Les jeunes Espagnols, parmi les moins isolés socialement de l'Union européenne
- Les jeunes Espagnols, parmi les moins isolés de l'UE
- L'impact de la pandémie sur l'isolement, un aspect à reconsidérer
- Les implications de notre modèle familial
L'étude Las relaciones personales de los jóvenes con su entorno compare la sociabilité des jeunes Espagnols à celle du reste de l'Union européenne (UE) et analyse les facteurs d'inégalité qui aggravent l'isolement social. Joan Miquel Verd, chercheur principal de l'étude, publiée dans le dossier Jeunes, opportunités et avenirs de l'Observatoire social de la Fondation "la Caixa", explique pourquoi le contexte social et culturel espagnol a une influence positive sur la santé mentale des jeunes.
Traditionnellement, l'isolement social et la solitude non désirée sont associés aux personnes âgées. Toutefois, au cours des dernières décennies, les caractéristiques démographiques de la solitude ont changé. La principale raison de ce changement est l'évolution des sociétés occidentales, marquée par l'individualisation des relations et l'affaiblissement des liens communautaires.
Dans le monde entier, l'isolement social des jeunes est devenu une préoccupation sociétale. Ses effets sur les jeunes sont divers et complexes : il affecte leur santé mentale et physique, leur développement social et émotionnel, ainsi que leurs performances scolaires ou professionnelles. C'est pourquoi l'étude Las relaciones personales de los jóvenes con su entorno est importante. Cette étude a été réalisée par Joan Miquel Verd, Mireia Bolíbar et Joan Rodríguez-Soler, du Centre d'Estudis Sociològics sobre la Vida Quotidiana i el Treball de l'Universitat Autònoma de Barcelona, en collaboration avec Rita Gouveia, de l'Instituto de Ciências Sociais de l'Université de Lisbonne, et publiée dans le dossier Jóvenes, oportunidades y futuros de l'Observatoire social de la Fondation "la Caixa".
"Dans cette étude, nous avons cherché à découvrir ce qu'implique un isolement social objectif : avec qui les jeunes ont des relations, à quelle fréquence et quels sont les facteurs qui influencent le fait qu'ils en aient plus ou moins", explique le professeur Joan Miquel Verd.
Ces relations sociales peuvent déterminer l'accès des jeunes aux ressources matérielles - comme le soutien économique de la famille -, affecter le développement de leur trajectoire de vie et avoir un impact important sur leur bien-être émotionnel.
Les données utilisées dans la recherche proviennent de l'enquête sociale européenne 2020-2022, des chiffres postérieurs à la pandémie qui donnent une image éclairante de la situation actuelle.
Les jeunes Espagnols, parmi les moins isolés de l'UE
Selon l'étude de Verd et de son équipe de recherche, la sociabilité des jeunes Espagnols est plus riche que la moyenne européenne. Ils ont un plus grand nombre de relations personnelles solides et interagissent un peu plus fréquemment avec leurs amis, leurs pairs ou leur famille.
Mais "l'une des données les plus significatives de l'étude", précise Verd, "est qu'ils se situent en tête de l'UE, devant la Grèce et le Portugal, en termes de proximité affective avec leurs parents". Comme le montrent les graphiques suivants, 56,6 % des personnes interrogées déclarent se sentir extrêmement proches de leurs parents et 70,6 % interagissent avec eux au moins une fois par jour, contre 37,9 % et 49,2 % de la moyenne européenne, respectivement.
Le professeur souligne également d'autres résultats, par exemple que les facteurs d'inégalité tels que le fait d'être une femme, d'être au chômage ou d'origine étrangère aggravent l'isolement. Vivre dans un ménage à forte vulnérabilité économique, être chômeur de longue durée et avoir des parents à faible statut professionnel sont les situations qui génèrent le plus d'isolement social chez les jeunes de l'UE.
"Toutefois, il est intéressant de noter quelques différences par rapport à la moyenne européenne. Par exemple, les filles sont plus isolées que les garçons au niveau européen, mais en Espagne, ce sont les garçons qui sont plus isolés que les filles, et pas autant que la moyenne européenne. De plus, les jeunes Espagnols aux profils les plus vulnérables ne sont pas aussi isolés que dans le reste de l'UE, sauf dans le cas des personnes d'origine étrangère". Globalement, en Espagne, seuls 9,1 % des jeunes souffrent d'un certain isolement social, contre 12,4 % pour la moyenne européenne. Par conséquent, la plus grande sociabilité des jeunes du sud de l'Europe et leur plus grand contact avec la famille atténuent subtilement l'isolement et ont des effets positifs sur leur santé mentale.
L'impact de la pandémie sur l'isolement, un aspect à reconsidérer
La pandémie de COVID-19 a été un coup dur pour les jeunes. Selon Joan Miquel Verd, leur demande de consultation auprès de professionnels de la psychologie a augmenté de manière significative, mais le professeur souligne qu'au fond, la diminution de la sociabilité des personnes âgées de 18 à 35 ans était un phénomène qui s'accumulait depuis des années. "Le contexte actuel tend à tout individualiser et à tout marchandiser, même les espaces de loisirs", souligne l'expert. "Ce processus était déjà à l'œuvre avant la pandémie et a une influence décisive sur l'isolement des personnes les plus démunies, qui n'ont même pas les moyens d'aller boire un verre avec leurs amis".
L'importance croissante des téléphones portables dans nos vies a également été identifiée par de nombreuses études comme l'une des raisons du déclin de nos relations personnelles, surtout après la pandémie. Cependant, le professeur estime qu'en général, son impact a été exagéré : "L'addiction au téléphone portable, qui peut être de nature pathologique, est une chose, mais le fait que l'utilisation du téléphone portable génère un isolement social en est une autre".
L'équipe de Joan Miquel Verd a constaté dans d'autres études que le fait de disposer d'un vaste réseau de relations virtuelles ou d'interactions virtuelles peut compenser dans une certaine mesure le manque d'interactions en face à face, sans toutefois le remplacer : "Si vous avez un bon nombre de relations en personne, la numérisation vous aide à rester en contact avec ce réseau. Le problème se pose lorsque vous ne l'avez pas et que, de surcroît, vous êtes au chômage, avez peu de ressources économiques ou êtes immigré, car, ayant un réseau plus petit ou inexistant, vous courez le risque de passer toute la journée sur l'internet à construire un réseau fictif de connexions".
Les implications de notre modèle familial
La proximité affective avec les parents peut être liée au modèle "familialiste" de protection sociale qui existe en Espagne. Cela signifie que la famille joue un rôle très important en Espagne et pourrait même remplacer le rôle de l'État dans d'autres pays. "L'idée que la famille va vous aider toute votre vie est très méditerranéenne", explique l'expert. "Dans les pays du sud de l'Europe, il n'y a pas de prestations sociales pour l'émancipation, le soutien et la recherche d'un foyer, comme l'offre l'État dans les pays du nord. Cela signifie que ce soutien doit être apporté par la famille".
Or, toutes les familles ne sont pas en mesure d'offrir de telles ressources à leurs enfants, ce qui exacerbe les inégalités sociales de départ et fait que les jeunes les plus vulnérables mettent plus de temps à s'émanciper. Selon les données d'Eurostat (2022), en Espagne, les jeunes s'émancipent en moyenne à 30,3 ans, alors que dans l'ensemble de l'UE, ils le font à 26,4 ans. "Même s'ils s'entendent bien avec leurs parents, beaucoup de ces jeunes aimeraient être indépendants, ce qui finit par leur causer un malaise émotionnel", explique Verd.
Selon le chercheur, cette plus grande dépendance à l'égard de l'environnement familial devrait être compensée par des mesures visant à améliorer le capital social des jeunes. "Nous devrions désindividualiser et démercantiliser les loisirs", explique Verd. "Nous pourrions, par exemple, mettre à la disposition des jeunes davantage d'espaces d'interaction ouverts et gratuits et organiser des concerts ou d'autres activités permettant aux jeunes d'interagir entre eux sans avoir à payer. C'est quelque chose qui est plus courant en dehors des grandes villes, et cela se remarque dans le fait que le sentiment de solitude non désirée dans les environnements non urbains est plus faible que dans les environnements urbains".
D'autre part, l'expert défend le rôle des programmes d'accompagnement collectif, de mentorat et de dynamisation, en particulier pour les immigrants récemment arrivés, car ils aident ces personnes à sortir de leur environnement et à réduire leur isolement.
Enfin, Joan Miquel Verd souligne qu'il serait souhaitable que les jeunes et les personnes qui travaillent avec ce groupe prennent conscience de l'importance des réseaux personnels au-delà de la famille comme source de ressources pour une vie pleine, car ces liens forts sont ceux qui apportent généralement le plus de soutien, en particulier émotionnel. Comme le montre le graphique suivant, 30,7 % des jeunes Espagnols disposent d'un réseau de 4 à 6 personnes avec lesquelles ils peuvent parler de sujets intimes et personnels, un pourcentage très proche de la moyenne européenne.
"L'isolement social des jeunes découle d'un manque d'environnements et de connexions", déclare Verd, "et toute mesure visant à le réduire contribuera à améliorer non seulement la qualité de vie de ces personnes, mais aussi celle de l'ensemble de la population", conclut-il.