Nadia Nahman: "Certains gouvernements et organismes africains manquent gravement de crédibilité"
Nadia Nahman est la Cheffe de Cabinet et Porte-parole du Président de l’Union des Forces Démocratiques de Guinée (UFDG), principal parti d’opposition. C’est une jeune politicienne qui forme le futur de son pays. L’UFDG a beaucoup de chances de gagner une place au pouvoir de la Guinée après la réorganisation du gouvernement qui précédera très possiblement l’étape militaire qui a lieu après le coup d’état qui a retiré Alpha Condé du pouvoir.
Nahman a fait sa carrière universitaire en dehors de la Guinée, d’abords au Maroc, puis plus tard en France à Sciences-Po Strasbourg, là où elle s’est spécialisée en Droit International. En ce moment, elle termine son doctorat auprès de l’institution française.
En octobre, Nahman, avec d’autres membres d’une délégation de politiciens libéraux africains, a visité les institutions européennes tant à Bruxelles comme à Madrid de la main de la Fondation Friedrich Naumann. Un programme qui a visé à créer des relations de bonne entente entre les libéraux africains, comme avec les interlocuteurs d'Europe, autours de sujets importants comme la culture, le commerce et le développement, ou encore la sécurité.
Quelles sont les conclusions et le bagage que cette expérience avec la fondation Naumann et vos collègues libéraux vous donne avant de revenir en Guinée ?
Je pense que ce qui était intéressant à relever, c'est que le dialogue, il était intra et aussi extra, donc entre membres de différentes délégations appartenant à une sous-région qui est la sous-région ouest-africaine, entre Guinéens, entre Sénégalais, entre Ivoiriens, et aussi avec l’Europe.
Ce qui est intéressant, c'est de voir comment au-delà de nos frontières, on pouvait faire prospérer ces valeurs libérales auxquelles on attache autant d'importance. C'est vraiment le triptyque qui fonde d'ailleurs les statuts du Conseil de l'Europe, à savoir la démocratie, l'État de Droit et les droits de l'homme. Et c'est le même triptyque que l'on retrouve également dans les textes fondateurs de l'Union Africaine également et de la CEDEAO.
En ce qui concerne la CEDEAO, on a le protocole de 2001 sur la bonne gouvernance, les élections, la démocratie, la Charte Africaine également. Et comme j'aime à le dire, la sous-région ouest-africaine et à l'échelle continentale, on a un arsenal normatif qui n'a absolument rien à envier au système européen, au modèle d'intégration européenne sur lequel d'ailleurs en calque un peu notre arsenal, mais malheureusement, on doit observer qu'on pèche par un défaut d'effectivité, les textes existent, mais ils ne sont pas vraiment appliqués.
Donc, donc l'idée c'est de renforcer un peu ce que l'on pouvait faire de manière commune pour le continent, pour la sous-région. Et ce dialogue, comment est-ce qu'on arrive à le faire prospérer. Parce que on croit profondément aux vertus du dialogue, aux vertus du multilatéralisme également.
Et la Guinée a particulièrement souffert de ce dialogue de sourd parce que Monsieur Alpha Condé, dans les fantasmes qu'il entretenait autour de son 3ème mandat, a procédé à la fermeture unilatérale des frontières avec la Guinée-Bissau, avec le Sénégal, avec la Sierra Léone, avec la Côte d'Ivoire et les échanges économiques en ont véritablement pâti. Donc là je pense que quand on se parle ça ouvre de nouvelles perspectives et d’un point de vue espagnol, c'est intéressant de noter à quel point l'Espagne souhaite inscrire la question africaine au cœur de son agenda politique et de voir au-delà du Maghreb, de voir au-delà de Maroc et au-delà de l'Algérie et se dire que nous avons une Afrique subsaharienne qui avait une économie dynamique, freinée par le COVID, et qu’il il faut regarder au-delà du Maghreb et voir ces acteurs-là, d'autant que ce sont, ces acteurs que l'on retrouve ici en termes de migration aussi.
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Pour vous, quels sont les grands changements que la nouvelle route d’action UE-Africa va amener dans le futur ? Menaces, opportunités.
Moi, je pense qu'il faut partir du postulat selon lequel la Guinée ou le Sénégal ou le Mali n'est pas la chasse gardée d’un quelconque pays. C'est important de partir là-dessus et de se dire que ce que l'on observe, c'est quand même une rupture. Cette rupture, elle a été clamée haut et fort dans le discours de Ouagadougou que Monsieur Emmanuel Macron a délivré dans un amphithéâtre bondé d'étudiants.
Et on voit également que dans le discours de la rencontre à Montpellier, ce paradigme s'est renforcé. L’idée c’est de rompre avec tout paternalisme, tout néocolonialisme, toute situation de condescendance. On va ouvrir maintenant un nouveau chapitre, il s'agira maintenant de libérer les énergies collectives. Il ne faut pas que ça se fasse dans son sens unilatéral, l'Afrique a autant à apprendre de l'Europe que l'Europe a à apprendre de l'Afrique. C'est une question également de respect.
Et je pense qu'il y a un équilibre à avoir entre les partenaires. Le fait de se parler d'égal à égal, mais après, je pense qu'il ne faut pas non plus tomber dans un enthousiasme béat parce qu'on sait très bien qu'il y a des inégalités. Il y a des disparités et quand on a des États à l'égard desquels on a d'énormes disparités, c'est difficile de parler d'égal à égal.
Moi j'appartiens à une génération de jeunes africains qui s’est dit “enough is enough”. Quand on ne peut pas toujours se trouver des boucs émissaires. Cela fait plus de 60 ans que nous sommes indépendants. Nous sommes de jeunes États, donc à un moment donné, il faut interroger la mauvaise gouvernance, il faut interroger les pratiques qui ont lieu à l'interne et voir comment on avance.
Mais pour revenir à ce paradigme-là, je pense que aussi bien la France, les États-Unis, l'Union Européenne se retranche derrière ce principe de subsidiarité pour dire "des solutions africaines aux problèmes africains".
Mais pour le cadre précis de la CEDEAO, c'est justement la Guinée, a pâti de l'absence d'un dialogue politique avec tous les acteurs. Parce que quand il y a une rupture de confiance entre les acteurs à l'interne, qu'est-ce que l'on fait ? On va saisir les instances régionales. Mais les instances régionales ce sont la CEDEAO et L’Union Africaine. Ce sont des instances qui ont un manque de crédibilité dans la gestion de dossiers antérieurs, par exemple dans la gestion du dossier malien et même dans la gestion du dossier guinéen, par rapport à l’affaire du changement constitutionnel d’Alpha Condé.
Il a organisé un double référendum et des élections législatives le 22 mars, dans des conditions tout aussi controversé, au prix d'une répression meurtrière. On n'a pas eu le sentiment que la CEDEAO ait bougé malgré l'intangibilité de la limitation des mandats présidentiels. Donc aussi longtemps que la CEDEAO aura une gestion à géométrie variable des dossiers, on aura une région ouest-africaine instable parce qu'il y a quand même une résurgence des coups d’états que l’on n’observe pas dans le monde africain anglophone.
Quelle sont les positions de la société africaine par rapport à cette nouvelle perspective européenne ? Il y a une volonté d’entente parmi, des hostilités toujours présentes dans la rue ?
J'aimerais quand même remettre les choses en perspective. Je pense que on tombe facilement dans des raccourcis selon lesquels le sentiment anti-français c’est un jeune guinéen qui serait contre un français. Je pense que les relations se passent relativement bien mais comme on l'a vu lors des émeutes au Sénégal, c'est des jeunes s’en prendre à des symboles français comme Total ou Auchan. Ce sentiment là pour moi, c'est la conjonction de plusieurs facteurs. Déjà, il y a toujours l’héritage colonial qui peut apparaître parce qu'on veut un bouc émissaire. C'est tellement plus facile d'en trouver un. Ça, c'est un premier élément. Il y a la question aussi du franc CFA. Ou quand on prend la guerre en Libye par exemple, et l'intervention de la France dans la même. Donc je pense que le sentiment anti-français est plutôt contre la mauvaise gouvernance mais pas les Français en tant que tel.
La diaspora joue un rôle important dans ces relations, selon vous ?
Alors moi je pense que si les organisations internationales, les ONG, les États ont tendance à accorder la part belle à la société civile, c'est parce qu'elles trouvent difficilement des interlocuteurs crédibles auprès de nos États. Nos États se sont décrédibilisés en termes de gouvernance. Quand il y a de l'argent, il est difficile, même en termes de capacité d'adsorption. Nous n’arrivons pas à absorber l’aide au développement disponibles parce que les projets qui sont montés ne sont pas sérieux en raison de la corruption. Donc il y a un nouveau paradigme là aussi, qui fait que les états mettent la diaspora au cœur de l’affaire. Mais attention, la diaspora et la société civile ne sont pas des interlocuteurs exacts. Ce ne sont pas des partis politiques investis de la légitimité démocratique. Quand nous voyons Emmanuel Macron parler avec ces jeunes africains, c’est bien beau pour les photos, mais au nom de qui ou de quoi parlent ces jeunes ?
Cependant les diaspora son des ponts formidables. Des vraies passerelles entre les pays. Et j'ai l'intime conviction que les diasporas sont autant attachées à leur pays d'origine qu’à leur pays d'accueil. En cela, c'est une chance. C'est une chance parce qu'elles sont mieux imprégnées des réalités et elles ont leur mot à dire.
Après ce voyage avec la Fondation Naumann, vous pensez déjà à de nouvelles manières de créer des échanger et des liens entre l’Afrique et l’Europe ?
Absolument. Moi, je pense que les échanges, doivent être bilatéraux, multilatéraux. Je pense que le simple fait que vous et moi nous prenions place autour d'une table et qu'on échange ne serait-ce qu'une heure autour de nos pays. Cela laisse s'envoler plusieurs clichés. Parce qu'on remarque que les choses avancent enfin. Donc moi je pense que les échanges culturels me semblent être fondamentaux. Je l'ai dit d'ailleurs à l'ambassadeur d'Espagne en Guinée, un institut Cervantès pourrait créer des passerelles. Chaque échange fait de nous des ambassadeurs de nos pays.
Et il ne faut surtout par revenir en arrière, comme il est arrivé il y a quelques années quand Edouard Philippe était au pouvoir en France. Quand la France a décidé d'augmenter les frais d'inscription en étude c’était le cas d’un recul. En France, si les frais d'inscription l'année est à 3000€, j'aurais décidé de partir en Chine ou en Inde ou ailleurs. Comme par exemple la Turquie, qui a une présence de plus en plus offensive en Afrique depuis les derniers 20 ans. C’est quelque chose de nouveau de voir que les étudiants africains se tournent vers la Turquie, la Chine et même l’Inde au lieu de vers l’Europe, malgré les héritages communs que nous avons, comme par exemple la francophonie. Cet héritage se transpose sur nos constitutions et nos textes, qui sont presque calqués sur la constitution française de manière générale. Mais au même temps nous voyons la Chine, la Russie, gagner du terrain en Afrique. Et je peux vous dire que c’est du multilatéralisme, il faut commercer avec tous les États, c'est l'intérêt de la Guinée. Mais lorsqu'on prend l'accord de Cotonou, qui régit les relations avec les États Afrique-Caraïbes-Pacifique, vous avez un article, c'est l'article 96 qui conditionne l'aide et les relations selon des principales de démocratie, droits de l'homme, État de droit.
Par contre, quand on a la Chine qui vient, je prends l'exemple de mon pays, signer un accord de plusieurs milliards de dollars sur 20 ans dans une opacité totale, sans que ça ne passe par l'Assemblée nationale, alors là, il y a de quoi se poser des questions.