Un rapport de la Commission internationale d'enquête détaille un total de 140 crimes commis par des soldats et d'autres groupes rebelles armés

L'ONU accuse l'armée malienne de "crimes de guerre"

PHOTO/AFP - Des soldats maliens montent la garde dans un véhicule militaire

La Commission internationale sur le Mali, établie dans la région depuis l'accord de paix de 2015 et composée de la Suédoise Lena Sundh, du Camerounais Simon Munzu et du Mauricien Vinod Boolell, accuse l'armée malienne de "crimes de guerre", ainsi que plusieurs groupes extrémistes armés de "crimes contre l'humanité". Les conclusions sont issues d'une enquête menée entre 2012 et 2016. Le rapport, envoyé au Secrétaire général des Nations unies, António Guterres, a été transmis aux 15 membres du Conseil de sécurité à la mi-décembre.

Dans ce document de 350 pages, les enquêteurs concluent que la Commission "a des motifs raisonnables de croire que les forces de sécurité et de défense du Mali ont commis des crimes de guerre, y compris des violences contre la vie des civils et des personnes hors de combat et ne sont pas soupçonnées d'être affiliées ou de coopérer avec des groupes extrémistes armés". Jusqu'à présent, la seule source d'accès au rapport a été l'agence AFP.

Ses conclusions peuvent fournir une nouvelle base juridique pour poursuivre des affaires similaires à l'avenir. Cependant, l'armée malienne n'est pas la seule accusée, mais la première d'une longue liste qui comprend des groupes armés comme les rebelles touaregs du Mouvement national pour la libération de l'Azawad (MNLA) et d'autres groupes armés pro-gouvernementaux comme le GATIA et le CMFPR-1. Egalement la milice Dan Nan Ambassagou, constituée comme défenseur des Dogon - une population malienne non musulmane - accusée du meurtre de 39 civils, dont des enfants. Bien qu'ils se qualifient de "milice d'autodéfense" contre les djihadistes.

Les attaques comprennent "des meurtres, des mutilations et autres traitements cruels, des viols et autres formes de violence sexuelle, des prises d'otages et des attaques contre le personnel humanitaire et le personnel de la MINUSMA". Carlos Echevarría Jesús, professeur de relations internationales à l'UNED et chercheur à l'IEEE, a souligné dans une publication de 2017 que cette dernière est définie comme "la plus dangereuse de toutes les missions de paix de l'ONU" car en juin de cette année-là, elle a vu 115 membres tués en seulement quatre ans d'existence.

En février dernier, Human Rights Watch a averti que "plusieurs groupes armés au Mali ont intensifié leurs attaques contre les civils, massacrant les gens dans leurs villages et exécutant les hommes pris dans les véhicules de transport public en raison de leur appartenance ethnique". Les attaques aveugles ne se sont pas arrêtées là, "de nombreux villageois ont été brûlés vifs, tandis que d'autres ont été détruits par des engins explosifs.

Une transition instable

L'accusation est le point culminant du chaos institutionnel dans lequel le pays est plongé. L'insécurité pressante causée par la menace islamiste, ajoutée à la violence intercommunautaire croissante, ainsi que la crise économique et sanitaire ont été à l'origine du coup d'État du mois d'août dernier. La démission forcée de l'ancien président Boubacar Keita a entraîné la mise en place d'un gouvernement de transition dirigé par Bah Ndaw, l'ancien ministre de la défense.  

Nommé à ce poste le 21 septembre par la junte militaire issue du soulèvement, Ndaw est accompagné par Assimi Goita, leader du coup d'Etat, en tant que vice-président. Quelques jours plus tard, Moctar Ouane a été nommé Premier ministre. Le 5 décembre, il a déclaré à plusieurs médias internationaux que le gouvernement malien était ouvert au dialogue avec les groupes terroristes.

En outre, la Cour constitutionnelle du Mali a rendu hier un arrêt contre plusieurs des articles du document réglementant les fonctions du Parlement de transition et a exigé qu'ils soient mis en conformité avec la Constitution. L'institution contredit la période de transition de 18 mois depuis l'entrée en fonction de Ndaw, prévue dans la feuille de route convenue. Le comité stratégique du M5-RFP, agissant comme opposition, a fortement critiqué la "militarisation des institutions" et la "négligence des partis et mouvements politiques", autrefois relégués du gouvernement d'unité.

Un chaos institutionnel prolongé

Depuis son indépendance de la France en 1959, le Mali a connu quatre coups d'État. Le contexte actuel est toujours marqué par le soulèvement de 2012. La chute de Kadhafi en Libye a permis aux séparatistes touaregs du nord du Mali de rassembler des armes et de mener une révolution pour créer la République d'Azawad, qui n'a été arrêtée que par les troupes françaises. La profonde instabilité qui a chassé le président de l'époque, Amadou Toumani Touré, le coup d'État par le biais et, depuis 2012, le radicalisme islamiste, la corruption institutionnelle et l'effet catalyseur du COVID-19 ont été le terreau parfait pour la réalisation d'un scénario qui tend à se répéter.