La réforme fédérale de l'UE pour répondre à la réalité
La réponse efficace de l'Union européenne (UE) à la crise sanitaire, économique et sociale provoquée par le COVID-19 peut et, à mon avis, doit être un accélérateur des réformes de toutes sortes dont l'édifice communautaire a besoin depuis longtemps.
Il est utile de le souligner, car il y aura forcément un avis contraire : si, avec les instruments établis dans le traité de Lisbonne, nous avons pu gérer un défi tel que la pandémie, que l'Europe unie n'a jamais eu à affronter depuis sa naissance, pourquoi chercher trois pattes au chat ?
En outre, cette thèse "conservatrice" (loin d'être eurosceptique, mais légitimement pro-européenne) soutiendra que, compte tenu de l'unanimité requise pour toute réforme substantielle du Traité - de l'attribution des compétences à la division des pouvoirs - il vaut mieux rester dans une situation qui permet d'agir avec ce que l'on a afin d'éviter des situations de blocage ou, pire encore, des processus constitutionnels voués à l'échec.
Il convient de rappeler à ce stade, avant de poursuivre, qu'il est courant de citer en exemple l'"échec" de la Constitution européenne, que certains attribuent à l'ambition du texte, pour fixer des objectifs minimaux.
Eh bien, soyons clairs : ce n'est pas l'ambition de la Constitution élaborée par la Convention qui a conduit à l'échec de certains gouvernements - la France et la Hollande, mais pas du texte ni de ceux qui l'ont élaboré - au moment de la ratifier au niveau national, mais plutôt les problèmes politiques internes de leurs pays, qui ont fini par s'allier à une procédure de réforme des traités tout simplement insoutenable : l'unanimité.
C'est précisément pour cette raison que la réponse d'aujourd'hui à ce qui s'est passé en 2005 ne peut être ni un manque d'ambition ni une peur de s'engager dans cette voie, mais le contraire.
D'une part, parce que la pandémie a démontré la nécessité d'approfondir politiquement l'intégration européenne, si nous ne voulons pas agir "ad hoc" dans les crises qui surviennent - et elles surviendront, ne nous leurrons pas - dans tous les domaines. Agir "ad hoc" dans chaque cas peut être synonyme de parier que tout se passera bien... ou très mal. Il serait stupide de ne pas profiter du soutien de l'opinion publique pour aller plus loin, comme le montrent tous les sondages.
D'autre part, parce que l'absence de compétences communautaires dans certains domaines est déjà insoutenable, tout comme l'absence de l'équilibre des pouvoirs inhérent à toute démocratie pour les gérer.
Si nous progressons dans ces deux grands domaines (compétences et répartition des pouvoirs), nous nous dirigerons vers une Europe fédérale. C'est d'ailleurs ce que nous n'avons cessé de faire depuis le traité de Rome, plus ou moins rapidement, plus ou moins ouvertement ou discrètement.
Les derniers pas dans cette direction ne laissent aucune place au doute : le traité de Lisbonne (reflet fidèle de la Constitution européenne) et les décisions sur l'achat de vaccins, le certificat numérique ou la NextGenerationEU sont là pour qui veut les voir.
En ce sens, nous devons comprendre la Conférence sur l'avenir de l'Europe comme un moyen de parvenir à une fin, et non comme une fin en soi qui n'aboutirait qu'à une dépression européiste.
En effet, nous pouvons discuter et débattre pendant des mois sans parvenir à des conclusions ou, pire encore, nous pouvons y parvenir, mais sans en prendre conscience. Franchement, je ne sais pas ce qui serait le pire.
La Conférence doit faire des propositions claires appelant à une Convention et à une Conférence intergouvernementale pour les traduire dans les Traités. Il appartient aux gouvernements, institutions, partis et citoyens les plus pro-européens de prendre la tête de cet effort et de réussir.
D'autant plus que la situation politique dans les Etats membres ne va pas se dégrader en termes d'engagement pro-européen, mais va probablement s'améliorer.
Quels sont les progrès à réaliser en matière de compétences et de répartition des pouvoirs pour rapprocher l'horizon fédéral et accroître ainsi l'efficacité de la démocratie européenne ?
En termes de compétences, les suivantes :
- l'achèvement de l'union économique et monétaire avec la reconnaissance dans le traité de la capacité de fixer des impôts communautaires, d'émettre une dette européenne et d'établir des mécanismes anticycliques permanents similaires au NGEU,
- définir une Europe sociale avec des instruments communautaires tels que la réassurance chômage complémentaire et le salaire minimum,
- créer une union européenne de la santé dotée de capacités communautaires allant au-delà de la coordination et de la complémentarité,
- de créer une armée européenne dans le cadre de la politique de défense.
En ce qui concerne la répartition des pouvoirs, les points suivants :
- étendre la procédure législative ordinaire à tous les domaines, y compris ceux relatifs au cadre financier pluriannuel et à la décision sur les ressources propres,
- l'extension des pouvoirs de contrôle et de décision du Parlement européen en matière de politique étrangère et de défense,
- abolir l'unanimité dans les domaines où elle est encore en vigueur, en la remplaçant par une double majorité renforcée dans les domaines les plus sensibles (par exemple, la réforme des traités),
- donner au Parlement européen le pouvoir d'approuver les réformes des traités conjointement avec les États membres et l'initiative législative,
- transférer en règle générale à la Commission européenne les pouvoirs d'exécution actuellement entre les mains du Conseil de l'UE,
- adopter une procédure de désignation du candidat à la présidence de la Commission européenne qui mette le Parlement européen sur un pied d'égalité avec le Conseil européen,
- fixer un nombre maximal de membres du collège des commissaires égal à un tiers du nombre d'États membres, sans exception,
- l'adoption de listes transnationales lors des élections au Parlement européen.
Il serait également politiquement pertinent que le drapeau à douze étoiles et l'Ode à la joie deviennent les symboles officiels de l'Union, et pas seulement dans certains États membres.
Et, premièrement, bien qu'elle soit citée en dernier ici, que la double légitimité de l'UE soit reconnue dans l'article 1 du Traité (comme elle l'était dans la Constitution) : celle des Etats et celle de la citoyenneté européenne.
Ne serait-il pas logique qu'un traité ainsi modifié s'appelle la Constitution européenne ? Je pense que oui.
Carlos Carnero, ancien député européen et membre de la Convention européenne