Le second tour des élections turques aura lieu le 28 mai, avec un duel direct entre l'actuel président Recep Tayyip Erdogan et le candidat de l'opposition Kemal Kilicdaroglu

La Turquie attend le second tour avec impatience

REUTERS/KEMAL ASLAN - Des fonctionnaires électoraux ouvrent une urne pour compter les votes dans un bureau de vote à Istanbul, en Turquie.

Le 28 mai est la date prévue pour le second tour des élections présidentielles et législatives qui se sont tenues dimanche, le premier tour n'ayant pas permis de dégager un vainqueur définitif pour le poste de président. 

La participation a été élevée, environ 90% des électeurs, signe de la grande importance de ces élections et de la polarisation politique qui existe en Turquie, opposant les fidèles du président Recep Tayyip Erdogan, leader du Parti de la justice et du développement, à l'opposition, représentée par une seule figure, celle de Kemal Kilicdaroglu, leader du Parti républicain du peuple.

PHOTO/AP - Le président turc Recep Tayyip Erdogan

Depuis quelques années, Recep Tayyip Erdogan déploie un discours politique aux accents nationalistes, conservateurs et islamistes, imprégné d'une politique étrangère interventionniste qui a conduit la Turquie à prendre une part active dans les guerres civiles en Syrie et en Libye et à s'ériger en négociateur d'un dossier important lié à l'invasion russe de l'Ukraine, celui du commerce des céréales ukrainiennes, qui ont pu quitter le port par bateaux grâce notamment à la médiation turque entre l'Ukraine et la Russie. 

Les attentes sont grandes parce que les enjeux sont grands, ni plus ni moins que le maintien au pouvoir de Recep Tayyip Erdogan après des années à la tête du pays eurasiatique en tant que chef d'État et de gouvernement. Ce n'est pas pour rien qu'Erdogan est président de la Turquie depuis 2014. 

Recep Tayyip Erdogan est accusé par l'opposition de faire preuve d'un autoritarisme excessif et de persécuter de nombreux opposants dans divers domaines tels que la politique et la justice. Ces dernières années, de nombreuses arrestations et procès d'éléments de l'opposition pour divers chefs d'accusation ont eu lieu, toujours dans l'ombre du grand pouvoir exercé par l'homme fort ottoman. Sans parler de la persécution étouffante de la minorité kurde, accusée par le gouvernement turc de mener des actes terroristes dans le sud du pays. En effet, l'un des prétextes turcs pour franchir la frontière syrienne et se positionner dans la guerre civile syrienne était de persécuter les éléments kurdo-syriens présents dans la zone frontalière. 

AFP/OZAN KOSE - Le président du Parti républicain du peuple de Turquie (CHP) et candidat à la présidence, Kemal Kilicdaroglu, s'exprime lors d'un rassemblement à Canakkale, dans l'ouest de la Turquie, le 11 avril 2023

Dans ce contexte, l'opposition a réagi après tant d'années. Elle a dénoncé le harcèlement politique dont elle a été victime, principalement de la part du Parti républicain du peuple dirigé par Kemal Kilicdaroglu et du Parti démocratique des peuples, pro-kurde et de gauche. La gestion économique de Recep Tayyip Erdogan a également fait l'objet de vives critiques, en raison de la forte dépréciation de la livre turque et de l'inflation galopante en Turquie. L'inflation a culminé en octobre 2022 à 85,5 % en glissement annuel, tandis qu'en mars 2023, elle a atteint 50,5 %, un taux d'augmentation des prix très élevé pour un pays comme la Turquie. En effet, Kemal Kilicdaroglu a réussi pour la première fois à rassembler les opposants d'Erdogan dans une coalition commune pour affronter le président, grand favori à la revalidation de son poste et pointé du doigt pour la dérive politique et économique dont souffre la nation eurasienne. 

Les sondages prédisaient même une victoire d'Erdogan au premier tour, mais les résultats ont été plus équilibrés. Erdogan a obtenu 49,5 % des voix et Kilicdaroglu 44,9 %. L'actuel président a failli atteindre les 50 % qui lui auraient permis de revalider son poste pour la troisième fois, mais il a échoué de peu. 

Il reste maintenant à voir comment le vote sera redistribué, ce qui semble rester inchangé par rapport à ceux qui ont voté pour l'un ou l'autre candidat au premier tour compte tenu de la polarisation existante ; mais il reste à voir comment les 5% que le candidat arrivé en troisième position au tour précédent, Sinan Ogan, se répartiront. Reste à savoir ce qu'il adviendra de ceux qui ont voté pour le parti d'Ogan, qui devront maintenant choisir entre Erdogan et Kilicdaroglu, ce qui pourrait faire basculer l'élection. Bien que tout le monde s'attende à ce que Sinan Ogan fasse campagne pour Recep Tayyip Erdogan et demande à ses électeurs d'élire le président actuel car ils sont sur la même longueur d'onde conservatrice, en fait, Ogan est considéré comme un candidat d'extrême droite par divers analystes et le parti le plus proche de son spectre politique est donc le Parti de la justice et du développement. Les quelque trois millions de voix de Sinan Ogan pourraient déterminer si Erdogan prolonge son règne déjà long ou si un changement s'opère dans la politique turque.

C'est la première fois qu'un second tour est organisé en Turquie depuis que Recep Tayyip Erdogan a transformé le système parlementaire constitutionnaliste turc en un système entièrement présidentiel en 2017. Jusqu'à présent, Erdogan avait toujours obtenu plus de 50 % des voix et un premier tour avait suffi pour l'introniser président de la nation, mais la polarisation politique et la crise économique ont mobilisé l'ensemble de l'opposition pour affronter celui que l'on appelle le "sultan" et le président actuel est plus proche que jamais d'être évincé de son pouvoir omnipotent, même si tous les pronostics tablent sur une victoire finale de Recep Tayyip Erdogan.