Le projet de loi de Finances 2024 au Maroc
Francis Ford Coppola sur la politique, la connaissance et la finance :
"La finance est un pistolet. La politique, c'est savoir quand tirer".
Je ne parlerai pas de chiffres, c'est l'apanage des journaux marocains francophones. Je parlerai de quelques brèves observations sur cette loi. Mais avant cela, permettez-moi de parler d'une chose qui me semble importante. Dans notre pays, tout ce qui touche à l'économie est l'apanage des "experts", pas du public. Il suffit de voir, par exemple, la faible présence des "parlementaires" lors de la séance de discussion de la loi de Finances (moins de 100 sur plus de 500 parlementaires dans les deux chambres), parce qu'ils savent que tout ce qui concerne l'économie, la finance et les affaires est l'affaire d'experts compétents et puissants. Qu'en est-il du citoyen ? La seule chose qui intéresse le citoyen, c'est la prochaine augmentation du "gaz butane" et non les 500 dirhams qu'on lui promet.
Un communiqué de presse a été publié évoquant les quatre axes principaux de la prochaine loi de Finances. Je vais parler de certains d'entre eux, et pour ceux que cela intéresse, je dis qu'il y a des professeurs d'université qui entrent dans les détails de la loi de finances. Je ne cache pas que je suis l'un de leurs lecteurs. A cet égard, permettez-moi de rendre hommage à tous les professeurs, qu'ils soient de droite, de gauche ou apolitiques, qui m'ont récemment appris à manier le bâton de la finance, de la fiscalité, de la loi organique de la finance, de la micro et de la macroéconomie.
Le premier axe est "la mise en œuvre du programme de reconstruction et d'amélioration générale des régions affectées par le tremblement de terre du Haouz". Je parlerai ici de deux choses, le tremblement de terre du Rif (2004) et le tremblement de terre d'Al-Haouz (2023).
Avant 2004, la région du Rif n'était connue que pour le trafic de drogue et les citoyens de toutes les villes et villages du Maroc s'imaginaient que les habitants de cette région vivaient dans le luxe et l'abondance. Le tremblement de terre du Rif a prouvé le contraire, notamment la deuxième chaîne marocaine (2M) et son "reportage" le jour du tremblement de terre à Imzouren (petit village de la province d'Al Hoceima), où des habitants ont tenté de sauver la vie d'autres citoyens par des moyens primitifs. Et c'était la solidarité nationale et populaire avec les habitants du Rif, avant la solidarité étatique.
Avec le tremblement de terre d'Al-Haouz en 2023, certains ont parlé de l'extrême pauvreté de la région, comme le montrent les statistiques officielles (HCP et autres). Par contre, on a entendu parler de mines d'or et d'autres mines dans cette région. Depuis, le gouvernement ne s'est pas prononcé sur ce qu'il est advenu de ces mines le jour du tremblement de terre, et l'opposition (parlementaire et autres) n'a pas complété les analyses initiées après ce terrible drame. Il y a un silence terrible sur cette question.
Le deuxième axe concerne "l'état social" (pour être bref car les quatre axes sont disponibles sur Internet). Je parlerai ici de l'augmentation récente du "SMIG" pour l'industrie et du "SMAG" pour l'agriculture. Il faut dire que les augmentations de salaires ont été quasiment inexistantes pendant longtemps, et pas seulement dans cette loi. Ce point est suffisant pour parler du fait que toutes les lois ne concernent pas "l'état social" mais les "équilibres fiscaux". A ce propos, permettez-moi une petite digression sur l'égalité salariale entre hommes et femmes.
A ce sujet, le site "lesglorieuses.fr" rapporte que les femmes en Europe travailleront "gratuitement" du 6 novembre au 31 décembre 2023. Au Maroc, les femmes travaillent gratuitement depuis longtemps.
Le troisième axe concerne les "réformes structurelles". Le projet de loi de finances pour 2024 parle à ce niveau, entre autres, de la réforme de la justice, de la mise en œuvre de la Charte des investissements et des réformes dans les secteurs de l'agriculture, du tourisme et de l'administration. Ma question est simple : ces réformes sont-elles une nécessité interne ou dictées par les organisations internationales ? Je sais, comme vous, que la loi de finances des années précédentes a été décidée par les experts de la Banque mondiale, qui viennent à chaque fois demander des rapports et des chiffres, notamment au ministère des finances. La loi de finances est élaborée par des "spécialistes et des experts". Je ne parle pas des cadres (véritables spécialistes dans leur domaine) qui existent dans tous les ministères, en particulier au ministère des finances.
Le quatrième et dernier axe concerne le "renforcement de la viabilité des finances publiques". Il s'agit de la réforme fiscale, dont la "Constitution fiscale" (ce qu'on appelle en jargon d'initiés la LOLF n°130/13 [loi organique relative aux lois de finances]), qui détermine l'exécution des lois de finances et les modifie (comme ce fut le cas lors de la pandémie du COVID-19), ainsi que les lois de règlement (dans la présentation des comptes réels de chaque année, le Maroc est à la traîne à ce niveau). Comme chacun le sait, la loi de finances est une probabilité basée sur des données possibles de croissance du PIB, sur une bonne ou mauvaise année agricole (et donc sur la pluviométrie, ce qui est connu depuis longtemps : gouverner au Maroc, c'est pleuvoir) et sur le prix du pétrole et du gaz.
Enfin, je dois dire une chose importante pour moi : le débat sur les lois de finances devrait être l'apanage de tous les citoyens, car il existe de véritables experts, de droite comme de gauche, parfois apolitiques, qui peuvent discuter des détails des budgets et proposer des amendements fondamentaux. Malheureusement, dans notre pays, la liberté d'expression et d'opinion est totalement absente.