Qassem Soleimani : une mort qui ouvre la boîte de Pandore
Qassem Soleimani était devenu l’un des principaux personnages en Iran et à l’étranger. Né au sein d’une famille de paysans et dès sa plus jeune enfance, il a dû faire face aux travaux les plus durs. Dans un climat de désaccord avec le régime sah, il a contacté, dans sa jeunesse, l’entourage des chefs religieux chiites, ce qui lui a permis de prendre des positions dans la milice après la révolution islamique iranienne. La guerre contre l’Irak a atteint les plus hauts grades de la hiérarchie militaire, et sa religiosité et son courage en ont fait une légende.
La situation régionale, à cheval sur le changement de siècle, avec la défaite des Talibans en Afghanistan et l’élimination de Saddam Hussein en Irak, il a favorisé l’expansion extérieure des iraniens qui n’ont pas été contenus par leurs principaux ennemis. La nomination de Soleimani à la tête de la force Qods a été l’un des plus grands succès iraniens à moyen terme, car le général a appliqué avec brio tous les instruments du pouvoir en faveur de l’expansion iranienne1.
Les derniers développements dans la région ont provoqué des tensions entre les États-Unis. Les États-Unis et l’Iran est de plus en plus en concurrence pour le pouvoir, alors que d’autres puissances mondiales et régionales sont également impliquées. La mort de Soleimani a provoqué une augmentation extrême de cette tension et un risque considérable de déstabilisation dans toute la région.
Fin 2015, un accord nucléaire a été conclu entre l’Iran et le groupe P5+12. Bien que l’accord obtenu ne soit pas parfait, l’administration Obama considérait qu’il s’agissait du meilleur des choix possibles. Toutefois, le candidat de l’époque, Trump, a souligné dans son programme électoral le retrait de cet accord qui prendrait effet en mai 2018, accompagné de l’imposition de sanctions. Dans son communiqué, l’ancien président américain a accusé l’Iran d’être un État promoteur du terrorisme, que les franges laissées ouvertes par l’accord pourraient conduire à la prolifération nucléaire par l’Iran et que les Iraniens disposaient d’un important programme de missiles balistiques3.
En contrepartie, l’Iran a commencé à enrichir de l’uranium dans son usine de Natanz et a annoncé qu’il ne respecterait pas les limites convenues pour le stockage de l’eau lourde en plus de la reconstruction du réacteur nucléaire d’Arak, si les autres participants à l’accord se joignaient aux sanctions américaines. Début 2019, le Royaume-Uni, la France et l’Allemagne ont tenté de mettre en place un instrument de soutien aux échanges commerciaux avec l’Iran (INSTEX) qui n’a finalement pas atteint les résultats escomptés4.
Au printemps 2019, les tensions entre l’Iran et les États-Unis. C’est le cas. il était plus que manifeste dans l’environnement factuel, puisque les américains avaient qualifié la Garde de la Révolution islamique d’organisation terroriste, légitimant une éventuelle intervention armée contre cette organisation. Parallèlement, la pression économique s’accentuait du fait de l’annulation des extensions sur les activités liées à la transaction de produits pétroliers, de métaux et d’activités nucléaires. Ces mesures ont été accompagnées par le positionnement à proximité du golfe Persique d’une équipe de combat aéronautique basée sur un porte-avions et le déploiement d’une aile de bombardiers de la force aérien5.
En mai, quatre pétroliers de différentes nationalités ont été touchés par des mines dans les eaux émiraties, l’Iran étant accusé de l’incident par le conseiller américain en sécurité John Bolton6. En juin, deux pétroliers ont été attaqués dans les eaux du golfe d’Oman, cette fois par le secrétaire d’État à la sécurité, Mike Pompeo, qui a accusé l’Iran de l’événement7.
De même, au cours du mois de septembre, des installations pétrolières saoudiennes ont été attaquées par le mouvement yéménite Houthi au moyen de systèmes aériens habités à distance (RPAS), accusant les Arabes d’Iran de fournir des armes aux rebelles yéménites8.
La décision américaine de prendre une mesure majeure a été prise fin décembre à la suite de la mort d’un entrepreneur américain civil à la suite d’une attaque de missiles la base du Kurdistan irakien et d’autres militaires américains et irakiens seraient blessés9.
Bien que la première option n’ait pas été d’agir contre Soleimani, d’autres indices ont fait penser aux Américains qu’une attaque majeure était lancée contre leurs intérêts. Parmi ceux-ci figurait le voyage que Soleimani effectuait dans la région, en rencontrant les dirigeants chiites en Syrie, au Liban et en Irak, qui a été interprété comme l’intensification d’un effort offensif anti-américain.
Ce voyage s’est accompagné d’informations sur un transfert que Soleimani comptait effectuer à Téhéran pour demander l’approbation d’une opération de grande envergure10. La décision finale a peut-être été prise à la suite des manifestations très dangereuses qui ont eu lieu devant l’ambassade des États-Unis à Bagdad, à la suite des attaques américaines contre les bases des milices chiites, qui ont fait penser au président Trump à la nécessité de déclencher une intervention plus forte. À cet égard, il faut tenir compte de la sensibilité américaine au souvenir de la prise d’otages dans son ambassade de Téhéran en 1979 et que, pour Trump, une période préélectorale s’ouvre dans laquelle il ne peut montrer de faiblesse devant ses électeurs.
L’action a eu lieu à proximité de l’aéroport de Bagdad, après l’arrivée de Soleimani et son transfert ultérieur dans un véhicule, une partie des renseignements nécessaires pour mener l’opération pouvant être fournis par Israël, car la façon d’éliminer la cible est plus proche des actions israéliennes que des actions américaines, qui ont tendance à utiliser des forces d’opérations spéciales. Le moyen utilisé était un RPAS, peut-être un Predator armé de missiles Hellfire R9X Ninja qui, n’étant pas en mesure de déterminer clairement la cible individuelle, a dû détruire le convoi dans lequel se trouvait Soleimani, tuant, entre autres, a Abu Mahdi Al Muhandis, membre éminent de la milice chiite iraquienne hashed Al Shaabi11.
Toutefois, le manque de communication entre les différents acteurs peut conduire à des malentendus. Le Premier ministre iraquien par intérim, Adil Abdul-Mahdi, avait réussi à mettre fin au harcèlement de l’ambassade des États-Unis à Bagdad, ce que le président Trump a remercié. Après le retour au calme, rien ne laissait penser à une intervention militaire américaine le matin de la mort de Soleimani, ni à l’insécurité de la situation à Bagdad. C’est pourquoi Mahdi avait pris rendez-vous avec Soleimani pour tenter de désamorcer les tensions avec l’Arabie saoudite en utilisant les Iraquiens comme médiateur12.
La mort de Soleimani a eu un impact dévastateur sur l’Iran, dont le peuple et les dirigeants se sont unis dans la douleur et la soif de vengeance pour la mort du héros le plus populaire des Iraniens. Dans tout le pays, des manifestations massives ont eu lieu et les dirigeants ont appelé à la vengeance, qui s’est matérialisé dans la résolution du parlement iranien qui qualifie de terroristes le Pentagone et toutes les forces militaires états-uniennes13.
Les réactions internationales se sont concentrées sur la recherche de la désescalade du conflit et la limitation de ce type d’actions. À cet égard, les principales capitales européennes, la Chine et les Émirats arabes unis, se sont manifestées, tandis que le prix du pétrole franchissait la barre des 70 dollars. Pour sa part, la Russie estime que l’action américaine peut déstabiliser toute la région14.
Au sein même de l’Irak, son Parlement a adopté une résolution non contraignante annulant la demande d’aide justifiant la présence américaine au sein de la coalition contre le Dáesh, à laquelle participe également l’Espagne. Cependant, dans ce pays en proie à une crise gouvernementale majeure, seul le Premier ministre intérimaire irakien a le pouvoir de le mener à bien15.
Des sources des services de renseignements américains auraient pu intercepter les conversations des dirigeants iraniens en évoquant les possibilités de représailles, y compris l’enlèvement et le meurtre d’Américains, attaques contre le personnel diplomatique, cyberattaques ou attentats contre les installations pétrolières qui intéressent les américains. Face à cette situation, les Etats-Unis n’ont pas seulement ordonné l’évacuation de leur personnel diplomatique d’Irak, mais de tous leurs ressortissants dans ce pays16.
À la date de clôture de ce document, les premières réactions iraniennes se sont traduites par un lancement sans victimes de plusieurs missiles sur des bases américaines en Irak. Un communiqué de la Garde révolutionnaire iranienne a revendiqué cette action, ajoutant que tout pays qui héberge des troupes américaines peut faire l’objet d'«actes agressifs et hostiles» et a souligné la demande adressée à la citoyenneté américaine d’exiger de son gouvernement le retrait des troupes de la région17.
Dans le grand Moyen-Orient, on est parvenu à un contexte dans lequel l’absence d’interdépendance entre les acteurs antagonistes les a conduits dans une situation de réalisme offensif, où l’on ne voit que des actions de « somme nulle », où les gains des uns sont les pertes des autres.
Cette situation peut conduire à un manque d’information, mais il faut prendre des décisions qui peuvent souvent conduire à des erreurs, en raison du manque de données ou de perceptions erronées.
Considérant le déni réciproque des divers acteurs régionaux et internationaux qui s’est traduit par un manque de communication, la mort de Soleimani constitue une escalade évidente des hostilités en raison du manque marqué de relations. Dans ce contexte, un certain nombre d’acteurs non étatiques, comme le Daesh, peuvent obtenir un avantage de positionnement, car le conflit entre leurs ennemis leur donne la pause nécessaire pour se reconstituer, ainsi qu’un vide de pouvoir où pouvoir poursuivre à nouveau son expansion.
Une autre conséquence observée a été le regroupement de toutes les forces politiques et sociales de l’intérieur de l’Iran autour de la mémoire du général Soleimani. Jusqu’à présent, la dissidence interne atteignait certains de ses objectifs dans un contexte de crise économique qui aurait pu conduire à une plus grande ouverture en matière de libertés. Toutefois, cette option a été profondément reléguée à l’arrière-plan de l’union de tous les patriotes iraniens devant leur ennemi commun.
La population civile irakienne se présente comme la grande perdante dans cette situation, car la résolution du Parlement irakien rend le maintien de la coalition internationale contre le Dáesh politiquement difficile à justifier pour les pays qui y participent. Dans le même temps, il y a un argument pour que l’Iran considère l’Irak comme un territoire occupé par les États-Unis. L’Amérique et que les milices chiites pro-iraniennes, ainsi que le clerc Muqtada al Sadr, puissent justifier leurs attaques contre les forces de la coalition, agissant comme étant au service des intérêts de l’Iran.
Il est également possible que d’autres réactions se produisent n’importe où dans le monde où il y a des intérêts américains ou de leurs alliés, que ce soit par des opérations clandestines ou par l’emploi de proxies, pour éviter une confrontation directe et symétrique.
Une solution possible consisterait à mettre en place des voies de communication dans les meilleurs délais afin d’éviter au moins les interprétations erronées dues à des informations erronées. À cet égard, on peut reprendre des exemples du passé où l’Oman s’est avéré un excellent intermédiaire dans les périodes de conflit passées. De même, l’Union européenne pourrait être en mesure de désamorcer les tensions et d’éviter les malentendus.
José Ignacio Castro Torres*
COR.ET.INF.DEM Docteur en études de paix et de sécurité internationale Analyste de l’IEEE
Document d’information
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Bibliographie
1-Pour une étude plus détaillée de la biographie de Soleimani, il est recommandé de lire l’article CASTRO TORRES, José Ignacio. Qassem Soleimani: El líder al otro lado de la colina. Documento de Análisis IEEE 33/2019, disponible en http://www.ieee.es/Galerias/fichero/docs_analisis/2019/DIEEEA33_2019CASTRO_Soleimani.pdf Date de la consultation 06/01/2020
2-Nom du groupe des États membres du Conseil de sécurité des Nations unies plus Allemagne. Il a également été appelé Groupe EU 3+3.
3-SOROUSH, Nazanin, Iran weighs options after US exit from JCPOA, Jane's Intelligence Review, 15- May-2018.
4-SMITH, Ben; BROOKE-HOLLAND, Louisa, The JCPOA and Rising US-Iran Tensions, House of Commons Library, CBP 08957, 19 June 2019, pp. 7 y 10.
5-Oxford Analytica. Iran will avoid direct conflict but has other options. Emerald Expert Briefings. 2019 May 13 (oxan-db).
6-HAINES-YOUNG, James, “John Bolton: Iran naval mines ‘almost certainly’ used in Fujairah tanker attacks”, The National, May 29, 2019, disponible en: https://www.thenational.ae/world/gcc/john-bolton-iran- naval-mines-almost-certainly-used-in-fujairah-tanker-attacks-1.867480 Date de la consultation 07/01/2020.
7-GAMBRELL, Jon, “Tankers struck near Strait of Hormuz; US blames Iran” AP News, June 14, 2019, disponible en: https://apnews.com/d67714ab8ac344a3b3af19cca1c20192 Date de la consultation 07/01/2020.
8-“Major Saudi Arabia oil facilities hit by Houthi drone strikes”, The Guardian, disponible sur: https://www.theguardian.com/world/2019/sep/14/major-saudi-arabia-oil-facilities-hit-by-drone-strikes Date de la consultation 07/01/2020.
9-HARNEY, John, “U.S. Contractor Killed, Military Personnel Injured in Rocket Attack on Iraqi Military Base”, Time, December 28, 2019, disponible sur: https://time.com/5756170/us-contractor-killed-iraq/ Date de la consultation 05/12/2020.
10-CALLIMACHI, Rukmini, Análisis de la corresponsal del New York Times, Rukmini Callimachi, Twitter, Jan 4th 2020, disponible sur: https://threadreaderapp.com/thread/1213421769777909761.html Date de la consultation 05/01/2020.
11-CHANDRAN, Jaya, “Killing Soleimani: How was the operation carried out?, Gulf News January 3rd, 2020, disponible sur: https://gulfnews.com/world/mena/killing-soleimani-how-was-the-operation-carried-out- 1.1578063347074 Date de la consultation 07/01/2020.
12-SENGUPTA, Kim, “The reason Qassem Soleimani was in Baghdad shows how complex the Iran crisis is”, The Independent, January 07, 2020, disponible sur: https://www.independent.co.uk/voices/qassem- soleimani-death-iran-baghdad-middle-east-iraq-saudi-arabia-a9272901.html Date de la consultation 08/01/2020.
13-HJELMGAARD, Kim, “Iran OKs bill calling U.S. military, Pentagon terrorists after Qasem Soleimani killing”, USA TODAY, Jan 7, 2020, disponible sur: https://eu.usatoday.com/story/news/world/2020/01/07/iran-says-u-s-military-pentagon-terrorists-qasem- soleimani-killing/2830669001/ Date de la consultation 07/01/2020.
14-CHERIAN, Dona, “Gen. Soleimani killing: Reactions from around the world after US airstrike”
Gulf News, January 3rd 2020, disponible sur: https://gulfnews.com/business/markets/oil-prices-jump- following-killing-of-gen-qasem-soleimani-by-united-states-1.1578037158259 Date de la consultation 07/01/2020.
15-LAWLOR, Katherine, Iraq’s Parlamient Votes to End US Troop Presence in Iraq, Jan 5, 2020 - Press ISW, disponible sur: http://www.understandingwar.org/backgrounder/iraqs-parliament-votes-end-us-troop- presence-iraq Date de la consultation 06/01/2020.
16-CALLIMACHI, Rukmini, Op. Cit.
17-VV.AA. “Iran attacks two Iraqi bases housing US forces in 'revenge' for Soleimani's death” CNN, January 8, 2020, disponible en: https://edition.cnn.com/2020/01/07/politics/rockets-us-airbase-iraq/index.html Date de la consultation 08/01/2020.