"Ecocide", une vraie réponse à un vrai problème
En 1972, le Premier ministre suédois de l'époque, Olof Palme, a accusé le gouvernement américain d'avoir commis un écocide pendant la guerre du Viêt Nam en utilisant un herbicide, connu sous le nom d'"agent orange", pour détruire de vastes champs, les rendant totalement infertiles. Le terme d'écocide n'étant pas envisagé par le droit international, ses accusations sont tombées dans l'oreille d'un sourd. Parce que ce n'était pas, ce n'était même pas défini. Jusqu'à maintenant.
Un groupe de juristes internationaux de renom est parvenu, après de longues délibérations, à s'entendre sur une définition juridique du concept d'écocide. Elle qualifierait ainsi "tout acte illégal ou arbitraire perpétré en sachant qu'il est hautement probable qu'il cause un dommage grave, étendu ou durable à l'environnement". L'arbitraire serait défini comme "un acte de mépris délibéré d'un dommage qui serait manifestement excessif par rapport à l'avantage social ou économique attendu". Cette définition pourrait inclure les catastrophes environnementales telles que la marée noire dans le Golfe du Mexique en 2010 ou la pollution du Delta du Niger. Ce groupe, composé de 12 experts en droit international, estime que le moment est venu de considérer l'écocide comme un crime, et propose même qu'il soit jugé par la Cour pénale internationale.
La Cour pénale internationale (CPI), basée à La Haye, juge les crimes les plus graves du droit international : génocide, crimes contre l'humanité, crimes de guerre et agression. On pourrait y ajouter un cinquième. Bien que ce débat puisse sembler nouveau, il ne l'est pas. Dans les années 1970, une convention sur l'écocide a été présentée aux Nations unies. Dans les années 1980, elle figurait à l'ordre du jour international, mais aucun progrès n'a été réalisé. Elle a finalement été rejetée en 1996, lors des négociations pour la rédaction du Statut de Rome, le document fondateur de la CPI. Au cours de ces négociations, la possibilité d'introduire l'écocide parmi les crimes devant être jugés par la Cour a été discutée, mais la proposition n'a pas été retenue.
Cependant, ces dernières années, et surtout ces derniers mois, l'inclusion de l'écocide comme crime dans le droit international a gagné du terrain. Au début de l'année, des dirigeants indigènes brésiliens et des organisations de défense des droits de l'homme ont exhorté la Cour à enquêter sur le Premier ministre brésilien Jair Bolsonaro. Il est accusé d'avoir mis en danger et détruit les habitats naturels des communautés indigènes après avoir autorisé l'exploitation forestière sans discernement dans la forêt amazonienne. L'année où Bolsonaro a pris ses fonctions, les empiètements sur les territoires indigènes ont augmenté de 135 %. Depuis lors, il a augmenté de 50 % la déforestation au Brésil. Cependant, en raison de l'absence d'inclusion du crime d'écocide dans le Statut de Rome, les actions du dirigeant brésilien ne peuvent être traduites en justice.
Ces derniers temps, les préoccupations relatives au changement climatique et à la protection de la planète n'ont cessé de croître, notamment grâce à des mouvements sociaux tels que les "Vendredis pour l'avenir" ou à des personnalités comme Greta Thunberg, qui ont réussi à mettre cette question sous les projecteurs des médias. Mais le débat sur l'écocide ne serait pas tel sans la contribution de Polly Higgins, la force motrice de la campagne "Stop Ecocide". Higgins, en 2010, a présenté une définition de l'écocide qui a eu beaucoup d'impact, et a même été reprise par le pape François dans son appel, en 2019, à reconnaître l'écocide comme un crime contre la nature.
L'obtention d'une protection juridique internationale pour les crimes contre l'environnement serait un pas en avant dans la reconnaissance de l'importance du changement climatique, mais ce serait loin d'être suffisant. Le pays le plus pollueur au monde, la Chine, n'est pas signataire du Statut de Rome. Pas plus que l'Inde, le Pakistan, l'Indonésie ou l'Arabie saoudite, parmi beaucoup d'autres. Les États-Unis, qui suivent le géant asiatique en matière d'émissions de CO2, le sont, mais ne l'ont pas ratifié. Ces pays ne sont donc pas sous la juridiction de la Cour, ce qui limiterait sa capacité à traduire en justice certains cas flagrants d'écocide.
Un autre élément à garder à l'esprit est que la CPI ne peut poursuivre que des individus, et non des pays ou des entreprises. La plupart des cas de pollution, par exemple, sont causés par les industries. Si ces derniers ne peuvent être traduits devant la Cour, les personnes qui en sont directement responsables peuvent l'être, tout comme dans le cas des crimes de guerre : un soldat, ou une armée, est exempt de poursuites, alors que ce sont les hauts commandants, chargés de donner des ordres directs, qui sont passibles de sanctions.
Bien qu'il reste encore de nombreux éléments à définir et que, pour l'instant, il n'y ait pas de consensus pour l'inclusion de ce crime dans le Statut de Rome, il est incontestable que le simple fait de discuter de cette possibilité représente un pas en avant dans la perception de la relation entre l'homme et la nature. L'adoption de l'écocide comme crime international représenterait un changement de paradigme en ce qui concerne la moralité de l'attaque contre l'environnement. Il s'agirait non seulement d'une action moralement répréhensible, mais aussi d'une interdiction, signe que la communauté internationale est prête à donner une réponse énergique à un problème urgent.