L’inégalité en toute légalité

Túnez

Dans le Maghreb, la Tunisie a toujours été la figure de proue, en matière des droits de la femme. Ceux qui connaissent un peu le pays, savent que c’est grâce au feu président Habib Bourguiba que la Tunisienne à acquis des droits qui l’ont libéré du carcan de l’archaïsme. 

L’histoire retiendra que l’ancien résident du Palais de Carthage avait mis en place un Code de Statut Personnel qui a interdit une panoplie de pratiques et de maux qui gangrénaient la société tunisienne tels que les mariages forcés et la polygamie. Il a également facilité les procédures de divorce pour les femmes et elles pouvaient, désormais, non seulement travailler mais aussi avoir une autonomie financière et ouvrir un compte bancaire sans autorisation du conjoint. Si aujourd’hui, ces droits nous semblent évidents c’était loin d’être le cas en 1956. Ces acquis étaient révolutionnaires pour l’époque et le sont encore aujourd’hui dans certains pays arabes. Personne avant Bourguiba n’avait osé pareilles réformes, mis à part bien sûr Mustafa Kemal Atatürk en Turquie, mais la petite Tunisie fait figure d’avant-garde dans les pays arabes. 

Pourtant depuis ces importants progrès, les choses n’ont plus évolué. Les présidents se sont succédés et le statut de la femme s’est inscrit, au fur et à mesure, dans une normalité convenue. 

Quelque 60 années plus tard, le président Béji Caïd Essebsi a voulu laissé son empreinte, quelque chose de grandiose qui marquerait son mandat. Il a mandaté une Commission des libertés individuelles et de l’égalité appelée, Colibe, dont il a voulu défendre une des recommandations : l’égalité successorale entre les deux sexes. Voilà une action qui risque de marquer les esprits et son quinquennat ! A peine l’annonce faite qu’une vague d’indignation et une forte protestation se sont orchestrées à l’intérieur et à l’extérieur du pays pour contrer ce projet de loi. Des femmes qui hériteraient autant que les hommes, semble une idée saugrenue non seulement pour les hommes mais aussi, et paradoxalement, pour beaucoup de femmes. 

Faut-il rappeler que dans tous les pays musulmans, les droits de succession sont gérés par la charia et les femmes héritent de la moitié de ce qui revient à leurs frères. Une inégalité à laquelle les esprits les plus critiques se sont habitués et qui ne choque personne. De ce fait, la femme est condamnée à une précarité toujours grandissante. 

Le projet de loi amorcé par Béji Caïd Essebsi a fait réagir jusqu’à la plus haute instance d’Islam sunnite. En effet, Al-Azhar n’a pas hésité à le qualifier de « violation flagrante des préceptes de l’Islam », une réaction qui a ouvert la porte à beaucoup d’abus et les membres de la commission Colibe ont reçu, non seulement des insultes, mais aussi des menaces de mort. 

Pourtant si on regarde de près toutes les Constitutions des pays qui s’élèvent contre cette loi égalitaire, on voit bien qu’elles reconnaissent, toutes, l’égalité en droits et en devoirs des citoyens et des citoyennes. En clair, les femmes sont jugées comme les hommes lorsqu’elles commettent des crimes ou lorsqu’elles ne respectent pas les lois. Chose que l’on retrouve également dans le droit musulman. Alors qu’est-ce qui dérange au juste lorsqu’on parle d’égalité successorale également ?  

Peut-être qu’il ne faudrait pas, dans ce cas précis, chercher les raisons du côté du religieux. En réalité, ce qui affole les esprits c’est qu’on ose toucher à l’argent des hommes ! 

D’ailleurs, la chercheuse marocaine en Islam, Asmaa Lamrabet, affirme qu’il y a eu du temps du prophète des femmes qui ont reçu une part d’héritage égale à celle des hommes. La question de la succession s’étudiait à l’époque, pratiquement, au cas par cas. Mais depuis de l’eau a coulé sous les ponts et le législateur musulman s’est référé au seul verset coranique où la part de l’homme est supérieure à celle des femmes. 

Le projet de loi de Béji Caïd Essebsi pourtant adopté en conseil des ministres et transmis aux députés pour examen depuis déjà deux ans, n’a toujours pas vu le jour. Caïd Essebsi est mort et son projet mort-né, ne semble pas intéresser son successeur. Entre temps les inégalités, homme-femme en Tunisie et dans tout le monde arabe ont de beaux jours devant elles.