entre dans une colère noire et convoque le général Bachir pour plus d’informations. Ce dernier lui offre sur un plateau d’argent l’enregistrement de la réunion qu’il avait réalisé à l’insu des trois participants qui se retrouveront quelques jours plus tard en état d’arrestation pour « atteinte à l’autorité de l’armée » et « complot contre l’autorité de l’État ».

Mais, le général Bachir bien que n’ayant pas participé à la réunion ira accompagner Saïd Bouteflika et le général Tewfik à la prison militaire de Blida. Ils écoperont de 15 ans de prison chacun au cours de l’audience de première instance et en appel. Deux audiences boycottées par le général Bachir pour éviter de rencontrer ses deux complices qui avaient appris que leur réunion avait été enregistrée à leur insu et remise à Gaïd Salah, leur ennemi juré.

Coup de théâtre le 2 janvier 2021. Une année après la disparition du général de corps d’armée Gaïd Salah, les trois accusés, les deux généraux Tewfik et Bachir ainsi que Saïd Bouteflika, le frère cadet du président de la république déchu, sont acquittés.  Après la décision de la Cour suprême, le 18 novembre dernier, d’annuler les premiers jugements rendus par le tribunal militaire de Blida.

Cependant, la joie des trois accusés ne sera que de courte durée pour le général Bachir et Saïd Bouteflika. Le frère du président est transféré à la prison civile d’El-Harrach. D’autres affaires sont retenues contre lui pour corruption et abus de pouvoir. Quant au général Bachir, on lui colle une affaire dont le dossier était clos après un jugement définitif contre les accusés. C’est l’affaire « Maya » la prétendue fille cachée d’Abdelaziz Bouteflika.

Zoulikha-Chafika Nachinache, femme d’affaires qui avait prospéré grâce à la rumeur et à ses relations haut placées, avait été condamnée par la cour d’appel de Tipaza à 12 ans de prison ainsi que sa fille et une pléiade de ministres et de hauts responsables. Avec deux autres officiers supérieurs les colonels Smaïn et Lotfi, le général Bachir Tartag sont poursuivis, en vertu de l’article 29 de la loi 06/01 relative à la prévention et la lutte contre la corruption.

Ils ont été condamnés pour « n’avoir pas respecté » la procédure de préservation des fonds saisis et déposés à la Banque centrale. Il s’agit d’importantes sommes d’argent en dinar et en devise et plus de 17 kg d’or récupérés à l’issue d’une perquisition dans ses deux maisons à la résidence d’Etat Moretti, à l’ouest de la capitale où elle résidait. Selon l’accusation, le produit de la perquisition devait être déposé à la caserne et non pas à la banque centrale. Une accusation des plus farfelues puisque la banque centrale est un établissement de l’Etat algérien et à la caserne de Benaknoun il n’y a pas de coffre-fort pour ce genre de butin.

Mais, quand la main du général Tewfik est derrière l’affaire tout passe. C’est une revanche à prendre contre celui qu’il considère l’avoir trahi à deux reprises. La première en se rangeant du côté de Saïd Bouteflika, conseiller du président de la république mais surtout chef de l’Etat par procuration. La deuxième fois, en enregistrant la réunion de « Dar El-Afia » à son insu.

Non content de la condamnation de 6 ans prononcée contre son ennemi, le général Tewfik qui retrouve beaucoup de pouvoir à l’ombre de l’actuel chef d’Etat-major de l’armée, le général Chengriha, véritable homme fort du régime, avec qui il passe de longues veillées dans sa villa (les deux hommes sont voisins) est allé fouiller dans les affaires du fils unique du général Bachir pour lui coller une affaire de corruption de blanchiment d’argent. Une affaire dans laquelle on ne compte pas moins de 12 accusés.

Mais, le principal accusé, Mohamed Achraf Tartag est en dehors du territoire algérien. Ce qui fera enrager encore le général Tewfik qui vient de donner un coup d’épée dans l’eau.