La décision du président Saied plonge la Tunisie dans une crise politique sans précédent

Le président tunisien assume les pleins pouvoirs gouvernementaux

PHOTO/ TUNISIAN PRESIDENT'S OFFICE/via REUTERS TV - Le président tunisien Kais Saied s'adresse à la nation dans cette image prise depuis le bureau du président tunisien, Tunis 25 juillet 2021

La crise politique en Tunisie a explosé. Le président tunisien, Kais Saied, au milieu de la crise sociale, économique et sanitaire que traverse le pays, a décidé dans sa dernière décision de suspendre les pouvoirs parlementaires et d'assumer les pleins pouvoirs dans ce que les entités politiques du pays considèrent déjà comme un coup d'état. De même, Saied a limogé le premier ministre, Hichem Mechichi, avec lequel il menait une bataille politique depuis janvier, mettant ainsi en scène une crise politique sans précédent depuis le déclenchement du Printemps Arabe.

Cette décision intervient après que des centaines de manifestants ont décidé de descendre dans la rue pour protester contre le gouvernement tunisien, dirigé par le Premier ministre Hichem Mechichi, afin d'exiger sa démission, ainsi que la dissolution du Parlement et la réforme du système politique. En plus de cela, la mauvaise gestion de la santé et la crise économique que traverse le pays font partie des éléments déclencheurs qui ont poussé la population tunisienne à descendre dans la rue. Ces dernières heures, la police tunisienne a saisi les bureaux d'Al Jazeera et expulsé ses journalistes. 

Après l'annonce de Saied à la télévision publique, des milliers de personnes sont descendues dans la rue pour manifester publiquement leur soutien au président. Parallèlement, Saied lui-même a rejoint ses partisans dans les rues pour célébrer sa décision de geler le parlement et de dissoudre le gouvernement. Les marches ont été autorisées par la police malgré le couvre-feu que la Tunisie maintient de 20 heures à 5 heures du matin comme mesure exceptionnelle pour freiner la propagation de la pandémie de COVID-19.

En ce sens, la Tunisie traverse une situation sanitaire "catastrophique", comme l'a décrit le gouvernement tunisien, suite au pic de cas qui a conduit au plus grand nombre d'infections depuis le début de la pandémie. Suite à cette annonce, le Maroc et les Emirats Arabes Unis ont envoyé une aide sanitaire "urgente" pour aider à résoudre la situation sanitaire et épidémiologique du pays.

Cette situation sanitaire compliquée a conduit au limogeage du ministre de la santé, Faouzi Mahdi, qui a été démis de ses fonctions un jour avant de lancer une campagne de vaccination qualifiée d'"anarchique", selon l'agence de presse publique TAP.

En revanche, le seul parti qui a montré son opposition à la position du président a été le parti Ennahda après que le président du parlement, Rached Ghannouchi, ait accusé le président Saied d'"annuler la révolution et la constitution" et défendu "que les institutions restent en place, et que les partisans d'Ennahda et le peuple tunisien défendent la révolution". Dans cette optique, Ghannouchi a organisé des manifestations devant le parlement et a appelé ses partisans à se joindre à lui pour manifester contre les décisions du président. Dans cette veine, le premier parti au Parlement a qualifié la situation de "coup d'État",

De même, le parti Attayar (Courant démocratique), qui fait partie du Bloc démocratique, a déclaré qu'il "n'est pas d'accord avec l'interprétation que fait le président Saied de l'article 80 de la Constitution et rejette les décisions et les procédures qui découlent de l'extérieur de la Constitution". Parallèlement, le porte-parole du président turc, Ibrahim Kalin, a déclaré dans un tweet qu'ils rejetaient "la suspension du processus démocratique et le mépris de la volonté démocratique du peuple dans la Tunisie amie et fraternelle". Nous condamnons les initiatives sans légitimité constitutionnelle et sans soutien populaire". 

Les rivalités politiques sont si évidentes que l'armée tunisienne a empêché Rached Ghannouchi d'entrer dans le bâtiment du Parlement, au cœur de la capitale tunisienne. 

Dans cette optique, les villes de Gafsa, Sidi Bouzid, Monastir et Nabeu ont organisé une journée de manifestations de masse qui ont reflété la lassitude générale de la population tunisienne face à la crise. Dans la ville même de Sousse, sur la côte est de la Tunisie, des manifestants ont tenté de prendre d'assaut le siège du parti Ennahda, la formation politique la plus farouchement opposée aux préceptes de l'islam. Dans cette optique, certains analystes associent la formation politique à l'organisation des Frères musulmans, qui est considérée comme une organisation terroriste par des pays comme l'Égypte et les États-Unis.  

Dans une déclaration présidentielle, le président a ajouté que "nous ne voulions pas recourir à des mesures malgré le respect des conditions constitutionnelles, mais d'un autre côté, beaucoup de gens ont été trompés par l'hypocrisie et la trahison". Parallèlement, le président a mis en garde ceux qui décideraient de prendre les armes et de tirer sur les forces armées : "Ils recevront des balles.

Kais Saied, élu en 2019 avec 70% des voix à la présidence de la République, a décidé d'appliquer l'article 80 de la Constitution tunisienne, c'est-à-dire de geler "tous ses actes" en cas de "danger imminent", compte tenu du caractère constitutionnel qui empêche la dissolution du Parlement. L'article 80 stipule qu'"en cas de menace imminente mettant en danger l'entité, la sécurité ou l'indépendance de la nation et empêchant le fonctionnement normal des institutions de l'État, le Président de la République peut adopter les mesures requises par cet état d'urgence". 

La fragilité de la situation politique du pays, due aux pactes politiques entre les groupes parlementaires en raison de l'absence d'un parti politique disposant d'une majorité parlementaire et aux divergences entre l'exécutif et le président de la République, fait que le système politique tunisien ne peut plus être maintenu.

La lassitude des Tunisiens face à la situation compliquée du pays est évidente et s'est répercutée dans les rues du pays. Cette situation chaotique pourrait être l'occasion pour le président de consolider son pouvoir dans un contexte qui exige sécurité et stabilité.

Toutefois, le succès de sa décision dépendra dans une large mesure de la position des acteurs politiques nationaux et internationaux de la région, car son propre rôle a été déterminant pour empêcher le pays de déclarer ouvertement faillite et pour soutenir une démocratie qui s'est avérée être dans un état constant de fragilité jusqu'à son effondrement final.