Iran et Emirats : analyse du nouveau scénario régional

Lorsque l'on examine les relations entre l'Iran et les Émirats arabes unis (EAU), le terme « coopération » ne semble pas être un adjectif approprié. On voit plutôt apparaître des concepts tels que la « lutte pour le leadership » au Moyen-Orient, la « confrontation sectaire » ou les attaques par « procuration ». La vidéoconférence du 2 août entre Javad Zarif, le ministre iranien des affaires étrangères, et Abdullah bin Zayed, son homologue de l'émirat, au cours de laquelle ils ont discuté de questions de coopération bilatérale, régionale et mondiale, mérite d'être prise en compte. La motivation de ce « rapprochement » est le résultat d'une diplomatie pragmatique, et il faut comprendre qu'il ne s'agit pas d'une action isolée.
Nous aimerions souligner les faits les plus importants. En juillet 2019, les EAU ont envoyé des signaux de réconciliation à l'Iran en retirant une grande partie de leurs troupes du théâtre yéménite. Des réunions ont également eu lieu au niveau des garde-côtes, afin de mieux coordonner les droits de pêche, le transport à travers le détroit d'Ormuz, les passages illégaux et la sécurité des frontières. En octobre, il y a eu des déclarations et des rumeurs non confirmées concernant la levée par les EAU des restrictions sur les fonds iraniens d'une valeur de 700 millions de dollars. Il y a également eu des déclarations amicales aux EAU de la part de Rohaní et d'autres hauts fonctionnaires iraniens. L'arrestation et l'expulsion vers l'Iran d'un journaliste d'opposition iranien à Dubaï peut être comprise sous cet angle. Un autre épisode de cette stratégie diplomatique des EAU a eu lieu dans le cadre de COVID-19, avec la distribution de 60 tonnes de matériel médical à l'Iran. En outre, cette assistance s'est accompagnée de fréquentes conversations téléphoniques entre les dirigeants des deux pays.
L'analyse de ce rapprochement nous oblige à abandonner l'optique de la confrontation entre sunnites et chinois, et montre un nouveau scénario régional motivé par les raisons suivantes :
- Les EAU sont engagés dans une confrontation avec la Turquie et le Qatar dans les conflits en Libye, en Somalie et en Syrie, soit directement, soit sous forme de « proxy ». Abou Dhabi comprend que se battre sur deux fronts signifie multiplier les risques, et c'est pourquoi il cherche une conciliation avec l'Iran. Bien que la Turquie et le Qatar soient majoritairement sunnites, comme c'est le cas des EAU, les deux parties ne sont pas fondées sur un seul facteur religieux ou culturel.
- Malgré le fait que les relations entre les EAU et les États-Unis soient magnifiques devant les caméras, la vérité est qu'à Abou Dhabi, il existe une profonde appréhension envers Washington en raison de son intention de retirer des troupes du Moyen-Orient, en plus des opérations menées sans consulter ses alliés, comme ce fut le cas de l'assassinat de Soleimani en Irak. Les attaques iraniennes contre les pétroliers dans le golfe Persique sont restées sans réponse, ce qui montre que les lignes rouges de la doctrine Carter s'estompent dans la région. Les alliés de l'Amérique comprennent qu'ils seront responsables de sa défense.
- Les intérêts des EAU et de l'Iran se chevauchent partiellement. En Libye, tous deux souhaitent soutenir le général Khalifa Haftar dans sa lutte contre l'ANG et la Turquie ; en Syrie, les milices financées par l'Iran continuent de combattre les Turcs. Téhéran et Abu Dhabi espèrent que Al-Asad expulsera la Turquie de la province d'Idlib afin qu'elle puisse participer à la reconstruction du pays. Bien que la situation puisse sembler contradictoire, nous pourrons trouver un certain niveau de coopération.
Ces développements auront un impact sur la formation d'alliances régionales. C'est pourquoi la réaction de l'Arabie saoudite, principal allié des EAU et ennemi de l'Iran, reste à voir. Nous soulignons trois questions qui permettront d'évaluer les scénarios possibles : premièrement, si nous assisterons à court terme à une nouvelle étape dans les relations entre Riyad et Téhéran ; deuxièmement, si le « rapprochement » engagé aggravera les relations entre Riyad et Abou Dhabi ; et troisièmement, quel sera l'effet de cet alignement des intérêts sur les conflits en Syrie et en Libye.
Les alliances régionales affectent également les intérêts stratégiques de l'Espagne, en particulier du point de vue du commerce, de l'approvisionnement énergétique et du trafic maritime, outre les effets d'éventuels conflits armés sur nos frontières avancées de la Méditerranée et de l'Afrique du Nord.