Algérie et France : 60 ans de relations sous le regard de Moscou
Le 5 juillet est la date de l'indépendance de l'Algérie suite aux accords d'Evian du 18 mars 1962, mais aussi la date du massacre des Européens à Oran. En effet, quelques heures avant la proclamation de l'indépendance de l'Algérie, des coups de feu ont éclaté au cœur de la ville, où des milliers d'Algériens célébraient l'indépendance de leur peuple. Par la suite, de nombreux individus armés ont attaqué les Européens présents, causant la mort de beaucoup d'entre eux. Ainsi, ce 60e anniversaire de l'indépendance, après 132 ans de colonisation française, continue de marquer l'histoire de l'Algérie et de sa relation avec la France.
La blessure reste sensible, mais la volonté de renforcer les relations est présente de la part d'Emmanuel Macron, auteur d'une lettre adressée à son homologue algérien, Abdelmadjid Tebboune. A l'occasion du 60ème anniversaire de l'indépendance de l'Algérie, le président français a adressé une lettre au peuple algérien, réitérant son engagement à poursuivre sa démarche de reconnaissance de la vérité et de réconciliation de la mémoire des peuples algérien et français.
Bien que la France et l'Algérie aient connu plusieurs épisodes diplomatiques difficiles depuis l'indépendance de l'Algérie, les relations se réchauffent depuis plusieurs mois, et les chefs d'État des deux pays ont déclaré le 18 juin qu'ils souhaitaient approfondir leurs relations.
Comment comprendre ce nouveau réchauffement des relations franco-algériennes ? Comme toujours, dans le domaine des relations internationales, plusieurs interprétations sont possibles. Rappelons que nous sommes dans une période où de nombreux pays revisitent leur passé afin de souligner ou de renforcer les liens d'amitié avec d'autres pays tout en poursuivant un certain objectif géopolitique (militaire, politique, économique ou idéologique). Ainsi, après l'indépendance de l'Algérie, l'URSS a exprimé son soutien à Alger et les relations entre les deux pays sont restées à un niveau élevé, même après la disparition de l'empire soviétique.
Toutefois, dans le contexte actuel de la guerre en Ukraine et du boycott européen du gaz russe, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a transmis le 10 mai à Alger une invitation officielle de Vladimir Poutine à son homologue algérien, Abdelmadjid Tebboune, à effectuer une visite officielle à Moscou. Évoquant les relations bilatérales, Sergueï Lavrov a souligné que la Russie et l'Algérie entretiennent depuis longtemps des relations amicales et sincères et que les deux pays célèbrent cette année le 60e anniversaire de leurs relations diplomatiques, qui correspond à la proclamation de l'indépendance de l'Algérie. Avec son homologue algérien, il a déclaré qu'un intérêt a été manifesté pour le développement de ces relations aux niveaux politique, économique et commercial, ainsi que pour la coopération militaire, culturelle et scientifique. La Russie entend renouveler ses accords, annonçant l'intérêt des entreprises russes à établir des partenariats avec des opérateurs algériens dans les domaines de l'énergie et des ressources naturelles (l'Algérie, premier exportateur de gaz, fournit environ 11% du gaz consommé en Europe, contre 47% pour la Russie). En outre, le 18 avril, Vladimir Poutine a rencontré Tebboune pour discuter de la coordination de l'OPEP et de la situation en Ukraine.
Plusieurs pays, dont la France, qui cherchent à réduire leur dépendance à l'égard des approvisionnements russes depuis l'offensive militaire de la Russie en Ukraine, se sont tournés vers l'Algérie, un pays allié de Moscou mais dont la capacité à augmenter ses exportations est très limitée.
Pour Paris, il s'agit de gagner du terrain en matière d'investissement sur le sol algérien, alors que Moscou perd de plus en plus son influence économique à l'étranger en raison des sanctions économiques et de son effort de guerre. Mais pour Macron, il s'agit aussi de contrer la Chine, qui est devenue le premier partenaire commercial de l'Algérie. L'Algérie s'est également rapprochée de la Turquie en développant son partenariat militaire avec la Russie.
A priori, la situation est vertueuse pour l'Algérie. La hausse des prix des hydrocarbures due à la guerre en Ukraine renfloue mécaniquement les caisses d'un pays qui possède les troisièmes réserves pétrolières d'Afrique (derrière la Libye et le Nigeria). La bouffée d'oxygène offerte par ces recettes prospectives - estimées par le Fonds monétaire international (FMI) à 58 milliards de dollars en 2022 (soit 54 milliards d'euros) - est un soulagement pour le gouvernement algérien au moment où le régime tente de restaurer sa base après les turbulences du mouvement de protestation du Hirak en 2019 et 2020.
En outre, la recherche par l'Europe d'alternatives au gaz russe renforce le profil stratégique de l'Algérie sur la scène régionale. De plus en plus courtisée, Alger cherche à se projeter comme un partenaire "fiable", selon la rhétorique officielle, notamment avec l'Italie, avec laquelle elle affiche ostensiblement son amitié. L'Algérie, qui est aujourd'hui à l'origine de 11 % des importations de gaz de l'Europe, est destinée à renforcer son statut de fournisseur à long terme.
Autant de raisons pour les Français de tendre à nouveau la main aux Algériens et de donner un nouvel élan aux relations entre les deux pays à un moment où, comme pendant la guerre froide, la scène internationale est devenue un immense échiquier où les Etats se comptent et définissent leurs positions.
Frédéric Mertens de Wilmars/The Diplomat
Professeur et coordinateur de la licence en relations internationales de l'Université européenne de Valence.