L’incroyable et drôle situation de la Grande Mosquée d’Alger

« Cette drôle de situation ne peut avoir lieu qu’en Algérie, pays des miracles » commentent ironiquement les Algériens. Nulle part dans le monde on ne peut rencontrer pareil cas. Une mosquée construite sur fond de polémique pour son coût exorbitant payé par le contribuable algérien (plus d’un milliard de Dollars US) demeure fermée trois ans après l’achèvement des travaux.
Sa réalisation a été décidée par le président déchu Abdelaziz Bouteflika à l’époque où les pétrodollars pleuvaient à flots sur l’Algérie. Il posa la première pierre du chantier le 31 octobre 2011. Huit ans plus tard, soit en avril 2019, il devait l’inaugurer avec d’autres réalisation dont le nouvel aéroport international d’Alger. Le « hirak », ce formidable sursaut populaire, en a décidé autrement. Bouteflika sera chassé du pouvoir le 2 avril et il ne goûtera jamais au plaisir d’inaugurer cette réalisation dont le gigantisme reflète parfaitement la mégalomanie de son auteur. Tout comme la fermeture de cette réalisation est la parfaite expression de la gabegie qui caractérise la gouvernance d’un pays où l’on cultive les paradoxes les plus fous.

La Grande Mosquée d’Alger, à laquelle on n’a pas encore donné une appellation officielle et elle doit en avoir pour éviter la confusion avec la plus ancienne mosquée de la capitale de l’époque médiévale, « El-Djamaa El-Kebir », construite en 1097 dans le quartier « La pêcherie » dans la basse Casbah, n’est pas seulement un lieu de culte. Elle comprend plusieurs bâtiments indépendants, disposés sur un terrain d’environ 20 hectares avec une surface brute de plus de 400 000 m2, à Mohammadia, à l'est de la capitale, en face de la baie d'Alger.
La mosquée est dotée d'un centre de recherches sur l'histoire de l'Algérie, d'un musée d'art et d'histoire islamiques, d'une salle de conférences, d’une bibliothèque de 2 000 places et contenant plus d’un million d’ouvrages, d’un parking couvert de 6 000 véhicules, se trouve au sous-sol de l'esplanade. Elle abrite une esplanade et compte plusieurs jardins. En outre on peut relever la présence d'un amphithéâtre, d'un hôtel de 300 chambres, de plusieurs salles de séminaires, des espaces scientifiques, un centre commercial, des restaurants, un parc de loisirs et plusieurs bâtiments administratifs. Toutes ces installations sont fermées depuis trois années. Quel gâchis !

En octobre 2020, la mosquée devait être inaugurée par le président Abdelmadjid Tebboune à l’occasion de la célébration de la naissance du prophète de l’Islam (El-Mawlid Ennabaoui). Atteint par le covid 19, il sera remplacé par le premier ministre de l’époque Abdelaziz Djerrad. Mais, seule la salle de prière est inaugurée. De retour aux affaires après ses soins en Allemagne, Tebboune n’inscrira plus l’inauguration de la mosquée sur son agenda. Pourtant, depuis qu’il a est au palais d’El-Mouradia il n’a pas eu grand-chose à inaugurer en 3 ans. Le stade hadefi Miloud à Oran, à l’occasion de la tenue des Jeux Méditerranéens 2022 d’Oran et le stade Nelson Mandela de Baraki dans la banlieue d’Alger pour le Championnat d’Afrique des Nations (ouverts au locaux) au mois de janvier dernier.
La célébration en grande fanfare du 60ème anniversaire de l’indépendance aurait été l’occasion idoine pour inaugurer cette gigantesque réalisation. Mais, Tebboune se contentera de dévoiler une fresque, en hommage aux résistants déportés au 19ème siècle au lendemain de la colonisation.

Il est plus que légitime de s’interroger sur les raisons de cette fermeture que nul n’oserait dénoncer en Algérie. C’est un sujet tabou. Pour sa part, la population, en l’absence d’une information crédible et convaincante, multiplie les explications des plus sérieuses aux plus farfelues. Mais, généralement, celles qui reviennent le plus souvent retiennent l’incapacité des responsables algériens à trouver des compétences pour diriger ces installations. Ils en veulent pour preuve la nomination de Mohamed Mamoune El kacimi El Housseini en qualité de recteur de la Grande mosquée d’Alger, avec le rang ministre, depuis le 10 mars 2022. Depuis sa nomination, cela fait une année, ce recteur n’a plus donné signe de vie et ne s’est manifesté par aucune action qui puisse justifier son salaire de ministre. Pourtant, il est de son devoir de constituer une équipe qui veillera sur la gestion des différentes installations. Donc, la question des compétences introuvables peut être retenue.

La deuxième explication que se donne la population algérienne a trait à la phobie des dirigeants algériens des rassemblements populaires surtout dans les mosquées et les stades. Cette hypothèse est plausible dans la mesure où la salle de prière est ouverte pour quatre prières mais pas la cinquième (la dernière de la journée) qui doit être suivie par les prières surérogatoires du mois de Ramadan (les tarawih). Ni à la prière hebdomadaire du vendredi. Le pouvoir craint fort un afflux massif des différents quartiers populaires. Le risque de voir les fidèles déclencher des manifestations à la sortie de la mosquée est gros. La colère des citoyens, en ce mois de Ramadan, est à son paroxysme. Flambée des prix et pénuries des produits alimentaires de première nécessité. Répression, étouffement excessif de toutes les revendications populaires et incarcération au quotidien à travers l’ensemble du territoire national de citoyens osant braver l’arbitraire d’un régime de plus en plus impopulaire. Tous les ingrédients, pour provoquer des manifestations de contestation populaire, sont réunis.

Le pouvoir politico-militaire ne recule devant rien pour s’assurer une paix, aussi aléatoire soit-elle, quitte à laisser en état d’abandon un gigantesque complexe dont il aspirait tirer fierté. De toutes les manières, bien d’autres réalisations sont en souffrance. L’aéroport d’Alger ne tourne pas à plein régime. L’Algérie n’étant pas une destination touristique. Il arrive que des avions décollent à vide d’Alger et rentrent, vides, également. Pas plus tard que le 24 mars dernier le vol Alger-Nantes assuré par la compagnie publique Tassili Airlines comptait à peine 35 passagers. A préciser qu’il s’agit d’un vol hebdomadaire. Dans le sens inverse, le 26 mars, seuls 16 passagers étaient à bord du Boeing 737-800. Les stades sont également en manque de public. Les stades Brakni de Blida, Nelson Mandela de Baraki, le 5 juillet de Chéraga sont fermés et ouverts qu’aux rares compétitions internationales. D’autres sont dans le même cas que la mosquée. Ceux de Tizi-Ouzou et de Douéra.

Gâchis, gabegie et incompétence n’ont jamais trouvé meilleur terrain de prédilection que l’Algérie nouvelle du tandem Tebboune-Chengriha.