L'Europe étend les sanctions contre la Turquie pour la crise de la Méditerranée orientale
Le sujet tabou que personne ne voulait toucher à la Commission européenne a fini par tomber de son propre poids. Après avoir reporté les discussions, le Conseil de l'Union européenne (UE) a adopté vendredi une prolongation d'un an du cadre existant pour l'imposition de sanctions, qui touchent déjà deux personnes, en réponse à la prospection pétrolière "non autorisée" de la Turquie en Méditerranée orientale, dans les eaux au large de Chypre et de la Grèce.
Ainsi, "l'Union européenne conservera sa capacité à imposer des mesures restrictives spécifiques aux personnes ou entités responsables ou impliquées dans des activités de forage pétrolier non autorisées en Méditerranée orientale", a souligné le Conseil de l'UE dans un communiqué de presse.
Les mesures punitives se poursuivront au moins jusqu'en novembre 2021. Depuis février, ce plan touche principalement deux compagnies pétrolières turques en raison de leur implication dans des activités de forage non autorisées au large des côtes chypriotes en Méditerranée orientale.
Plus précisément, les personnes sanctionnées sont deux dirigeants de la compagnie pétrolière turque TPAO. Il s'agit du vice-président de la société, Mehmet Akalin, et du directeur adjoint du département de l'exploration, Ali Coscun Namoglu.
Les sanctions imposées par le club de l'UE consistent en une interdiction de voyager sur le territoire de l'UE et en un gel des avoirs, tant pour les personnes physiques que pour les entités. En outre, il est interdit aux personnes ou entités de l'Union de mettre des fonds à la disposition de toute personne figurant sur la liste des sanctions.
En novembre 2019, l'Union a donné le feu vert au cadre juridique pour adopter des mesures restrictives en réponse à ces activités et, en juillet de la même année, elle a décidé de suspendre les négociations avec la Turquie sur un accord aérien, d'annuler les réunions politiques de haut niveau, de réduire les fonds accordés au pays en tant qu'État candidat à l'adhésion à l'UE et de restreindre les prêts de la Banque européenne d'investissement.
La lutte acharnée de la Turquie en Méditerranée orientale a mis à rude épreuve ses relations avec l'Union européenne. En octobre 2018, la Turquie a envoyé un premier navire de forage pour rechercher du gaz naturel dans les eaux au large de l'île de Chypre, malgré les tensions avec la Grèce et le club européen causées par les explorations précédentes.
Non contente de cela, la Turquie a envoyé un deuxième navire en juin 2019. Sous prétexte que le gouvernement d'accord national libyen (NAG) lui avait donné l'espace maritime pour ses activités, le pays anatolien a commencé à explorer les zones économiques exclusives (ZEE) de Chypre et de la Grèce.
Les activités d'exploration et de prospection de gaz dans les eaux en litige avec la Grèce et Chypre ont été l'une des questions qui ont le plus tendu les relations entre la Turquie et le bloc européen et qui revient régulièrement sur la table des Conseils européens qui réunissent les chefs d'État et de gouvernement de l'Union. De plus, la France est intervenue militairement en Méditerranée, soutenant la Grèce et exerçant des pressions sur le terrain pour empêcher la Turquie de poursuivre ses activités.
En octobre, le directeur de l'Alliance atlantique (OTAN), Jens Stoltenberg, a tenté de calmer les eaux en ouvrant une ligne de communication directe entre la Turquie et la Grèce. À ce stade, la Turquie a retiré ses navires et il semblait que la tension allait disparaître. L'idée de deux pays membres de l'Alliance se faisant face de cette manière inquiète Stoltenberg qui voit la force de l'OTAN vaciller.
Mais pas une semaine ne s'est écoulée avant que le navire de prospection "Oruc Reis" ne retourne à l'action, avec deux autres navires de suivi, laissant tous les commissaires européens qui évitent les sanctions sévères contre la Turquie stupéfaits.
Suite à une initiative diplomatique menée par l'Allemagne, l'Union s'est engagée à revoir ses relations avec la Turquie en décembre, dans l'espoir qu'Ankara cesse ses actions belligérantes dans la région. Sinon, les dirigeants européens envisageront des sanctions directement contre le gouvernement de Recep Tayyip Erdogan.
Il est important de rappeler que la Turquie contrôle actuellement le robinet migratoire qui va vers l'Europe et qu'elle entretient et contrôle également les gazoducs et les oléoducs qui fournissent du chauffage aux pays du nord de l'Union.
Le nouveau sommet qui doit se tenir en décembre prévoit un ensemble de mesures sévères pour la Turquie. Auparavant, Chypre et la Grèce étaient les seuls partisans de sanctions contre le pays ottoman, mais il semble que la France va maintenant s'y rallier. "Nous allons promouvoir des mesures de réaction européennes fortes, dont le dernier outil est la sanction", a déclaré le secrétaire d'État français aux affaires européennes, Clément Beaune, au Sénat.
Le président du Conseil européen, Charles Michel, a souligné que "le sommet de décembre servirait à faire le point sur la situation", a déclaré le Premier ministre grec Kyriakos Mitsotakis qui a indirectement appelé à "un embargo sur la vente d'armes à ce pays".
Au niveau international, les yeux du monde entier sont tournés vers Erdogan car il est présent dans la plupart des points chauds du nouvel ordre mondial, de la Libye à la mer Égée, en passant par la Syrie, l'Irak et maintenant aussi le Haut-Karabakh.