Un califat au Sahel
Il y a deux ans, lorsque j’étais à Dakar, j’ai assisté à une performance de danse et de poésie dans le centre d’art, l’Espace Médina. Pour accéder à ce très beau lieu qui attire une faune des plus hétéroclites, il faut traverser la Maison du Coran et son espace de prière.
Les artistes entourés de leur public en tenues légères -en cette saison de grande chaleur- étaient accueillis par l’imam de la Maison du Coran un grand sourire accroché aux lèvres et saluant un à un tous les convives. Pendant que les artistes clamaient leur poésie et chantaient, en bas, des hommes priaient.
Cette scène résume à elle seule l’Islam qui, depuis des siècles, règne au Sénégal et sur l’Afrique sub-saharienne. Un Islam de paix, de partage, prônant les valeurs du bon voisinage.
Cet Islam semble menacé aujourd’hui pour ne pas dire, en voie de disparition.
Car si le Sénégal semble épargné jusqu’à présent par les attaques terroristes et le rigorisme religieux, ce n’est pas le cas de ses voisins d’Afrique de l’Ouest. Les tristes événements qui ont endeuillé le continent cette année portent à le croire.
A l’heure où Daesh s’affaiblit dans le Moyen-Orient, le djihadisme se renforce en Afrique et se déplace.
L’Etat Islamique en Syrie ne recrute plus comme avant et même si son idéologie résiste, ses moyens s’amenuisent. Il suffit de prêter attention aux dernières attaques perpétrées en Europe et plus spécialement en France. Le mode opératoire a bien changé, les attentats commis et même s’ils sont revendiqués par l’E.I, ne sont ni financés ni programmés par l’organisation terroriste.
Mais si la force de frappe de Daesh s’est émoussé en Irak et en Syrie, Boko Haram, El Qaïda Sahel et autres groupes affiliés au djihad frappent aujourd’hui de plein fouet le continent noir.
Le Nigeria est de plus en plus ciblé. Les images insoutenables des 110 agriculteurs tués dans les rizières du Nord frappent les esprits et interpellent. Les assaillants en s’attaquant à de simples citoyens veulent engendrer effroi et panique.
Il n’y a pas que le Nigeria qui est en deuil. Au Cameroun, 275 personnes ont été tuées dans le Nord du pays par des djihadistes en 2019. Il faut dire qu’une absence de politique globale est à déplorer dans la région !
Avant que l’on se remette des attaques du Nigéria, le Mali a été frappé sur plusieurs flancs. La branche sahélienne d’Al-Qaida a attaqué lundi 30 novembre trois bases françaises et onusiennes dans le Nord du Mali où des groupuscules djihadistes mobiles ne cessent d’opérer.
Les récentes attaques terroristes au Mali sont également une réponse à la France. Pour mémoire l’armée française dans le cadre des opération Barkane avait tué le chef de la branche sahélienne d’Al-Qaida, Bah Ag Moussa le 10 novembre dernier.
Deux mois avant, la libération de l’otage française Sophie Pétronin s’est marchandé en versant une rançon aux ravisseurs et à la clé, quelque 200 djihadistes ont été relâchés dans la nature.
Ce qui n’a pas manqué de provoquer l’ire d’Alger qui a dénoncé des « pratiques inadmissibles, contraires aux résolutions de l'ONU incriminant le versement de rançons aux groupes terroristes et entravant les efforts de lutte contre le terrorisme ».
Quelques semaines plus tard, Mustapha Derrar, un des djihadistes les plus recherchés par Alger est arrêté dans l’Ouest algérien à Tlemcen « Le criminel, qui avait rallié les groupes terroristes en 2012, a été libéré au début de ce mois d'octobre au Mali, suite aux négociations menées par des parties étrangères ayant abouti à un accord », affirme le ministre algérien de la Défense. Le président du Burkina Faso a également exprimé ses inquiétudes sans mâcher ses mots « ça coûte cher au Burkina » s’est-il insurgé. Dans une interview accordée à France 24, Roch Marc Christian Kaboré avait affirmé « n'avoir pas été au courant des tractations, notamment de la libération du cerveau présumé de l'attaque djihadiste de 2016 à Ouagadougou […]c'est une négociation entre l'Etat malien et le camp des preneurs d'otage ». Le Burkina sous tension a du mal à retrouver la paix de ses hautes terres. En septembre dernier, 29 personnes ont été assassinées et depuis cinq ans, le pays vit au rythme des violences qui ont fait plus de 570 morts. L’Afrique est-elle en phase de devenir la base arrière d’un califat islamiste ?
Les Etats-Unis qui apportent une aide considérable au G5 Sahel avec un budget de 45 millions d’euros optent pour un retrait de leurs troupes. « Si les Américains se retiraient ce serait une mauvaise nouvelle pour nous », avait déclaré le président français qui craint, et à juste titre, la remontée non seulement des déplacements de populations et des flux migratoires mais aussi une nouvelle ère de terrorisme.