Les médias turcs affirment qu'au moins 1 000 personnes ont migré illégalement vers l'Allemagne en utilisant des passeports délivrés par des conseils locaux sous le prétexte de participer à des programmes de formation inexistants

La Turquie enquête sur un réseau de trafic de migrants à travers les municipalités

AFP/SAKIS MITROLIDIS - 15 000 euros en échange de documents de voyage officiels pour suivre un cours de formation en Allemagne qui n'existe pas

15 000 euros en échange de documents de voyage officiels pour se rendre à un cours de formation en Allemagne qui n'existe pas. C'est ainsi qu'apparaît le réseau d'émigration illégale dans lequel seraient impliquées plusieurs municipalités turques, dont l'existence fait l'objet d'une enquête de police et est dénoncée par l'opposition.

Le ministère de l'Intérieur a annoncé lundi que six municipalités faisaient déjà l'objet d'une enquête, une liste à laquelle se sont ajoutées depuis plusieurs autres villes.

"Le ministère de l'Intérieur va découvrir les faits et s'il trouve des indices de faute ou de crime, il les transférera à la Justice. Il existe plusieurs façons d'envoyer des personnes à l'étranger et il se peut que certains profitent des procédures correctes", a déclaré Ömer Çelik, porte-parole de l'AKP, le parti du président Recep Tayyip Erdogan.

Plusieurs médias turcs affirment qu'au moins 1 000 personnes ont migré illégalement vers l'Allemagne depuis au moins 2018, en utilisant des passeports délivrés par des municipalités sous couvert de participer à des programmes de formation inexistants.

"Il existe tout un réseau, une organisation, qui emmène illégalement des personnes de Turquie en Allemagne avec l'aide des municipalités turques ; entre 6 000 et 15 000 euros sont versés", assure par téléphone à Efe Veli Agbaba, vice-président du parti social-démocrate CHP, le principal parti d'opposition.

Passeports sans visa

Les migrants paient des passeurs pour que les municipalités les incluent dans ces programmes de formation fictifs. Grâce à ce soutien officiel, le gouvernement délivre aux demandeurs un passeport de service, exempté de l'obligation de visa pour les voyages dans les pays de l'espace Schengen.

"Il s'agit d'une forme VIP de trafic de migrants, avec la garantie de l'État. Il n'y a aucun risque de se noyer dans la mer Égée. Vous payez entre 6 000 et 15 000 euros, vous allez en Allemagne, ils vous accueillent parce que c'est censé être une visite officielle et vous ne revenez tout simplement pas", dit Agbaba.

Selon l'homme politique, un ancien maire de l'AKP est le chef du réseau avec un fonctionnaire en Allemagne qui est chargé de mettre en place les activités de formation fictives.

M. Agbaba pense que certaines municipalités reçoivent des compensations ou des cadeaux pour leur participation au système, mais qu'il est également possible que certaines municipalités ne sachent pas qu'il s'agit d'une activité illégale.

Le premier cas connu est celui de 45 habitants de Yesilyurt, une ville de 300 000 habitants dans le sud-est du pays, qui se sont rendus en Allemagne en 2020 pour un atelier de formation sur l'environnement, dont deux seulement sont rentrés en Turquie.

Investigation intérieure

À la suite de cette affaire, l'Intérieur a démis quatre fonctionnaires de leurs fonctions et a suspendu la délivrance de passeports de service à toute personne qui n'était pas fonctionnaire. Agbaba a expliqué que les passeurs récupèrent les passeports des migrants à leur arrivée en Allemagne, les rendent à la délégation du gouvernement turc et font croire que les voyageurs sont revenus.

Un migrant, identifié comme H.B., a expliqué au quotidien Habertürk qu'il a entrepris le voyage parce qu'il était au chômage et que, bien qu'on lui ait demandé initialement 10 000, il a fini par payer 6 000, l'organisation se chargeant de toute la logistique.

Sebahattin Kaya, maire d'Akçakiraz, une petite ville de 6 500 habitants, a admis au quotidien Sözcü avoir donné en 2019 l'autorisation d'un voyage d'entraînement en Allemagne à 48 personnes, dont seulement trois sont revenues.

A la recherche d'un emploi

"Les gens ici n'ont pas d'emploi. Nous nous sommes dit qu'ils pourront y travailler. Ici, ils ne sont qu'un fardeau pour le pays. Maintenant, ils vont envoyer des euros, de l'or, des dollars, ils vont aider leurs parents ? Cela me semblait raisonnable. Si quelque chose a plus d'avantages que d'inconvénients, c'est légitime", a-t-il justifié.

Ce conseiller a expliqué que, pour leur collaboration au complot, les trafiquants ont donné à la mairie un camion d'occasion, d'une valeur d'environ 1 000 euros.

L'AKP a nié que toutes les municipalités faisant l'objet d'une enquête soient en son pouvoir, et affirme qu'il y a aussi celles gouvernées par le CHP ou le parti nationaliste de droite IYI.

Le CHP a demandé mercredi une enquête parlementaire sur la question, qui a été rejetée avec les voix de l'AKP et de ses alliés.