Conclusions de l'avocat général de la CJUE : mentions et omissions
Le jeudi 21 mars, le bureau de l'avocat général de la CJUE a publié plusieurs conclusions, dans lesquelles il a statué sur diverses questions liées aux accords commerciaux entre l'UE et le Maroc, avec le Sahara comme élément principal.
La conséquence la plus immédiate, comme il est d'usage dans ces cas, a été le flux hâtif de communiqués et de publications par l'une des parties en question, soulignant ou omettant à leur guise les fragments de l'opinion de l'avocat général qu'ils considéraient comme appropriés. Soit directement, par le biais du communiqué officiel classique et partial du Polisario, soit par le biais de ses satellites médiatiques habituels de ce côté-ci du détroit. Tout cela dans le but d'alimenter l'histoire et de la vendre comme leur propre succès.
Rien n'est plus éloigné de la vérité. Comme nous le verrons plus loin, les vues de l'avocat général sur les questions en jeu étaient bien plus approfondies que ce qui a été dit. Selon l'expression consacrée, on n'a pratiquement rien dit du "contenant" (les conclusions), le "contenu" (l'argumentation développée) étant largement omis. Nous reviendrons plus loin sur ce dernier point.
Tout d'abord, il convient de noter que les avocats généraux de la CJUE - ils sont au nombre de dix, originaires d'autant de pays - jouent un rôle particulier au sein de la Cour de justice. Leur fonction est de fournir aux juges un avis impartial et indépendant. Ils ne participent pas aux délibérations de la Cour, dont les juges prennent la décision finale. L'avis de l'avocat général n'est pas contraignant, mais les juges luxembourgeois suivent ses recommandations - selon diverses sources consultées - dans 70 à 80 % des cas.
Un exemple récent et notoire de cette situation est l'affaire Superliga contre UEFA (menée par le Real Madrid et le Fútbol Club Barcelona). Alors que l'avocat général de l'UE estimait que la FIFA et l'UEFA n'avaient pas abusé de leur position dominante en bloquant la création d'un tournoi alternatif sous la menace de sanctions, un an plus tard, la CJUE a jugé que les règles de l'UEFA et de la FIFA constituaient bien un tel abus.
Pour en revenir au début de l'article, sur les conclusions des questions posées à l'avocat général de la Cour européenne concernant le Maroc et l'UE, la grande majorité de ceux qui lisent ces lignes n'auront sûrement pas eu de mal à trouver des titres typographiquement riches mentionnant que l'avocat général de la CJUE "a recommandé l'annulation de l'accord de pêche UE-Maroc relatif au Sahara" (n° 53/2024 : 21 mars 2024). Ce qui a peut-être été plus difficile à trouver pour eux, c'est que cette avocate, la Croate Tamara Capeta, a entériné la légalité de l'accord commercial de l'UE avec le Maroc (n° 54/2024 : 21 mars 2024), annulant la précédente décision du tribunal de première instance qui avait annulé son approbation au motif que le pacte devait être entériné par le Polisario.
Selon l'avocat général, "le peuple du Sahara occidental ne peut, en l'état actuel de son organisation, donner seul cet aval nécessaire. En d'autres termes, il n'y a pas de représentant élu ou agréé qui puisse consentir en son nom", faisant clairement allusion au Polisario, qu'elle ne considère pas comme un représentant officiel ou agréé pouvant introduire un recours en son nom, et qu'elle définit comme "une organisation qui ne reflète que les intérêts d'une partie de la population du Sahara : ceux qui prônent la création d'un Etat indépendant".
La juriste de la CJUE note également dans sa conclusion que "le Front Polisario est un mouvement de libération autoproclamé qui est né pour lutter en faveur d'un type particulier de modèle futur de gouvernance du territoire du Sahara occidental : celui de l'indépendance de ce territoire à l'égard du Royaume du Maroc, ainsi que de la création d'un État sahraoui souverain et autonome. Cependant, il n'a jamais été élu par le peuple du Sahara Occidental pour ce rôle, et il ne peut être déterminé avec certitude que le Front Polisario a le soutien de la majorité du peuple du Sahara Occidental". Il poursuit en disant que "le Front Polisario n'est pas reconnu comme le représentant du peuple du Sahara Occidental ni par les Nations Unies ni par l'Union Européenne. Dans le cas de l'UE, l'avocate demande "sans représentant élu ou reconnu collectivement, comment ce peuple peut-il défendre son droit collectif à l'autodétermination devant les tribunaux de l'UE ? Dans le cas de l'ONU, elle rappelle que la fameuse résolution 34/37 de l'Assemblée générale des Nations unies du 21 novembre 1979 "n'est pas une preuve suffisante, en soi, pour établir une telle revendication". Ces déclarations en auront certainement piqué plus d'un à Rabuni ou à Alger. En Espagne aussi, bien sûr. C'est la seule façon d'expliquer l'omission de toutes ces questions dans les publications sur le sujet.
L'affaire ne s'est pas arrêtée là. En effet, en conséquence de ce qui précède, la question s'est posée de savoir si le Royaume du Maroc pouvait donner son consentement à l'accord en question au nom du peuple du Sahara Occidental. Dans l'exposé des motifs de sa décision, l'avocate a non seulement répondu par l'affirmative, mais elle est allée plus loin en abordant l'épineuse question de l'administration du territoire.
L'avocate Capeta rappelle que "selon le droit international, un État qui contrôle de facto un territoire peut être qualifié juridiquement de trois manières : souverain, administrateur ou occupant". Par conséquent, elle note dans ses délibérations que "les institutions politiques de l'UE ne traitent pas le Royaume du Maroc comme une puissance occupante, ni comme un souverain, mais plutôt comme une puissance administrante. Je le répète, pour l'UE, il ne s'agit pas d'une puissance occupante mais, à tout le moins, d'une puissance administrante.
En effet, l'UE se réfère aux accords tripartites de Madrid, en les mentionnant et en rappelant que "la liste de l'ONU de tous les territoires non autonomes en attente de décolonisation indique la puissance coloniale administrante de chaque territoire, sauf dans le cas du Sahara occidental". En somme, selon l'avocat, pour l'UE, et contrairement aux affirmations insistantes du Polisario et de ses partisans, l'Espagne n'est plus la puissance administrante du territoire.
L'avocat souligne également que, bien que le Maroc considère le Sahara comme un territoire souverain (un statut supérieur à celui d'une puissance administrante), cela n'empêche pas l'UE de traiter unilatéralement le Royaume du Maroc comme la puissance administrante "de facto" du territoire du Sahara occidental dans son engagement économique avec le territoire. Il s'ensuit qu'ils sont la puissance administrante et donc autorisés à donner leur "consentement" à la mise en œuvre d'un accord conclu entre deux États sur le territoire qu'ils administrent.
En bref, étant donné que l'UE confère ce statut au Maroc, l'avocat général considère que l'UE elle-même doit accepter que le Maroc, et non le Polisario, endosse l'accord commercial au nom du Sahara, rejetant ainsi les arguments du Polisario.
Il convient également de noter que l'avocat général de l'UE, afin de parvenir aux conclusions énoncées ci-dessus, utilise un large éventail de jurisprudence, de bibliographie, de décisions, etc., dans ses délibérations, comme on peut le voir dans le texte complet publié sur le site officiel de la CJUE le 21 mars. Il s'agit logiquement d'un avis technique et professionnel fondé sur diverses sources de droit international. Une précision qui ne devrait pas être nécessaire, mais qui n'est pas superflue compte tenu des suspicions que, de manière sectaire et militante, cette question suscite dans les milieux les plus proches du Polisario. En même temps, ceux qui l'ont délibérément omise ces derniers jours.
Enfin, le communiqué souligne également la position actuelle de l'UE sur la question et sa résolution politique, affirmant que le processus devrait viser à atteindre "une solution politique juste, réaliste, pragmatique, durable et mutuellement acceptable (...) basée sur un compromis entre les parties". Tout cela sur la base de la déclaration conjointe UE-Maroc pour la quatorzième réunion du Conseil d'association (27 juin 2019). Ces propos sont en phase avec les résolutions annuelles du Conseil de sécurité de l'ONU, où le mot référendum n'a pas été mentionné depuis des années. Il ne faut pas oublier que la moitié des pays de l'UE, y compris les plus importants, soutiennent individuellement le statut d'autonomie de la région adopté par le Maroc en 2007.
Quant à l'autre affaire tranchée par l'avocat général de l'UE (n° 55/2024 : 21 mars 2024), concernant l'importation de produits originaires du Sahara occidental, j'essaierai de ne pas trop m'attarder.
Il s'agit d'une conclusion découlant d'une demande de décision préjudicielle du syndicat agricole Confédération Paysanne, via le Conseil d'État français, concernant l'étiquetage des denrées alimentaires originaires du territoire du Sahara occidental (melons et tomates), ainsi que la capacité des États membres à agir unilatéralement en interdisant l'importation de marchandises en provenance de pays tiers, en l'occurrence le Maroc.
Sur cette question, comme sur la précédente, vous avez peut-être lu ces jours-ci des titres d'une grande richesse typographique et d'une certaine partialité parlant de melons et de tomates, basés sur les conclusions de l'avocat sur l'étiquetage des produits, mais où les mêmes conclusions ont été omises en ce qui concerne la question des interdictions d'importation.
En effet, bien que l'avocate ait déclaré que les tomates et les melons originaires du Sahara doivent porter une mention expresse de ce territoire sur leur étiquette, elle a également déclaré de manière claire que "sur la base du code des douanes de l'Union, un État membre n'est pas autorisé à adopter unilatéralement une mesure nationale interdisant l'importation sur son territoire de fruits et légumes en provenance d'un pays tiers, simplement parce qu'ils ne sont pas correctement étiquetés avec le pays d'origine". En d'autres termes, les États membres de l'UE ne peuvent pas opposer leur veto aux importations de denrées alimentaires. Ce droit de veto est contraire au droit communautaire, dans la mesure où le commerce international des marchandises relève de la compétence exclusive de l'UE, est régi par des principes uniformes, et que seule l'UE peut émettre des interdictions d'importation.
Il est clair que dans la diffusion de cette question, il y a eu un intérêt à rester tangentiel ou accessoire, qu'il s'agisse de melons ou de tomates, en cachant la substance, à savoir la non-interdiction des importations de ces produits, quelle que soit la façon dont ils sont étiquetés. D'ailleurs, Abdulah Arabi, délégué du Polisario en Espagne, mentionnait à l'époque que "la question de l'étiquetage est une phase de plus du conflit, une preuve de plus de l'illégalité des accords économiques entre l'Europe et le Maroc". Faux, comme nous l'avons vu tout au long de cet article, les propos d'Arabi sont un reproche très large, très éloigné de la réalité décrite par l'avocate de la CJUE, Tamara Capeta. Même si, comme nous l'avons dit au début, les avis de Mme Capeta ne sont pas contraignants, un pourcentage considérable d'entre eux sont pris en compte par la Cour.
Nous devrons attendre la décision finale de la CJUE. Entre-temps, nous continuerons à observer comment certaines choses sont mentionnées et omises chaque fois qu'une affaire de nature similaire se présente. Il ne faut pas que le contenant détourne ou obscurcisse la valeur du contenu. Et s'il ne le fait pas, nous serons là pour le mentionner quand d'autres l'omettent.