La tension monte dans la région après la décision des États-Unis d'abandonner le traité Ciel ouvert

La guerre froide qui se déroule dans le ciel de la Syrie

AFP/ SERGEY VENYAVSKY - L'avion russe SU 25 SM (au sol) et les chasseurs MIG 29 (au décollage) lors d'une séance d'entraînement

Le pétrole est et a toujours été la richesse convoitée du Moyen-Orient. L'or noir, très prisé, une ressource relativement rare en Syrie par rapport aux autres pays de la région, a marqué l'évolution de certains des conflits les plus sanglants du 21e siècle. Ces dernières années, la Syrie est devenue le théâtre de combats entre les États-Unis et la Russie. Cependant, ces derniers mois, la guerre est montée au ciel, surtout après que les États-Unis aient annoncé en mai dernier leur décision de se retirer du traité « Ciel ouvert », un document élaboré au sein de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, l'OSCE, et auquel participent 34 pays. Ce pacte permet aux pays signataires de survoler n'importe quelle partie du territoire d'un autre État membre. 

« La Russie n'a pas d'amis. Ils craignent notre immensité. Nous n'avons que deux amis en qui nous pouvons avoir confiance : notre armée et notre marine ». Cette phrase, prononcée par le tsar Alexandre III de Russie il y a plus de cent ans, continue à marquer la politique étrangère du pays présidé par Vladimir Poutine. La campagne militaire et diplomatique de Moscou en Syrie a été la plus importante opération russe depuis la fin de la guerre froide, un affrontement politique, économique, social et militaire qui a divisé le monde après la Seconde Guerre mondiale. Sa présence dans le conflit qui a ravagé le pays dirigé par Bachar Al-Asad, un partenaire régional important, a largement transformé la pensée militaire russe, qui a décidé ces dernières années d'étendre son influence au Moyen-Orient et de se concentrer sur le développement de son industrie de l'armement.

Le 27 mai, le Commandement américain pour l'Afrique (Africom) a révélé que la Russie avait survolé la Libye avec 14 avions de chasse MiG-29 et Su-24 pour soutenir l'offensive du chef de l'Armée nationale libyenne (ANL), Khalifa Haftar, contre le Gouvernement d'union nationale (GNA) soutenu par les Nations unies. Moscou a nié ces allégations, mais a confirmé la livraison de plus d'avions de chasse MiG-29 à la Syrie.

L'ambassade de Russie à Damas a annoncé sur le réseau social Twitter qu'un « deuxième lot » d'avions de chasse MiG-29 a été livré à l'armée syrienne « dans le cadre de la coopération en matière de défense ». « La partie russe a livré à l'armée arabe syrienne le deuxième lot d'avions de combat MiG-29 dans leur version avancée et modernisée », a déclaré une source militaire syrienne à l'agence de presse SANA. 

Ces avions ont été remis lors d'une cérémonie qui s'est tenue sur la base d'Hemeymim, dans la province syrienne de Lattaquié. L'efficacité des chasseurs MiG-29 est supérieure à celle de sa génération précédente, selon cette agence de presse qui a souligné qu'« à partir du 1er juin 2020, les pilotes syriens commenceront à effectuer des missions dans ces avions dans l'espace aérien syrien ».  En attendant, la feuille de route américaine pour la Syrie est menée par l'ouverture d'une nouvelle base dans l'enclave de Deir Ezzor, dans l'est du pays, pour renforcer ses positions dans le conflit que cette nation subit depuis 2011.

Au moment même où la Russie annonçait la livraison d'avions de chasse MiG-29, la coalition internationale dirigée par les États-Unis pour combattre le groupe terroriste Daech en Syrie déployait un système anti-missile Patriot autour de l'usine à gaz de Koniko dans la région de Deiz Ezzor, au nord-est de la région ; un déploiement qui a eu lieu plusieurs jours après que l'agence de presse SANA ait rapporté qu'« un avion des forces d'occupation américaines a largué plusieurs ballons thermiques sur les terres agricoles du champ de Shaddadi, au sud d'Al-Hasaka, mettant le feu aux cultures de blé de cette province ».

La Russie, un allié fidèle du gouvernement syrien, a lancé une campagne militaire aérienne en 2015 pour aider Damas à récupérer les parties du pays qui étaient aux mains des rebelles, avec le soutien de la Turquie entre autres pays. Depuis lors, Moscou n'a cessé d'insister sur le fait que la présence de la coalition dirigée par les États-Unis est « illégale ». 

La création de cette coalition, qui vise à coordonner diverses opérations militaires pour stopper l'avancée de Daech, a été annoncée en décembre 2015. Un correspondant du journal Syrian Observer a déclaré il y a deux semaines que les milices de la coalition travaillaient autour de l'usine de Koniko, annexant une zone d'environ 1 000 dounams au champ (10 dounams équivalent à un hectare). Les dernières initiatives du géant nord-américain dans la région montrent l'intérêt que ce pays suscite aux États-Unis, même s'ils affirment que sa présence dans le nord-est de la Syrie est fondamentale pour garder les champs pétrolifères du pays hors des mains de Daech. ​​​​​​​

Ces derniers mois, les États-Unis ont accru leur présence militaire en Syrie et en sont venus à contrôler plusieurs positions dans les champs de pétrole et de gaz de la région face à la menace présumée de la résurgence de Daech dans la région. Dans ce contexte, l'Observatoire syrien des droits de l'homme a rapporté ce jeudi la mort d'au moins trois membres des forces du régime dans un attentat perpétré par Daech dans la région d'al-Rawda, à l'est d'Aqirbaat dans l'est de Hama. Cette institution basée à Londres et un réseau d'informateurs sur le sol syrien ont rapporté une autre attaque contre un poste de contrôle appartenant aux forces du régime dans la zone rurale de la ville d'Al-Sukhna, dans le désert de Homs, dans laquelle au moins quatre personnes ont été tuées.

Dans ce scénario, la Russie a clairement fait part de son intention de s'étendre dans le nord-est de la Syrie, contrôlé par les États-Unis, un événement qui a conduit à une augmentation des tensions entre les deux puissances. Il y a une semaine, un affrontement a eu lieu entre les troupes américaines et russes dans le nord-est de la Syrie, après qu'un convoi russe ait traversé le territoire contrôlé par la coalition internationale dirigée par les États-Unis. L'affrontement a bloqué la circulation civile locale pendant des heures, incitant les autorités policières locales à tenter d'intervenir, rapporte le quotidien Al Monitor.

Quelques heures plus tard, l'impasse s'est déplacée vers le ciel au-dessus du pays. Au moins deux hélicoptères, l'un russe et l'autre appartenant à la coalition dirigée par les États-Unis, ont survolé la scène.  Cette confrontation - la deuxième enregistrée dans la région ces derniers jours - survient après que l'Observatoire syrien des droits de l'homme ait assuré que l'armée russe construisait une nouvelle base militaire à Qeser Dib, un village à la périphérie de Derik, ce qui pourrait remettre en cause l'influence américaine dans la région.  Ces derniers mois, la Russie et les États-Unis ont partagé une série de rencontres tendues dans le ciel du nord-est de la Syrie, un fait qui a conduit les autorités américaines à accuser le Kremlin de mettre à l'épreuve la détermination de Washington.

Les événements récents soulignent la difficulté de trouver un moyen de créer un changement durable dans les relations diplomatiques entre Washington et Moscou, une diplomatie qui, d'une certaine manière, touche directement d'autres pays comme la Syrie ou la Libye. Le fait que cette relation soit définie en termes de concurrence plutôt que de coopération met en péril l'avenir de cette région. Toutefois, si les mesures de confiance qui ont été couronnées de succès pendant la guerre froide ont été prises dans un contexte international véritablement tendu, il est possible de parvenir à un accord dans les circonstances actuelles.