Voter ou s'abstenir, le dilemme des Iraniens lors de l'élection présidentielle

Des femmes passent devant des affiches électorales à Téhéran le 20 juin 2024, avant l'élection du 28 juin pour remplacer le président Ebrahim Raisi, décédé dans un accident d'hélicoptère - AFP/ATTA KENARE
"Cela changera-t-il quelque chose ?" Dans le Grand Bazar de Téhéran, les Iraniens sont divisés sur l'opportunité de voter à l'élection présidentielle du 28 juin, avec en toile de fond les problèmes économiques que beaucoup d'entre eux subissent

Taghi Dodangeh fait partie de ceux qui n'ont aucun doute. "Voter est un devoir religieux et civique. Je le ferai jusqu'au dernier jour de ma vie", affirme ce boulanger de 57 ans aux abords du Grand Bazar, le cœur commercial du centre de la capitale iranienne. 

Fervent partisan de la République islamique, il est déterminé à voter pour le nouveau président, suite au décès d'Ebrahim Raisi dans un accident d'hélicoptère le 19 mai dernier. 

Fariba, quant à elle, s'en tient à des convictions opposées. "Je n'ai jamais voté et je ne voterai pas", affirme sans hésiter cette trentenaire qui tient une boutique en ligne. "Quel que soit le président, cela ne changera rien à notre vie", ajoute-t-elle, sans donner son nom de famille. 

La participation est l'un des chiffres clés du scrutin, auquel participent six candidats - cinq conservateurs et un réformateur - approuvés par le Conseil des gardiens, l'organe qui supervise les élections. 

Des personnes passent devant une réplique d'une urne installée dans une rue de Téhéran, le 20 juin 2024, avant les élections du 28 juin - AFP/ATTA KENARE

Lors de la précédente élection présidentielle, en 2021, le taux d'abstention avait atteint 51 %, un record depuis la révolution islamique de 1979. Lors de ces élections, aucun candidat réformateur ou modéré n'était en lice. 

En Iran, le président est le deuxième personnage le plus important de l'État après le guide suprême, actuellement l'ayatollah Ali Khamenei, âgé de 85 ans, qui est en poste depuis 35 ans. 

Au début de la campagne, Khamenei a appelé les Iraniens à participer "en grand nombre" à l'élection, déclarant qu'il s'agissait d'une "question importante" pour le pays. 

Mahdi Zeinali ne sait pas encore s'il ira voter. "Si je pense que l'un des candidats est une bonne personne, je voterai. Sinon, je ne voterai pas", affirme cette vendeuse de 26 ans, qui espère que les candidats, tous âgés de plus de 50 ans, prendront en compte les demandes des jeunes. 

Les femmes et le voile

"Les jeunes sont les plus touchés par les difficultés économiques", même si "le président Raisi a fait beaucoup d'efforts" pour améliorer leur situation, estime Keshvar, une mère de famille de 53 ans qui porte un tchador, un voile qui lui couvre la tête et une partie du visage. 

Pour Jowzi, une femme de 61 ans, il est regrettable qu'"il n'y ait presque aucune différence entre les six" candidats. "On ne peut pas dire qu'ils viennent de groupes différents. 

Affiches électorales à Téhéran le 20 juin 2024, avant les élections du 28 juin pour remplacer le président Ebrahim Raisi, décédé dans un accident d'hélicoptère - AFP/ATTA KENARE

Selon elle, "il importe peu que le prochain président porte un turban ou non". En effet, cinq des huit présidents depuis 1979 étaient des religieux. 

Parmi les six candidats, les favoris sont Said Jalili, l'ancien négociateur ultraconservateur du programme nucléaire, Mohamad Bagher Ghalibaf, le président du Parlement, et le député réformateur Masud Pezeshkian, selon un sondage de l'institut Ispa publié jeudi. 

Outre les questions économiques et sociales, les tensions géopolitiques entre l'Iran et l'Occident et la question du port obligatoire du voile pour les femmes figurent parmi les principales préoccupations des électeurs. 

"Avant les élections", les femmes qui ne portent pas le hijab dans les lieux publics sont "moins surveillées" par les forces de l'ordre. Mais "une fois le vote terminé", la situation redevient tendue, explique Fariba. 

Pour Jowzi, qui porte le voile comme ses filles, c'est "une affaire personnelle" dans laquelle l'Etat "n'a pas à s'immiscer". 

Interrogés sur le sujet, la plupart des candidats ont opté pour une position prudente, se déclarant opposés à la police des mœurs et à l'usage de la violence contre les femmes qui ne portent pas le voile.