La nouvelle Constitution de Kaïs Saied : moins islamique, plus présidentielle et bicamérale
Kaïs Saied a su jouer sur les attentes. Après des mois de siège par l'opposition islamiste, le calculateur professeur de Droit constitutionnel a présenté son projet de nouvelle Constitution pour remodeler complètement le pays.
Il s'agit de la quatrième Magna Carta de l'histoire récente de la Tunisie, si l'on tient compte de ce que l'on appelle la "Petite Constitution" de 2011, une disposition provisoire adoptée après le renversement de Ben Ali et remplacée par la Constitution de 2014, à laquelle Saied a participé, mais qu'il a fini par considérer comme inadéquate pour le pays.
Le nouveau texte envisage une république plus présidentielle, dans laquelle Kaïs Saied aurait beaucoup plus de contrôle. Ce pouvoir s'articule, entre autres mesures, en donnant la préférence aux projets de loi proposés par le président devant le Parlement, qui doivent être examinés avant les autres. Le président serait soutenu par un gouvernement dirigé par un premier ministre.
Sur le plan législatif, le système bicaméral revient en Tunisie, qui avait été éliminé dans la Constitution de 2014. Le nouveau texte prévoit deux chambres. Une Assemblée nationale des Représentants du Peuple, qui pourrait être l'équivalent de l'Assemblée nationale française, coexistera avec un Conseil national des Régions. Cette dernière sera constituée d'une chambre de représentation territoriale dont les membres seront élus par les Conseils régionaux répartis dans tout le pays. La nouvelle Constitution prévoit que les lois budgétaires et les plans de développement passeront par les deux chambres pour être adoptés au cours de chaque quinquennat.
Le traitement de l'Islam dans la nouvelle Constitution est un autre point qui mérite une attention particulière. Sadok Belaïd, juriste proche de Saied et chargé de rédiger la nouvelle Constitution, a déclaré dans une interview début juin que l'islam ne serait plus la religion d'État si le texte était approuvé le 25 juillet.
"Dans la prochaine Constitution tunisienne, on ne parlera pas d'un État dont la religion est l'Islam, mais d'une Tunisie appartenant à une Oumma dont la religion est l'Islam. L'Oumma et l'État sont deux choses différentes", a déclaré Sado Belaïd aux médias. L'"Oumma" est le terme arabe mentionné dans le Coran et les Sahifat al-Madinah pour désigner la communauté musulmane, qui peut aujourd'hui être interprété d'un point de vue internationaliste.
La Constitution de 2014 déclare dans son premier article que "la Tunisie est un État libre, indépendant et souverain, l'Islam est sa religion, l'arabe sa langue et la République son régime". Or, la nouvelle Constitution ne fait aucune mention de l'Islam jusqu'à l'article 5, qui se lit comme suit : "La Tunisie fait partie de l'Oumma islamique, et l'État doit œuvrer seul à la réalisation des objectifs de l'Islam tout en préservant l'âme et l'honneur".
Si la nouvelle Constitution est adoptée, la Tunisie deviendra le premier pays arabe du Maghreb à abandonner l'Islam comme religion officielle de l'État. La décision de Saied d'intégrer ce détail dans la Magna Carta répond à l'idéologie laïque du président tunisien, dont le principal adversaire sont les partis islamistes. Il s'agit d'un message fort contre Ennahda, qui est soutenu principalement par la Turquie et le Qatar au niveau international. Ennahda, jusqu'à son Congrès général de 2016, maintenait un discours de fondamentalisme islamique et visait l'établissement d'un califat islamique panarabiste.
Le nouveau projet de Constitution fera l'objet d'un référendum le 25 juillet 2022, après une longue bataille politique au cours de laquelle le Gouvernement de Kaïs Saied a été assiégé par l'opposition menée par les syndicats socialistes et Ennahda. Ils accusent maintenant Saied de proposer une Constitution "taillée sur mesure pour lui". Des caricatures satiriques de juges taillant un costume sur mesure pour le président tunisien circulent sur les réseaux sociaux.
En juin, une commission d'enquête et de conseil organisée par la Commission de Venise, un organe du Conseil de l'Europe, a estimé que les aberrations juridiques de Saied étaient profondément préjudiciables à la démocratie du pays, ainsi que fondamentalement contraires au droit tunisien. Le dossier a été commandé par la délégation de l'UE à Tunis. La situation s'est aggravée lorsque le pouvoir judiciaire s'est révolté contre Saied, qui a limogé 57 juges de différents tribunaux. La nouvelle constitution ne prévoit pas le droit de grève ou d'organisation pour les membres du pouvoir judiciaire, ni pour les membres de l'armée ou des forces de l'ordre.