Ukraine : une dangereuse partie d'échecs pour l'UE
Ces dernières semaines, la Russie a massé des milliers de soldats à la frontière ukrainienne, faisant craindre à l'Occident une prochaine offensive. Les États-Unis ont menacé Moscou de représailles en cas d'incursion.
C'est comme si l'ancienne guerre froide soufflait sur l'Ukraine. Déjà ancrées dans la confrontation depuis l'annexion de la Crimée en 2014, les relations entre l'Occident et la Russie se sont tendues ces dernières semaines. La cause : une éventuelle invasion russe, redoutée par Washington malgré les dénégations de Moscou qui cherche à limiter l'influence de l'OTAN dans sa sphère d'influence. C'est l'histoire d'une crise diplomatique majeure entre deux camps opposés.
Déjà en sommeil depuis la guerre de 2014 dans l'est de l'Ukraine avec les séparatistes pro-russes, le face-à-face a repris en novembre 2021. Face à des mouvements de troupes "inhabituels" à la frontière ukrainienne, Washington demande des comptes à Moscou. Les États-Unis sont prudents, d'autant que la Russie a déjà massé quelque 100 000 soldats à la frontière depuis avril, suscitant les premières craintes d'une invasion. L'OTAN, l'UE, Paris et Berlin mettent en garde Moscou contre toute nouvelle "action agressive".
Pour Kiev, l'hypothèse d'une invasion commence à prendre de l'ampleur. Le 28 novembre, l'Ukraine a affirmé que la Russie avait massé quelque 92 000 soldats à ses frontières en vue d'une offensive fin janvier ou début février. Les autorités russes nient cette intention et accusent l'Ukraine de concentrer des troupes dans l'est du pays.
Le 7 décembre, lors d'un sommet bilatéral virtuel, Biden a menacé Poutine de sanctions économiques fortes en cas d'invasion de l'Ukraine. Le président russe, quant à lui, a posé ses conditions : disposer de "garanties juridiques sûres" qui empêcheraient l'Ukraine de rejoindre l'OTAN. C'est ce qui est en jeu dans ce bras de fer. Moscou demande le retrait des troupes étrangères des pays de l'OTAN dans tous les États qui ont rejoint l'Alliance après 1997. La diplomatie russe a mentionné nommément la Bulgarie et la Roumanie, mais la liste comprend 14 pays de l'ancien bloc communiste.
Le 10 janvier 2022, Russes et Américains entament des négociations tendues à Genève, première étape d'une séquence diplomatique. Mais en vain. Le 12 janvier, à l'issue d'un Conseil OTAN-Russie qui s'est tenu à Bruxelles, l'OTAN et la Russie ont pris acte de leurs profondes " différences " sur la sécurité en Europe. Le 14 janvier, plusieurs sites web gouvernementaux ukrainiens ont été la cible d'une cyberattaque massive. Le même jour, Washington a accusé Moscou d'avoir envoyé des agents en Ukraine pour mener des opérations de "sabotage" afin de créer un "prétexte" pour une invasion. Des affirmations "gratuites" selon le Kremlin.
Le 18 janvier, Moscou a exigé des réponses occidentales à ses demandes avant de nouveaux pourparlers. Pour Moscou, l'objectif reste le même : un retrait de l'OTAN, perçue comme une menace existentielle et dont les élargissements successifs rappellent l'humiliation de l'effondrement de l'URSS. Le problème est que, pour les Américains, un retrait de l'Europe n'est pas envisageable, mais l'administration Biden se dit prête à discuter des craintes de la Russie en matière de sécurité.
La Russie commence à déployer un nombre indéterminé de troupes au Belarus afin de mener des exercices "improvisés" de préparation au combat aux frontières de l'UE et de l'Ukraine. Washington s'inquiète du possible déploiement d'armes nucléaires russes au Belarus et pense que Moscou pourrait attaquer l'Ukraine à tout moment.
L'issue de cette situation est incertaine, mais elle représente un danger pour l'UE et ses États membres. Un danger qui peut venir à la fois de la Russie et des États-Unis. En fait, les deux puissances préfèrent ne pas écouter la voix de l'UE, qui, rappelons-le, est la plus grande puissance économique du monde. Washington et Moscou ont transformé l'Europe en un échiquier digne de la guerre froide. L'Ukraine est déjà un pion comme d'autres pays, notamment les anciens satellites de l'URSS, ainsi que les Européens dépendants des États-Unis.
Frédéric Mertens de Wilmars. Professeur et coordinateur de la licence en relations internationales à l'Université européenne de Valence.
Article précédemment publié dans The Diplomat