Riyad en temps de crise
On l’appelle le pays des pétrodollars, né de la contraction des mots pétrole et dollars pour dire que l’or noir est la principale source de revenue de la monarchie saoudienne. Au royaume des Al-Saoud, le pétrole représente près de 80% des recettes d’exportation du pays.
L’Arabie-Saoudite tente depuis l’arrivée au pouvoir du jeune Ben Salmane de se diversifier à l’image des Emirats Arabes Unis, qui ont misé sur le tourisme culturel à Abu Dhabi et le divertissement à grande échelle à Dubaï.
Mais l’Arabie Saoudite se projette encore plus loin que ses voisins et sa conversion se fait à travers la vision titanesque de 2030.
Si Dubaï est devenue la Mecque des tournages de blockbuster asiatiques, dans son programme, M.B.S prévoit des méga festivals de cinéma et de musiques ainsi que des cités high-tech.
425 milliards de dollars est le budget prévu pour la ville futuriste de Neom. La mégapole dont la taille équivaut à 25 fois celle de Paris, se tourne vers les énergies vertes et ses mots d’ordre sont développement économique, science robotique et e-gouvernement.
La campagne promotionnelle de la ville montre des femmes cheveux au vent et des jeunes filles et garçons traînant dans les cafés…des images à mille lieues de celles que nous avons du Royaume. Une nouvelle ère est annoncée et le message est surtout destiné aux investisseurs étrangers que le monarque veut attirer. M.B.S, veut se débarrasser de l’image qui colle à son royaume : celle d’une monarchie religieuse d’inspiration sunnite fondamentaliste. Afin de redorer le blason de son pays, d’importantes réformes ont été consenties notamment en matière des droits des femmes tant de fois décriés par les instances internationales.
Mais la conjoncture actuelle semble contrarier les projets ambitieux et audacieux du jeune monarque. Si la première tranche de Neom devait voir le jour en 2025, la crise actuelle remet en question ce projet gargantuesque. Les plans de Ben Salmane et même s’ils tendent à diversifier les revenues du royaume dépendent pour l’instant et plus que jamais du prix du pétrole.
La chute des prix engendrée par le ralentissement économique de ces derniers mois auquel s’ajoute une politique saoudienne d’inondation du marché font que la vision 2030 annoncée par le monarque connaîtra probablement un ralentissement même si l’Arabie Saoudite est capable de résister encore deux années grâce à ses importantes réserves en devises. Ce qui n’est pas le cas de l’Irak, par exemple, qui malgré le fait qu’il soit un des plus grands producteurs de la région (2ème Opep) n’a pas pu faire face à la chute du prix de pétrole à cause de sa fragilité économique et politique.
Ceci-dit, ce n’est pas la première fois que l’Arabie saoudite adopte une telle politique pétrolière. En 2016 elle avait usé du même stratagème pour affaiblir la production de pétrole de schiste aux Etats-Unis sans oublier, bien sûr, ses deux ennemies l’Iran et la Russie qui soutien Bachar el-Assad.
Cette année, à côté de la chute des prix de pétrole, s’est ajoutée l’annulation du grand pèlerinage et des petits pèlerinages qui se font tout au long de l’année. Ce qui a largement aggravé la crise saoudienne. Le manque à gagner en matière de tourisme religieux est d’environ 15 milliards de dollars et pèse lourdement dans la balance économique du pays sans oublier les 500 000 personnes travaillant dans le secteur et qui sont toujours au chômage.
Par ailleurs, l’Arabie saoudite comme d’autres pays du golf a pendant longtemps attiré les travailleurs du monde arabe, proposant des salaires défiant toute concurrence. Mais la donne est en train de changer. Depuis 2008, le pays fait face à un taux de chômage qui ne cesse de grimper. La population de plus en plus jeune (plus de 60%) compte un taux de chômage estimé à 60 % selon la banque mondiale. Les recrutements étrangers devront cesser dans les années qui viennent pour protéger l’emploi.
En juin dernier le Fonds monétaire international (FMI) annonçait une contraction de 6,8% du PIB saoudien. Depuis, la dégringolade n’a fait que se confirmer. Et les estimations actuelles franchissent la barre des 10%. Pour prendre la mesure de la crise, l’exemple du groupe BinLaden est éloquent. Le célèbre employeur du BTP n’a pas honoré ses engagements auprès de ses salariés qui ont dénoncé leurs conditions via les réseaux sociaux et par voie de presse. A côté de cela et à compter du 1er juillet la TVA a triplé, passant de 5 à 15%, une mesure qui a été accompagnée par l’arrêt du versement des allocations mensuelles aux citoyens. Et cerise sur le gâteau on annonce un impôt sur le revenu, chose qui n’a jamais existé dans le royaume pétrolier !
Le gouvernement saoudien opte ainsi pour une politique d’austérité qui aura pour effet direct une baisse de la consommation au lieu d’une relance économique. Un choix à risque pour Ben Salmane car s’il va renflouer ses caisses il va appauvrir les plus précaires et engendrer des tensions déjà fortement exacerbés ces derniers temps.