Rapatriement des femmes djihadistes et de leurs enfants : la France, un modèle à suivre ?
Le 27 juillet, la médiatrice, Claire Hedon, a publié une déclaration sur la situation des enfants français détenus dans les camps du Kurdistan syrien, faisant savoir que la politique de rapatriement "cas par cas" du gouvernement ne fonctionne pas et ne peut être acceptée aujourd'hui. Le médiateur, en France, est une autorité administrative indépendante dont le rôle est de défendre les droits des citoyens auprès des administrations et de promouvoir les droits des enfants. La Médiatrice est intervenue auprès de la Cour européenne des droits de l'homme et du Comité des droits de l'enfant des Nations unies pour faire part de ses observations sur la détention dramatique de ces enfants depuis deux ou trois ans dans les camps syriens, alors que la plupart d'entre eux n'ont pas plus de six ans. La médiatrice attire l'attention sur le fait que les recommandations qu'elle a soumises au gouvernement français ont été ignorées et que celui-ci doit prendre les mesures appropriées pour mettre fin à ce traitement qui n'est pas dans l'intérêt supérieur des enfants.
La France, qui a toujours été considérée comme le berceau des droits de l'homme, les respecte-t-elle en agissant de la sorte ? Légalement, la France a l'obligation de rapatrier ces enfants et leurs mères car les conditions de détention sont contraires aux droits de l'homme protégés par plusieurs conventions signées par la France. Tout d'abord, en agissant avec le cas par cas pour procéder au rapatriement de ses ressortissants des camps syriens, elle ne respecte pas la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, par laquelle la France a ignoré les valeurs de son Etat, puisque l'article huit de cette déclaration stipule que nul ne peut être puni sans la vertu d'une loi préalablement édictée. Dans ce cas, ces femmes et leurs enfants sont détenus dans un camp sans la vertu d'une loi promulguée par une autorité compétente car les forces kurdes n'ont pas d'existence légale ni d'Etat pour créer des lois et procéder à leur détention légale.
Deuxièmement, le gouvernement français ne respecte ni la Convention européenne des droits de l'homme ni la Convention universelle des droits de l'homme car il est connu que les femmes ainsi que les mineurs dans ces camps vivent des traitements inhumains et dégradants comme l'existence d'une prison souterraine où des femmes françaises et leurs enfants ont été détenus sans lumière et sans eau pendant plusieurs jours. Or, les articles 3 et 5 de ces Conventions signées par la France stipulent que "nul ne sera soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants".
La France a été le premier pays au monde à créer une protection pour les mineurs au milieu du 19e siècle et a été le moteur de la création des droits de l'enfant au niveau européen et international. En effet, elle est le deuxième pays après la Suède à avoir ratifié la Convention internationale des droits de l'enfant, mais elle est aussi l'un des premiers pays à ne pas la respecter par le refus de son gouvernement de rapatrier les mineurs et leurs mères, alors que leur détention ne respecte pas les droits défendus par la France à travers l'histoire. Par exemple, en signant la CIDE, la France s'est engagée "à assurer à l'enfant la protection et les soins nécessaires à son bien-être" (article 3), mais dans les camps syriens, les enfants n'ont pas accès aux soins de santé ou à l'éducation.
La France pourrait respecter ses engagements internationaux en rapatriant ses enfants afin de mettre fin à cette situation désastreuse et inhumaine, mais aussi confirmer une fois de plus qu'elle est le "pays des droits de l'homme", donner encore plus d'importance à ses valeurs humaines et montrer à ses partenaires européens concernés par le rapatriement de ses djihadistes qu'elle est un modèle à suivre.
En effet, la France pourrait être assez influente au niveau européen en termes de politiques de rapatriement des djihadistes en Europe, puisqu'elle compte un nombre important de ressortissants partis en Syrie pour rejoindre l'organisation terroriste, et qu'elle est actuellement l'un des pays européens comptant le plus de mineurs dans les camps syriens. Si la France avait la volonté d'enseigner aux autres gouvernements européens qu'il est possible de rapatrier, de juger, de punir et de réhabiliter les partisans d'un groupe terroriste tout en respectant les droits de l'homme, alors ils suivraient ce modèle sans crainte, puisque la France a subi la majorité des attaques djihadistes de ces dernières années en Europe.
Enfin, les pays les plus démocratiques sont les plus réticents à rapatrier ces enfants de l'enfer syrien. La Russie, le Kazakhstan et l'Ouzbékistan ont rapatrié leurs ressortissants. Ainsi, depuis 2019, plus de 1000 mineurs étrangers ont été rapatriés dans leur pays d'origine, parmi eux, seule une centaine provient de pays de l'Union européenne, dont 35 de France en application de la politique du cas par cas qui sélectionne les enfants. Aujourd'hui, il y a encore 200 enfants français dans les camps syriens qui passent un été à plus de 50 degrés sous une tente, sans eau potable et sans éducation.
En plus d'être un problème humanitaire, c'est un problème de sécurité car l'idéologie djihadiste est très présente dans ces camps et les risques de radicalisation sont réels. Sans programmes de réhabilitation et d'éducation, les enfants détenus aujourd'hui dans ces camps peuvent devenir les terroristes de demain. D'où l'importance de procéder à leur rapatriement en mettant fin à la politique du cas par cas qui ne permet pas de sauver ces enfants de l'idéologie djihadiste et de la misère humaine.
Tant la France que l'Espagne, qui compte quelque 17 mineurs dans ces camps, sont réticentes à les rapatrier, mais certains pays européens n'ont pas attendu que la France change de position pour procéder au rapatriement de ces enfants vers leurs mères : la Belgique a commencé en juillet, la Finlande, l'Italie et l'Allemagne l'ont également fait, et le Danemark a annoncé son prochain rapatriement. Cependant, la France préfère rester silencieuse face aux recommandations émises par les comités et administrations nationales et internationales, et face aux mobilisations sociales qui demandent le rapatriement de tous les mineurs français avec leurs mères, comme celles du Collectif des familles unies ou la pétition lancée fin juin dans le journal Le Monde par 110 artistes et célébrités françaises.
La méconnaissance de ce problème par le gouvernement a peut-être un rapport avec les élections présidentielles de 2022, car on sait désormais, grâce à un sondage réalisé par Odoxa en février 2019, que la société française n'est pas favorable à ce rapatriement.
Axèle Meindl: Analyste en terrorisme international et domestique Collaborateur français dans le domaine du terrorisme et des conflits armés chez Sec2Crime
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