La victoire stratégique d'Al-Qaïda sur Daech
Al-Qaida a dépassé Daesh ces derniers temps.
La méthodologie de Daech a permis de faire disparaître Al-Qaïda en tant qu'organisation djihadiste la plus renommée en un temps record. Toutefois, l'expansion rapide de cette organisation ne lui assure pas de racines, ni de base solide qui renforce sa pérennité au sommet du terrorisme mondial, contrairement à Al-Qaïda qui, bien que n'ayant pas fait la une des médias ces dernières années, a continué à agir et à consacrer de solides réseaux de coopération et de loyauté, en particulier pour le monde arabe.
Le poids médiatique monopolisé par Daech a été utilisé à son avantage par Al-Qaïda, qui a opéré un changement stratégique dans l'ombre, de manière subtile, inaperçue et surtout intelligente, s'avérant être, malgré tout, une option plus forte et plus mature pour les adeptes du djihad 1.
Al-Qaïda, face à la forte pression exercée par les États-Unis sur le leadership central, a divisé l'organisation en franchises locales, connectées, mais avec une liberté opérationnelle. Ce système a pris une importance particulière à partir des sources arabes, car le quartier général a dû faire face à un défi politique et militaire. Sur le plan politique, ils ont dû renverser le pouvoir que les Frères musulmans avaient acquis dans des pays comme la Tunisie ou l'Égypte, et prendre position en faveur des revendications sociales 2 y 3.
La nouvelle stratégie a été conçue sur la base des leçons tirées des guerres en Afghanistan et en Irak. Elle a dû soigner son image pour obtenir un soutien social et comprendre que la méthodologie initiale, basée sur la violence de masse et le sectarisme, n'avait que des effets néfastes sur la perception et la réputation mondiale de l'organisation. Ils ont appris que la clé du succès était le soutien social 4.
L'objectif ultime reste l'établissement d'un califat mondial, désormais conçu comme un califat à long terme, axé sur une idée plus habilitante, axée sur trois lignes d'action : l'intervention dans les insurrections ou la création d'insurrections contre les gouvernements locaux corrompus ou insuffisamment islamiques, la diffusion des principes fondamentaux de l'Islam par la « dawa » ou propagande religieuse, et la promotion des activités terroristes contre l'ennemi lointain et ses alliés. Ces trois principes d'action ont été définitivement considérés comme primordiaux après l'émergence du Printemps arabe, devenant une stratégie locale plutôt qu'internationale, intégrant ses franchises dans les mouvements locaux de protestation et de contestation, nettoyant ainsi la « marque Al-Qaïda ». De plus, de manière indirecte, le changement méthodologique a été bénéfique pour Daech5.
Ces derniers ont, quant à eux, élaboré un modèle stratégique en vue de parvenir à un califat mondial, selon plusieurs axes généraux : l'utilisation de la violence, comme outil unique pour le retour de l'Islam pur et l'élimination de l'occident6, le développement du terrorisme individuel ou cellulaire, l'occupation progressive de territoires et la création de sociétés sectaires par l'instabilité sociale. Cette méthodologie a permis un processus d'expansion rapide grâce à des tactiques brutales favorisées par l'échec politique, la corruption et la mauvaise gestion. La création de l'État islamique a fait que, en peu de temps, les objectifs sont passés du local au mondial, se concentrant maintenant sur le djihad mondial7.
Autrement dit, alors qu'Al-Qaïda guidait ses actions selon une méthodologie positiviste qui faisait prendre conscience aux masses de la nécessité du changement, se présentant comme la seule personnalité capable d'y parvenir, Daech cherchait à accroître l'instabilité, à aggraver la situation déjà conflictuelle et instable, et, en bref, à répandre le chaos, le tout sous le prétexte du « pire, le meilleur ». En effet, sa stratégie a servi de modèle à une génération de djihadistes, entre 2011 et 20148, axée sur la réalisation d'un objectif à court terme plutôt que sur la pertinence théologique et politique poursuivie par Al-Qaïda.
Alors que Daech, après la chute du califat, s'est désintégré, Al-Qaïda a vu comment sa stratégie d'enracinement et de colonisation locale et d'alliances durables a renforcé sa position et son projet à long terme, s'imposant comme la branche djihadiste la plus fiable et la plus sûre, opérant non seulement sur la base de son propre intérêt, mais aussi en faveur des intérêts et des revendications sociales9.
Malgré la stratégie pragmatique d'Al-Qaïda, qui lui permet de participer aux factions et aux dynamiques locales, s'isolant ainsi des menaces extérieures, elle est incapable de surmonter et d'éliminer l'image violente qu'elle a acquise à ses débuts, ce qui rend impossible la diffusion de l'organisation en tant que mouvement de masse en dehors de son passé. En mettant l'accent sur la Syrie, comme un tournant au cours des dernières années, les organisations affiliées à Al-Qaïda ont changé de nom pour éviter d'être liées à elle, dans leur persécution de cette nouvelle image positive, à travers le « djihad populaire », grâce à une approche centrée sur la diffusion des bases idéologiques et orientée vers la création d'un gouvernement islamiste sunnite dans ce pays10.
Bien que l'organisation créée par Ben Laden soit largement perçue comme n'ayant pas atteint d'objectifs territoriaux ou de création d'un État islamique, l'instabilité persistante au Moyen-Orient témoigne de la prévalence des possibilités de franchises locales, y compris par les gouvernements eux-mêmes, qui peuvent être bénéfiques à Al-Qaïda. Pendant ce temps, du côté de Daech, les attentes territoriales sont de plus en plus faibles, mais le courant qui s'est propagé autour des attaques individuelles et de l'endoctrinement de soi, en plus de tout ce qui concerne le « cyber-califat »11, est et restera imparable, où l'humeur de l'individu l'emportera sur le nom ou l'organisation qui fait l'objet de l'action. C'est-à-dire que, malgré le déclin de Daech, il continuera à encourager la commission d'attaques et l'adhésion au djihad armé.
En bref, les deux organisations ont des avantages et des vulnérabilités, des perspectives différentes bien qu'elles agissent dans le même but, et elles doivent se concentrer sur une cohésion12 possible et dangereuse, en revenant au début, mais cette fois-ci de manière plus dangereuse et plus puissante.
Bibliographie et notes de bas de page :
1 - Domínguez, A. (2020). Dans l'ombre de Dáesh, Al-Qaïda est devenu plus puissant que jamais. L'ordre mondial.
2 - Cobo, I. F. (2018). Al-Qaïda face à Dáesh : deux stratégies antagonistes et un même objectif. Institut espagnol d'études stratégiques (Ieee). Page 6.
3 - Hamid, S. (2017). L'islamisme, le printemps arabe et l'échec de la politique du "rien faire" de l'Amérique au Moyen-Orient. L'Atlantique.
4 - Moore, Charles. Al-Qaida contre ISIS. Marques djihadistes concurrentes au Moyen-Orient. MEI Policy Paper 2017 #3, Counterterrorism Series #3. Institut du Moyen-Orient. Novembre 2017.
5 - Cobo, I. F. (2018). Al-Qaïda contre Dáesh : deux stratégies antagonistes et un même objectif. Institut espagnol d'études stratégiques (Ieee). P. 7.
6 - Pourquoi il est si difficile d'arrêter la propagande de l'ISIS. L'Atlantique. 2 mars 2015.
7 - Cobo, I. F. (2018). Al-Qaïda contre Dáesh : deux stratégies antagonistes et un même objectif. Institut espagnol d'études stratégiques (Ieee). P. 10.
8 - Ibidem. P. 12.
9 - Ibidem. P. 17.
10 - Ibidem. P. 17.
11 - Pérez Gómez, Amanda. Le cyberterrorisme, une nouvelle menace ? IEEE Opinion Paper 106/2020. http://www.ieee.es/Galerias/fichero/docs_opinion/2020/DIEEEO106_2020AMAPER_ciberterrori smo.pdf
12 - Villascusa, Á. (18 novembre 2017). ISIS et Al-Qaïda finiront par fusionner. Cadena Ser.
Amanda Pérez Gómez est une criminologue spécialisée dans l'analyse et la prévention du terrorisme.