Libye: une nuit sans fin
Allemagne, Maroc, Egypte, Suisse, ... l'itinéraire des pourparles libyennes semble sans fin. La semaine dernière, c'était dans la petite station de Bouznika, au Maroc, que que se sont poursuivies les négociations de cette guerre sans fin.
Dès le début, le Maroc avait pris le parti d'une sortie de la crise interlibyenne sans prendre part à la guerre. C'est d'ailleurs à Skhirat - à quelque 26 kilomètres au sud de la capitale Rabat - que le dialogue libyen a abouti en 2015 à l'investiture de Sarraj à la tête du gouvernement d'union nationale.
A Bouznika, il a été salué que les délégations du Haut Conseil d'Etat de Libye et du Parlement à Tobrouk soient parvenues à "un accord global sur des critères et des mécanismes transparents et objectifs pour l'adoption de positions souveraines". Il s'agit notamment de postes clés tels que ceux de la Banque centrale, du chef de la Commission de lutte contre la corruption, du président de la Haute Commission électorale, du procureur général et du président du Conseil judiciaire.
Pour sa part, l'ONU insiste sur les élections comme étant le seul moyen d'apporter la paix au pays qui se déchire, et "l'établissement d'un parlement démocratiquement élu dans un cadre constitutionnel serait le dernier pas vers la stabilité en Libye, qui est une décision qui appartient au peuple libyen", a déclaré l'envoyée de l'ONU à Bouznika, Stéphanie Williams.
Loin des déclarations officielles et sur le terrain, la misère du peuple est grande et la lassitude est générale. La guerre en Libye unit et divise l'Est et l'Ouest. Tous, en quête de soutien et d'alliés, s'investissent selon leurs besoins dans cette zone de conflit aux innombrables fractures.
Aujourd'hui, le pays est bicéphale entre un gouvernement de l'Est et le puissant Cyrénaïque, le général Haftar, et celui de l'Union nationale dirigée par Sarraj et reconnue par l'ONU, mais qui porte le drapeau des Frères musulmans et est soutenue par l'ami d'Erdogan.
Mais il serait illusoire de croire que ce conflit est si clair. Elle a d'innombrables ramifications et zones d'ombre auxquelles s'ajoute l'ingérence internationale. Il y a quelques jours, le gouvernement pro-Haftar de l'est de la Libye a démissionné, expulsé par les protestations populaires.
Il faut rappeler que Haftar - un ancien général - et ses troupes ne sont pas reconnus par la communauté internationale. Mais l'homme fort de l'Est est la pierre angulaire de cette guerre et après 8 mois d'arrêt de la production de pétrole, il a annoncé la levée du blocus pour un mois : "Nous sommes prêts à ouvrir les champs de pétrole pour un mois, pour assurer l'avenir de la Libye". Une décision qui a ravi l'ONU, qui participe aux négociations.
Une résolution qui doit satisfaire avant tout les populations locales qui ont récemment manifesté pour dénoncer les conditions de vie difficiles et la corruption qui poussent Haftar à l'abandon. Depuis lors, la production de pétrole a repris et la possibilité d'exporter et de produire de l'électricité locale a été annoncée en grande pompe.
C'est donc dans ce contexte difficile et avec ce qui est en jeu que la Présidente du Parlement de Tobrouk, Aguila Saleh, est venue au Maroc pour négocier. Dans ce conflit, le pétrole est le saint graal pour lequel tout le monde se bat. Et il ne suffit pas de déclarer un cessez-le-feu et de reprendre la production ; il faut partager les richesses du pays.
Le gouvernement de l'Est avait annoncé le 18 septembre qu'il avait conclu un accord pour le partage de l'or noir. Une décision bienvenue pour les deux camps et surtout pour les Libyens, même si elle reste loin des capacités de production du pays. À son apogée, la Libye produisait 1,2 million de barils par jour, contre seulement 100 000 actuellement.
Un autre élément qui rend la guerre en Libye complexe est la présence des milices qui ont participé aux combats dès le début. La société militaire privée française, Secopex, a été l'une des premières à opérer dans les zones de conflit en Libye après la chute de Mouammar Kadhafi en 2011 et depuis lors, l'ingérence internationale n'a jamais cessé.
Sarraj a le soutien d'Ankara et du Qatar, et tout le monde sait que ses troupes sont composées des milices libyennes Fajr (Aube Libyenne). Il serait utile de préciser que cette coalition de groupes armés est islamiste dans l'obéissance. Haftar, en revanche, est soutenu par l'axe opposé des Frères musulmans, à savoir : Égypte-Émirats arabes unis-Arabie saoudite ; et ses milices sont principalement soudanaises et tchadiennes.
En juillet dernier, les forces soudanaises ont annoncé qu'elles avaient arrêté 160 miliciens qui allaient se battre en Libye. Selon un rapport de l'ONU publié en décembre 2019, plusieurs groupes armés du Soudan et du Tchad, voisins de la Libye, ont pris part aux combats dans ce pays en 2019, aux côtés du maréchal Haftar, mais aussi du GNA (gouvernement d'unité nationale).
La France, qui a été à l'origine de la chute du régime Kadhafi, fait bien sûr partie de l'échiquier libyen et n'a pas fini de jouer sur les deux fronts. Bien qu'elle se soit "officiellement" alignée sur les positions de l'ONU, elle n'a pas hésité à soutenir Haftar, même si elle continue de nier cette approche du coup d'État.
La démission du gouvernement de l'Est, l'annonce par Fayez Sarraj de son intention de quitter le pouvoir à la fin du mois d'octobre, est-ce un vent de changement qui souffle sur le pays meurtri ou est-ce une nouvelle vague de troubles et de nuits interminables ? Il est clair que la Libye n'a pas encore trouvé le chemin de la paix.