Bien que les autorités tunisiennes aient permis à l'activiste franco-algérien de quitter le pays, Tebboune ne tient pas son voisin pour responsable afin d'éviter l'isolement régional d'Alger

L'Algérie néglige l'implication de la Tunisie dans l'affaire Amira Bouraoui

AFP/HO/PRESIDENTIAL PRESS SERVICE - Le président algérien Abdelmadjid Tebboune et le président tunisien Kais Saied

La militante et journaliste franco-algérienne Amira Bouraoui est au centre d'une nouvelle crise diplomatique entre l'Algérie et la France. Peu après l'arrivée de Bouraoui sur le territoire français, fuyant l'Algérie, Alger a retiré son ambassadeur à Paris, accusant les autorités diplomatiques françaises de participer à une opération "clandestine et illégale".

Cependant, la France n'est pas seule en cause dans cette affaire, puisque le pays d'où Bouraoui a décollé est la Tunisie. Le gouvernement tunisien de Kais Saied a autorisé l'activiste à quitter le pays sur un vol à destination de Lyon après que Paris soit intervenu par l'intermédiaire de son ambassade à Tunis.

Cependant, malgré la controverse et l'implication de la Tunisie dans cette affaire, l'Algérie est prête à passer outre afin d'éviter l'isolement régional. Le gouvernement d'Abdelmadjid Tebboune n'a aucun intérêt à entamer un nouveau conflit au milieu de crises avec le Maroc, l'Espagne, la France ou l'Égypte. 

Pour cette raison, et dans le but de tourner la page de l'affaire Bouraoui, Tebboune a eu un entretien téléphonique avec son homologue tunisien, Saied, avec lequel il a abordé "des questions bilatérales d'intérêt commun", selon un communiqué de la présidence algérienne. La note officielle souligne également que les deux parties ont mis en avant "les fortes relations fraternelles bilatérales entre les deux pays frères".

Pour sa part, Bouraoui, consciente de ce que sa fuite de Tunisie pourrait signifier pour les relations entre les deux pays, a présenté des excuses publiques à l'État tunisien. La militante franco-algérienne a souligné qu'elle "n'avait pas d'autre choix". La journaliste et opposante au régime Tebboune a dû quitter le pays en raison de la répression croissante des militants algériens liés au Hirak, ainsi que des reporters indépendants.

Après la fuite de Bouraoui vers la France, sa mère et sa sœur ont été arrêtées par les autorités algériennes à la suite d'un raid sur leur maison. Comme l'a rapporté le Comité national pour la libération des détenus (CNLD), sa sœur, Wafa, a été libérée, mais sa mère, Khadidja, âgée de 74 ans, reste en détention. 

Concernant le fossé diplomatique entre Alger et Paris, Bouraoui rappelle que les autorités françaises l'ont protégée "uniquement" parce qu'elle est une citoyenne française. "Si j'avais su que ce voyage allait provoquer une crise diplomatique entre l'Algérie, la France et la Tunisie, j'aurais quitté le pays par la mer sur un bateau d'immigration clandestine", a-t-elle déclaré au média tunisien Radio Mosaïque, dont le directeur a récemment été arrêté dans le cadre d'une vague d'arrestations.

La Tunisie ne souhaite pas non plus de confrontation dans un contexte de crise économique et d'instabilité politique

Comme l'Algérie, la Tunisie n'a aucun intérêt à ouvrir une brèche diplomatique avec son voisin au milieu d'une grave crise économique et politique. En ce sens, tout comme Alger passe sous silence l'implication de la Tunisie dans l'affaire Bouraoui, le gouvernement Saied évite le récent conflit frontalier avec l'Algérie

Peu après l'évasion de Bouraoui, les autorités algériennes ont arrêté 200 voitures tunisiennes à la frontière entre les deux pays. Comme l'ont rapporté plusieurs témoins, les agents de sécurité algériens ont empêché les véhicules transportant des marchandises et des denrées alimentaires de passer, obligeant certains d'entre eux à décharger complètement leur cargaison.

En plus de ce qui s'est passé à la douane, Radio Mosaique rapporte qu'une entreprise de bouteilles de gaz dans la région frontalière de Kasserine n'a pas été approvisionnée par l'Algérie depuis jeudi dernier. Selon la société tunisienne, la société qui produit des bouteilles de gaz en Algérie a réclamé la perte d'un des matériaux utilisés pour les fabriquer, en violation des termes du contrat signé avec la partie tunisienne.

Plusieurs analystes ont souligné que ce qui s'est passé à la frontière était une conséquence directe de la fuite de Bouraoui vers la France via la Tunisie et que cela ouvrirait une crise diplomatique entre Alger et la Tunisie. 

Cependant, aucun des deux pays n'est intéressé par une telle situation, étant donné leurs problèmes internes et externes. En effet, lors de l'appel téléphonique, Tebboune a assuré qu'il avait ordonné "de ne pas entraver le déplacement aux postes frontières des frères tunisiens qui souhaitent entrer ou sortir d'Algérie".

Cette conversation entre les deux présidents intervient peu après que le ministre algérien de la Communication, Mohamed Bouslimani, ait accusé la presse française de "tenter de déstabiliser" les liens de son pays avec la Tunisie, affirmant que ces relations sont "fortes et fraternelles". Le ministre a ajouté que Tebboune "était au courant de l'affaire" et voulait "confirmer la solidité" des liens bilatéraux.