La banlieue parisienne s'enflamme
Aller en banlieue parisienne est un bon moyen de mettre un visage sur les chiffres qui, comme lors de la crise de 2008, ou comme maintenant, inondent souvent les nouvelles. Qu'ils soient au chômage, blessés, malades, morts... ou détenus. Ce sont les principaux domaines touchés par ces situations de crise, qui ne font qu'aggraver les inégalités. Et dans la banlieue de Paris, l'inégalité est palpable. Toute étincelle, à tout moment, suffit à enflammer un environnement où l'on nage dans l'essence. La jeunesse, les faibles attentes en matière d'emploi, la perte d'identité et une mauvaise adaptation culturelle. Lorsque la lueur reflétée par les gilets jaunes a commencé à disparaître des rétines des habitants de Paris ; lorsque le coronavirus a semblé ramener le statu quo dans les samedis parisiens ; lorsque même Emmanuel Macron s'est élevé dans les sondages d'évaluation politique grâce au soi-disant effet de drapeau, le déclencheur a été un accident de moto qui a réveillé la banlieue de Paris de sa léthargie. Ce fait a relancé les banlieues de la capitale française.
Les événements ont eu lieu samedi soir dernier dans la commune de Villeneuve-La-Garenne, au nord de Paris, près de Saint Denis. Un motocycliste conduisant sans casque a percuté la porte d'un véhicule de police incognito, qui a été arrêté à un feu de circulation, lui cassant la jambe. Les faits font l'objet d'une enquête, car les déclarations des deux parties sont contradictoires. L'homme blessé, par l'intermédiaire de son avocat, déclare qu'à aucun moment le véhicule de police ne s'est identifié comme tel et qu'ils ont ouvert la porte pour causer l'accident. Pour sa part, la police indique que, lorsqu'ils sont sortis du véhicule pour demander les papiers du motard alors qu'il voyageait sans casque, ce dernier a tenté de les écraser en frappant la porte du véhicule à ce moment-là. L'accusé, qui est placé en détention judiciaire après avoir subi une opération chirurgicale, a des antécédents de possession de drogue et d'extorsion.
Cet incident aurait pu être l'un des nombreux qui se sont produits dans l'aire métropolitaine d'une grande ville comme Paris, si ce n'était du fait que, en ces temps d'enfermement, le calme tendu permanent qui existe dans ces zones est plus fragile que jamais. La période de trêve établie, grâce à ce confinement face à l'émergence d'un ennemi commun qui ne comprend pas grand-chose aux classes sociales, mais qui s'attaque aux milieux les plus vulnérables, a été rompue. L'accusation, par la police, d'intentionnalité dans la cause de l'accident n'a pas tardé à allumer la mèche des émeutes. Des dizaines de jeunes ont commencé à se rendre sur les lieux de l'accident armés de feux d'artifice qu'ils ont utilisés comme projectiles. L'affrontement entre les jeunes et la police a duré plusieurs heures et a mis le feu à plusieurs véhicules et conteneurs à ordures. Tous ceux qui avaient été au courant du climat social dans la capitale française au cours des mois précédant l'internement savaient que cette confrontation n'était guère spontanée. Le rejet des mesures impopulaires de Macron, qui a fait sortir les gilets jaunes dans les rues il y a un an et demi, était encore latent dans ces banlieues, car de nombreux jeunes des banlieues ont utilisé ces manifestations pour recourir à la violence et aux émeutes comme moyen d'échapper à leur propre frustration et situation.
Ces jeunes attendent maintenant une raison pour ignorer la situation de confinement légère et fragile. On a donc supposé que les manifestations se déplaceraient rapidement vers d'autres banlieues et qu'elles se poursuivraient les nuits suivantes. C'était en effet le cas dans les quartiers précités de Villeneuve-La-Garenne, Nanterre, Asnières, ou Aulnay-sous-Bois, Gennevilliers, tous situés dans la banlieue nord de Paris. La police a déclaré avoir été prise en embuscade, suivie de jets d'objets contondants et de pièces pyrotechniques, et de l'incendie de véhicules et d'autres éléments du mobilier urbain. Lors des affrontements avec la police, celle-ci a été contrainte d'utiliser des gaz et des balles de caoutchouc pour diluer les concentrations. Mardi soir, 21, l'avocat du jeune automobiliste, Stéphane Gas, a publié une vidéo dans le journal France Bleu, dans laquelle le jeune homme remercie pour la manifestation de soutien, mais appelle au calme après les troubles qui ont lieu pour la quatrième nuit consécutive.
Comme nous l'avons déjà mentionné, la crise du COVID-19 a provoqué un soutien accru autour du Président de la République française, qui l'a fait rebondir dans tous les sondages d'approbation réalisés par les différentes sociétés de démoscopie, plaçant la moyenne à près de 40 %. Compte tenu des prévisions de désescalade au cours des prochaines semaines, l'incertitude demeure quant à savoir si les protestations des gilets jaunes reviendront teinter de phosphore les samedis de la capitale et des autres grandes villes françaises. Ou si, au contraire, la trêve entre le gouvernement et une partie importante de la société sera prolongée compte tenu de la demande du président français d'un accord politique national qui pourrait apporter des mesures d'urgence pour les groupes qui mènent les manifestations depuis plus d'un an. Le doute subsiste quant à savoir si les manifestations de la périphérie parisienne continueront à se limiter à l'aire métropolitaine de la capitale ou si elles s'étendront également à d'autres villes comme Marseille, où l'immigration représente un pourcentage important de la société.
En ce qui concerne la situation vulnérable dans les banlieues, des abus policiers sont parfois signalés, comme le décès dans les commissariats d'un homme qui avait échappé aux mesures de confinement au début de ce mois. Ces reportages, ainsi que le climat social dans la périphérie de la capitale française principalement, mais aussi dans d'autres grandes villes du pays, ont récemment gagné en visibilité avec l'adaptation contemporaine des Misérables, un film de Ladj Ly qui se déroule dans une de ces communes, Montferneil, à l'est de Paris. Le film, sorti l'année dernière, met en lumière la vie des jeunes dans ces milieux marginalisés et permet de comprendre tout ce qui sous-tend la violence récurrente dans la région métropolitaine parisienne, qui est exacerbée par la situation de confinement et d'isolement.