Poutine encourage un coup d'État en Ukraine
Tous les regards sont encore tournés vers l'Ukraine à cette heure, où l'invasion à grande échelle lancée tôt jeudi matin par le président russe Vladimir Poutine est dans une phase décisive. Dans les jours ou les heures à venir, la capitale du pays, Kiev, pourrait tomber aux mains de la Russie, dont la campagne militaire a tué au moins 137 Ukrainiens et menace de renverser le gouvernement élu de Volodymir Zelensky et d'installer à sa place un régime fantoche pour satisfaire les ambitions impérialistes de Poutine, exposées dans son discours à la nation lundi.
M. Poutine a fait part de sa volonté de s'asseoir à la table des négociations avec M. Zelensky, quelques heures après que le président ukrainien se soit ouvert à la discussion d'un "statut neutre" pour son pays par rapport à une éventuelle adhésion à l'OTAN, l'une des principales exigences de la Russie ces dernières semaines. C'est ce qu'a annoncé le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, qui a assuré que le président russe envisageait d'envoyer une délégation diplomatique au Belarus pour ouvrir une table de négociation avec ses homologues ukrainiens. Une sorte de Minsk III qui garantirait le respect de l'accord cette fois-ci.
Mais les conditions de la guerre naissante empêchent pour l'instant un retour au domaine de la diplomatie. L'armée russe ne laisse aucun répit et poursuit son offensive militaire sur l'Ukraine, attaquant sur plusieurs flancs. Du sud par la péninsule de Crimée, annexée à la Russie en 2014, du nord-ouest et de l'est par les zones aux mains des séparatistes pro-russes de Lougansk et Donetsk, et du nord par la frontière avec la Biélorussie, en prenant Tchernobyl. Une zone à partir de laquelle il s'est introduit dans Kiev.
Les frappes aériennes de l'armée russe sur les installations et les infrastructures militaires ukrainiennes, visant à neutraliser ses ressources, ont fait place à des incursions terrestres dans le pays, qui ont donné lieu à des images poignantes. Une phase avancée des combats dont le centre névralgique s'est établi dans la capitale, une enclave cruciale pour le contrôle du pays. Kiev est la scène d'un siège. Les sons des sirènes et des bombes brisent le silence sépulcral qui emplit les rues vides dans lesquelles les soldats russes tentent d'avancer dans le combat avec les forces ukrainiennes.
L'ancien boxeur et actuel maire de Kiev, Vitali Klichko, a reconnu la situation délicate dans la capitale. Le champion du monde de boxe a appelé ses voisins à le défendre : "Tous ceux qui le peuvent doivent s'unir et aider nos soldats". L'un de ces citoyens qui ont serré les rangs est l'ancien président Petro Porochenko. Le leader issu de la révolution de Maïdan en 2014, qui finira par être battu aux élections de 2019 par Zelensky, est apparu sur l'antenne de CNN muni d'une kalachnikov et chargeant vertement contre Vladimir Poutine.
Jusqu'à présent, le scénario envisagé par les services de renseignement américains se déroule malgré le fait que l'armée russe semble avoir perdu des forces ces dernières heures, selon de hauts responsables du ministère de la défense. Les forces envoyées par Moscou n'avancent pas aussi rapidement que prévu, mais les mêmes sources préviennent que la chute de Kiev pourrait être une question d'heures si aucune solution alternative n'est trouvée. En outre, l'existence d'espions et de saboteurs dans les rangs ukrainiens aurait facilité la campagne russe.
Dans le reste du pays, la situation n'est guère meilleure. Un contexte de désolation qui a conduit quelque 70 000 personnes à quitter l'Ukraine depuis le début de l'invasion. Tous les départs se sont faits par voie terrestre en raison de la fermeture de l'espace aérien par le gouvernement de Kiev. La Moldavie et la Pologne sont devenues les principaux États d'accueil avec respectivement 20 000 et 30 000 citoyens ukrainiens. Un volume qui va augmenter de façon exponentielle dans les jours à venir et qui a déclenché en Europe la sonnette d'alarme sur une nouvelle crise des réfugiés.
Moscou affirme que son intervention violente vise à la "dénazification et à la démilitarisation" de l'Ukraine. Un faux prétexte sur lequel ils fondent leurs actions. Le cadre du Kremlin, qui qualifiait l'ancienne république soviétique de menace sérieuse pour sa sécurité nationale, a cessé de tenir dès lors que Poutine a nié à plusieurs reprises la souveraineté de l'Ukraine et rejeté sa légitimité en tant qu'État. Cette rhétorique impérialiste a été rejetée de manière quasi-unanime par la communauté internationale.
Moscou considère l'OTAN comme une menace. C'est ce qu'a réaffirmé vendredi la porte-parole du ministère des affaires étrangères du pays, Maria Zakharova, qui a menacé la Suède et la Finlande de graves représailles "militaires et politiques" si elles rejoignaient l'Alliance atlantique. En réponse, le secrétaire général de l'OTAN, Jens Stoltenberg, a annoncé un nouveau déploiement de troupes pour faire face à "toute éventualité". Mais il continue d'exclure une intervention en Ukraine.
"Prenez le pouvoir entre vos mains. C'est le message de Poutine à l'armée ukrainienne pour qu'elle prenne les armes contre son propre gouvernement. Comme l'a souligné Stoltenberg lui-même lors de son apparition, le président russe tente de promouvoir un coup d'État au sein du haut commandement militaire qui remplacerait l'exécutif dirigé depuis quatre ans par l'ancien acteur et comédien Volodymir Zelenski. Un dirigeant qui est arrivé au pouvoir en promettant la paix dans le Donbass et qui n'a fait que durcir sa position vis-à-vis de Moscou.
Poutine a décrit son homologue ukrainien et le reste de son cabinet comme "une bande de drogués et de néonazis". M. Zelenski, d'origine juive, a fait plusieurs apparitions publiques ces dernières heures et a précisé qu'il se trouvait toujours à Kiev dans une vidéo dans laquelle il est accompagné de son premier ministre et de son équipe de conseillers. Entre-temps, le président russe soutient qu'il s'est "retranché à Kiev en prenant le peuple en otage" et a encouragé les cadres militaires à prendre le contrôle afin de négocier avec Moscou.
Depuis le déclenchement de la guerre dans le Donbass contre les séparatistes pro-russes en 2014, l'Ukraine a mené une série de réformes structurelles au sein de ses forces armées. Les gouvernements successifs de Kiev ont investi dans la modernisation de l'armée pour la rendre conforme aux exigences de l'OTAN. Un objectif qui n'a pas été atteint en raison des faiblesses internes inhérentes au reste des institutions ukrainiennes, qui sont fragmentées par les luttes politiques et marquées par la corruption, le manque de transparence et les actions abusives, ainsi que la méfiance entre les cadres. Ce sont des faiblesses que Poutine essaie d'exploiter.
La cascade de réactions au niveau international n'a pas cessé. L'UE s'apprête à renforcer le régime de sanctions contre la Russie en gelant les avoirs du président russe Vladimir Poutine et de son ministre des affaires étrangères, Sergueï Lavrov, en poste depuis 2004. Toutefois, aucune interdiction de voyager ne leur sera imposée. Dans le même temps, le ministre français des finances, Bruno Le Maire, a rouvert le débat sur l'exclusion de la Russie du système de connexion des transferts SWIFT. Une route approuvée par l'Espagne mais considérée avec un certain scepticisme par l'Allemagne.
Plus tôt dans l'après-midi, M. Poutine a eu une conversation téléphonique avec le président chinois Xi Jinping pour discuter de la situation en Ukraine. Surprenant les observateurs et les analystes, Pékin a adopté une position plus réservée à l'égard de la campagne russe et a préconisé un retour aux négociations. Une recommandation que Xi Jinping a lui-même transmise à Poutine. Poutine a laissé la pierre sur le toit de l'Ukraine, l'ancienne république soviétique qu'il fait maintenant chanter.