Au-delà des conspirations algériennes et des complots d'assassinat

Le président d'Argelia, Abdelmadjid Tebboune - AFP/LUDOVIC MARIN
Nous ne savons pas exactement pourquoi le général Djebbar M'henna a été démis de ses fonctions et si son licenciement était lié au complot présumé

Des puissances mondiales alternatives ont pris pied à grande échelle dans l'arrière-cour de l'Algérie sans que les Algériens n'en aient été informés ou n'aient eu leur mot à dire.

Tout a commencé par une histoire qui a circulé pendant des mois en Algérie, selon laquelle le pays était confronté à un complot ourdi par une alliance « maléfique ». Les médias algériens se sont longuement étendus sur les détails de cette conspiration. Le président algérien Abdelmadjid Tebboune lui-même en a parlé. Pour une raison ou une autre, les pouvoirs en place en Algérie ont tendance à croire qu'ils sont, pour diverses raisons, la cible de complots.

Ces derniers jours, des écrivains algériens se sont expliqués sur les réseaux sociaux à propos de la suspension du journal « Djazaier El Ghad » (l'Algérie de demain) et des mesures prises pour fermer cette publication et demander des comptes à ses responsables.

Le journal avait publié en première page un article apportant des précisions sur le prétendu complot. Mais il est allé beaucoup plus loin que les autres en écrivant qu'il ne s'agissait pas d'une vague menace mais d'un projet d'assassinat du président Tebboune lui-même. Certains analystes ont estimé que le journal avait manqué les signaux envoyés par les autorités au lendemain de l'élection qui a vu Tebboune remporter un second mandat. Les Algériens avaient du mal à voir la différence entre les photos des personnes accusées par des sources dites informées de comploter contre le président, une affirmation rapportée par le journal, et les photos des mêmes dirigeants arabes et étrangers, dont l'agence de presse officielle algérienne et le site officiel de la présidence ont fait l'éloge sur Internet et sur Facebook. qui croire et qui ne pas croire en Algérie ?

La réponse à cette question a été donnée sans équivoque par les autorités, puisque le journal a été suspendu et que des procédures ont été mises en place pour sa fermeture. Le problème semble provenir d'une simple erreur d'appréciation de la part de la rédaction du journal.

Les circonstances auraient pu, dans un premier temps, laisser penser à l'existence d'un complot contre l'Algérie qui aurait atteint son paroxysme à l'occasion des élections présidentielles. Mais la vérité est peut-être un peu plus compliquée, d'autant plus que la première mesure prise par Tebboune après avoir prêté le serment constitutionnel a été de limoger l'un des plus hauts responsables des affaires sécuritaires, à savoir le général Djebbar M'henna, directeur général de la Direction de la documentation et de la sécurité extérieure (DGDSE), l'agence de renseignement extérieur, et de nommer un nouveau général à sa place.

Il ne faut pas être un génie pour comprendre qu'il y a un lien entre les histoires de complots et la réorganisation de la direction du renseignement extérieur. S'il y avait des complots étrangers contre l'Algérie ou une menace sur la vie du président, le premier service gouvernemental à intervenir aurait été la DGDSE. Il est difficile d'imaginer que les responsables du renseignement extérieur n'aient pas pu ignorer les rapports sur le complot présumé et les détails du projet d'assassinat du président.

La base de ces rapports, qui ont circulé pendant des mois, semble avoir été très faible. Même un analyste de haut niveau des services de renseignement ayant examiné les rapports circulant en Algérie l'année dernière, y compris les allusions faites par le président lui-même dans ses discours télévisés, les aurait rejetés comme invraisemblables.

Les accusations contre le Maroc devraient être mises de côté, car l'hostilité de l'Algérie envers son voisin occidental a atteint un point tel que les dirigeants algériens pourraient même décider de porter atteinte à leurs propres intérêts, comme l'arrêt du pompage du gaz vers l'Espagne via le Maroc, dans le seul but d'accroître l'hostilité à l'égard du royaume.

Jusqu'à présent, les responsables algériens chargés des relations avec le Maroc n'ont pas abordé des questions aussi légitimes que « Quel est l'intérêt du Maroc à démanteler la structure du pouvoir algérien, quels que soient ses défauts et ses qualités ? » et « Le Maroc serait-il plus en sécurité si, à Dieu ne plaise, le gouvernement algérien se désintégrait, entraînant l'effondrement de la sécurité dans l'État voisin, ouvrant la voie à une situation désastreuse qui éclipserait celle de la Libye, par exemple ? Et puis, quel est l'intérêt d'un pays comme les Émirats arabes unis de contrarier l'Algérie et de conspirer contre elle ?

Les EAU étaient dans leur droit souverain lorsqu'ils ont pris la décision de reconnaître la souveraineté du Maroc sur son Sahara (qui, soit dit en passant, est un territoire que l'Algérie ne revendique même pas). Le degré d'hostilité à l'égard des EAU est donc très difficile à comprendre.

Et quel est l'intérêt de la France, qui n'hésite pas à recevoir en grande pompe le haut commandement de l'armée algérienne et qui poursuit la coordination militaire et sécuritaire avec Alger ?

L'aspect le plus étrange du récit conspirationniste est peut-être l'accusation d'implication israélienne. Imaginez le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu rencontrant le chef du Mossad au plus fort de la guerre à Gaza, en Cisjordanie, au Sud-Liban et en Syrie, et au milieu d'une confrontation permanente avec les Forces de mobilisation populaire en Irak, les Houthis au Yémen et les Gardiens de la révolution en Iran. Imaginez qu'il dise : « Maintenant que nous avons fini de discuter de la manière dont nous allons assassiner Ismail Haniyeh, trouver Yahya Sinwar et traquer les dirigeants du Hamas et du Hezbollah, Saleh al-Arouri, Fouad Shukr et Ibrahim Aqil, passons à la question du renversement du gouvernement algérien et de l'assassinat de son président ».

Pourquoi Israël ferait-il cela, parce que l'Algérie est favorable aux Palestiniens, par exemple, ou parce que l'Algérie a envoyé une seule cargaison de carburant pour la production d'électricité au Liban ?

Même si des personnes mal intentionnées transmettaient de telles informations à la DGDSE algérienne, la première chose que l'on attendrait de l'agence serait d'examiner ces informations et de transmettre aux dirigeants et aux différentes autorités du pays, ainsi qu'aux médias, quelques éléments de preuve qui justifieraient la conduite d'une campagne sur le prétendu complot.

Il n'en a rien été et le ministère de la Communication a été contraint de sanctionner le journal qui avait « cru » aux histoires de complot (pour mémoire, les médias algériens ont eu la gentillesse d'oublier l'arrestation de ressortissants marocains qui auraient été surpris dans un port algérien en train d'essayer de faire passer des cartouches de chasse pour influencer les élections).

Nous ne savons pas exactement pourquoi le général Djebbar M'henna a été démis de ses fonctions et si son licenciement était lié au complot présumé.

Mais ce qui est certain, c'est que les dirigeants algériens interrogeront la DGDSE sur une question très importante et sensible qui était passée inaperçue aux yeux des services de renseignement étrangers. Il s'agit des changements majeurs dans la région du Sahel et du Sahara.

Aujourd'hui, la région a vu l'émergence d'une alliance politico-militaire suite à la signature du pacte de Liptako-Gourma entre le Burkina Faso, le Mali et le Niger, les trois pays ayant déplacé leurs priorités d'une alliance avec les pays d'Afrique de l'Ouest vers une coopération avec les puissances occidentales.

Il ne s'agit pas seulement de retirer les forces françaises participant à la force Barkhane, ni de demander aux forces américaines d'achever leur retrait d'une base militaire locale. Ce qui s'est passé, c'est que des puissances mondiales alternatives ont pris pied à grande échelle dans l'arrière-cour de l'Algérie sans que les Algériens n'en aient été informés au préalable ou n'aient eu leur mot à dire. Après l'apport probablement déroutant de l'appareil diplomatique et de renseignement algérien, les dirigeants algériens ont dû faire face à la présence établie au Sahel non seulement de la Russie, mais aussi de la Chine, de la Turquie et même de l'Iran.

La confusion qui en a résulté a atteint son paroxysme lorsqu'elle n'a pas été en mesure d'adopter une position intelligible face à ces développements. Alger ne savait plus si elle devait soutenir le maintien dans la région de la France, l'ancienne puissance coloniale méprisée en Algérie et dans la région en général, ou si, au contraire, elle devait prôner une sortie de la France. Il n'a pas non plus pu dire si la présence des troupes de Wagner est ou non une manifestation saine de sa relation avec la Russie.

L'Algérie s'est-elle concertée avec son ami Recep Tayyip Erdogan au sujet de la présence turque au Sahel, et ce qui se passe à la frontière sud entre l'Algérie et le Mali est-il un problème frontalier ou un signe avant-coureur d'un militantisme séparatiste qui affectera l'Algérie avant tout autre pays ?

Lorsque le président Tebboune a entamé son premier mandat, il a nommé de nombreux ambassadeurs et conseillers présidentiels chargés des relations avec les voisins africains. Aujourd'hui, nous ne nous souvenons même pas des noms de ces conseillers, car ils ont été oubliés après les échecs politiques et diplomatiques successifs de l'Algérie dans la région. Aujourd'hui, alors que Tebboune entame son second mandat, il est clair qu'il souhaite clore le chapitre de l'histoire de la conspiration. Le moment est peut-être venu pour les parties prenantes de s'attaquer aux véritables problèmes qui affectent la sécurité nationale algérienne dans un monde instable et en rapide évolution. Il n'est jamais trop tard pour repartir du bon pied, après que les événements du Sahel sont passés sans attirer l'attention qu'ils méritaient.