15 Colombiens et deux Américains arrêtés en lien avec l'assassinat du président Jovenel Moïse

Haïti, chronique d'une mort annoncée 

AP/JOSEPH ODELYN - Suspects dans l'assassinat du président haïtien Jovenel Moise

Peu après minuit le 7 juillet en Haïti, un groupe d'hommes armés et cagoulés a rôdé autour de la résidence privée du président Jovenel Moise. À 01h00 du matin, la fusillade et l'assaut de la résidence présidentielle dans la rue exclusive Pèlerin 5, à Port-au-Prince, près d'un poste de police local, où a eu lieu l'assassinat du président Moise et de son épouse Martine, qui a été grièvement blessée et quelques heures plus tard à l'hôpital transférée d’urgence à Miami.

Le président était protégé par un groupe important de gardes du corps et de policiers armés, ce qui amène à se demander comment le groupe d'assaillants a pu pénétrer dans la maison sans être inquiété. Il est également surprenant que l'opération ait eu lieu un peu plus de deux mois avant les élections présidentielles et législatives, prévues le 26 septembre, auxquelles Moise ne pouvait pas se présenter et qui ont été entourées de controverses, étant donné qu'une grande partie du pays considérait que le président dirigeait Haïti de manière illégitime depuis février.

Des détails sur l'assassinat du président haïtien émergent dans la confusion. 48 heures après l'assassinat, la police haïtienne a annoncé l'arrestation d'un groupe de mercenaires en tant qu'"assassins présumés" du président. Pour l'instant, les détails officiels sont très rares, mais les premières théories font état d'un commando de mercenaires "bien entraînés". Dès les premières heures, des voix comme celle de l'ancien Premier ministre Laurent Salador Lamorthe, qui a servi dans l'administration de l'ancien président Joseph Michel Martelly, ont évoqué la thèse d'un commando de paramilitaires engagés.

En l'absence d'une théorie officielle du crime, les observateurs tentent de décrypter les points les plus marquants de cet épisode tragique. Selon les informations officielles communiquées jusqu'à présent par les autorités haïtiennes, au moins 28 assaillants ont participé à l'assassinat. Lors d'une conférence de presse, le chef de la police, Leon Charles, a déclaré que 15 Colombiens et deux Américains d'origine haïtienne avaient été interceptés après une opération de police de deux jours : "Il s'agissait d'un commando de 28 assaillants, dont 36 Colombiens, tandis que nous avons intercepté 15 Colombiens et deux Américains d'origine haïtienne. Trois Colombiens ont été tués et huit autres sont en fuite", rapporte le quotidien Le Nouvelliste. 

Ce sont les premiers détails qui filtrent sur l'identité des personnes arrêtées. Auparavant, la police nationale haïtienne avait indiqué avoir arrêté jusqu'à présent six personnes pour leur implication présumée dans l'assassinat du président Moise, et quatre autres auraient été tuées au cours de la chasse à l'homme. "Nous avons les auteurs physiques et nous recherchons les cerveaux", a déclaré le chef de la police Léon Charles dans une déclaration télévisée aux côtés du Premier ministre par intérim Claude Joseph.

Le ministre haïtien des élections, Mathias Pierre, a identifié l'un des suspects détenus comme étant James Solanges, un citoyen américain d'origine haïtienne qui résiderait dans le sud de la Floride, dans une déclaration téléphonique au New York Times. L'identification de Solanges conforte la thèse initiale des autorités haïtiennes, qui soutenaient que le président avait été tué - tôt dans la matinée de mardi à mercredi - par des "étrangers". Auparavant, les forces de l'ordre n'avaient donné aucune information sur les auteurs possibles ou leurs motivations, à l'exception d'un commentaire inhabituel du premier ministre par intérim, Claude Joseph, selon lequel certains suspects de la brigade parlaient espagnol.

Les autorités colombiennes ont ensuite reçu quatre autres noms de personnes capturées par la police haïtienne. Il s'agirait de quatre soldats de l'armée à la retraite. Dans la soirée, le ministre colombien de la Défense, Diego Molano, a annoncé que "les informations indiquent qu'il s'agit de citoyens colombiens, membres retraités de l'armée nationale", en réponse à une demande officielle d'Interpol concernant six suspects. Pour sa part, le général Jorge Luis Vargas, directeur de la police nationale colombienne, a ajouté que "toutes les vérifications sont déjà effectuées en Colombie pour envoyer un rapport complet aux autorités haïtiennes.  

La manière dont le crime a été perpétré reste un mystère. Les vidéos connues révèlent que l'opération a été menée par un groupe d'une trentaine de personnes qui ont fui discrètement la résidence présidentielle à bord de cinq camionnettes. On sait que Moïse a été abattu de 16 balles dans son lit. Les assassins se sont présentés portant des gilets de l'administration américaine chargée de la lutte contre les stupéfiants (DEA), bien que le département d'État ait nié que les attaquants soient ses agents. 

La succession même du président comporte également plusieurs éléments d'intrigue. Moïse avait récemment nommé Ariel Henry comme premier ministre, qui devait prendre ses fonctions ce mercredi pour conduire le pays aux élections, en remplacement de l'intérimaire Claude Joseph, nommé - temporairement et par intérim - par Moïse lui-même en avril dernier après la démission du précédent premier ministre. Mais Henri n'a pas eu le temps de revêtir l'écharpe de ministre, si bien que le gouvernement "de facto" est revenu à Joseph, qui était sur le point de quitter ses fonctions.

Cet assassinat fait suite à des années particulièrement mouvementées, embourbées dans l'éternelle crise économique et politique que traverse le pays antillais. Moïse, qui gouvernait par décret depuis près d'un an, faisait face à une opposition croissante depuis plusieurs mois en raison de sa détermination à rester au pouvoir au-delà de son mandat.

Moïse est arrivé au pouvoir après une élection marquée par des retards incessants, de multiples accusations de fraude et, surtout, un taux de participation très faible.  Fils d'un commerçant et d'une couturière, Moïse était un homme d'affaires agricole qui n'avait jamais occupé de fonction politique jusqu'à ce que l'ancien président Michel Martelly le choisisse comme son successeur à la tête du Parti haïtien Tèt Kale (PHTK) en 2015. Bien que nous ne sachions pas encore qui est derrière cet assassinat, il est clair que le président avait de nombreux ennemis.