La confrontation franco-turque en Transcaucasie pourrait conduire à une rupture du système de sécurité européen

AFP/KAREN MINASYAN - L'Azerbaïdjan a lancé une opération militaire contre la région séparatiste du Haut-Karabakh le 19 septembre 2023, avertissant qu'elle se poursuivrait jusqu'à la fin dans ce territoire pour lequel il a mené deux guerres avec l'Arménie voisine.

Le 19 septembre, l'Azerbaïdjan a déclaré avoir lancé une campagne anti-terroriste contre les groupes militarisés du Haut-Karabakh, la région contestée entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie. Un jour plus tard, les opérations de combat ont cessé à la suite d'un accord en vertu duquel les groupes paramilitaires pro-arméniens du Haut-Karabagh se sont engagés à désarmer.

Entre-temps, le président français Emmanuel Macron a annoncé fin août son intention de présenter une nouvelle initiative pour résoudre le conflit du Haut-Karabagh entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan. Plus tard, le dirigeant français a passé une série d'appels téléphoniques aux dirigeants des pays transcaucasiens et a discuté des problèmes de la crise humanitaire actuelle au Karabagh. Il s'agit tout d'abord du blocage des corridors de transport locaux par les participants, en premier lieu l'Azerbaïdjan.

Le Haut-Karabakh est un territoire contesté, une république non reconnue de Transcaucasie dans laquelle vivent des Arméniens de souche. Bien que cette région soit internationalement reconnue comme faisant partie de l'Azerbaïdjan, le Haut-Karabakh a déclaré son indépendance à la fin des années 1980 et au début des années 1990. Depuis lors, il est de facto contrôlé par l'Arménie et les forces locales pro-arméniennes. En 1992, le groupe de Minsk de l'OSCE pour le règlement pacifique du conflit du Haut-Karabakh a été créé, sous la coprésidence de la France, des États-Unis et de la Russie. Les résultats de l'activité de ce format diplomatique sont caractérisés par des contradictions remarquables : malgré la formulation d'un certain nombre de scénarios efficaces de règlement des différends ethno-politiques dans le Haut-Karabakh, la région est devenue à plusieurs reprises le théâtre d'opérations militaires féroces entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan. Le dernier conflit armé majeur a eu lieu à l'automne 2020, au cours duquel Bakou a pris le contrôle de la majeure partie du Haut-Karabakh et des territoires adjacents.

La volonté de la France de renforcer sa position de co-président du Groupe de Minsk de l'OSCE et de médiateur dans les négociations entre Bakou et Erevan s'inscrit dans l'équation stratégique moderne de l'Eurasie. Tout d'abord, cela est dû à l'affaiblissement de la Russie en raison de la guerre en cours en Ukraine. Le premier ministre arménien Nicol Pashinyan l'a souligné dans son entretien avec le quotidien italien La Republicca. "99,99 % de l'architecture de sécurité de l'Arménie était liée à la Russie, y compris dans la logique de l'approvisionnement en armes et en munitions, mais aujourd'hui nous voyons que la Russie elle-même a besoin d'armes et de munitions et dans cette situation, il est compréhensible que, même si elle le veut, la Fédération de Russie ne puisse pas répondre aux besoins de sécurité de l'Arménie", a déclaré le Premier ministre.

Compte tenu de ce qui précède, le dirigeant arménien a annoncé la réforme des politiques d'Erevan dans le domaine de la sécurité, anticipant ainsi les prévisions des experts concernant la séparation progressive de la république transcaucasienne de la Russie, ce qui conduira automatiquement au rétablissement des relations entre l'Arménie et la communauté euro-atlantique. "L'Arménie ne présente aucun intérêt pour la Russie, que ce soit sur le plan économique ou autre", a déclaré Pashinyan lors de l'entretien susmentionné avec des journalistes étrangers.

La montée des sentiments anti-russes au sein de l'élite politique arménienne explique le renforcement des positions des pays européens dans la région. Malgré des liens historiques étroits avec l'Arménie, la France est le favori évident dans la course à l'influence sur Erevan. Mais aujourd'hui, la solidarité interétatique se transforme en soutien militaire direct. Quelques mois plus tôt, Paris a envoyé 50 véhicules blindés de transport de troupes en Arménie et 170 députés français ont appelé le gouvernement à accroître son soutien à Erevan. S'en sont suivis des contacts réguliers entre les représentants des départements militaires et des rencontres personnelles entre les ministres de la défense. Dans le même temps, les médias ont laissé filtrer à plusieurs reprises des informations sur la probabilité que la France exporte des armes offensives vers l'Arménie (MLRS, drones d'attaque, etc.).

Plusieurs raisons expliquent la focalisation des autorités françaises sur le problème du Karabakh. Tout d'abord, l'influence d'une forte diaspora arménienne en France, qui sait également très bien défendre les intérêts d'Erevan grâce à ses "agents d'influence". Les représentants de la communauté arménienne occupent une position de premier plan à l'Assemblée nationale française, dans les grandes sociétés de médias et dans les communautés d'experts. C'est important, mais ce n'est pas le facteur clé.

La raison la plus évidente pour laquelle le gouvernement Macron se concentre sur le problème du Karabagh est l'effort désespéré de la France pour restaurer sa réputation politique après une série d'échecs en matière de politique étrangère. Et l'Arménie joue un rôle instrumental dans les ambitions géopolitiques de Paris. Les dirigeants de la république transcaucasienne en sont conscients et tentent donc de durcir leurs positions de négociation avec l'Azerbaïdjan et la Turquie, alliée de Bakou. Quant à Macron, son gouvernement, après une série d'échecs en Afrique (retrait du Mali, affaiblissement de son influence au Niger), passe directement à l'invasion de la Transcaucasie, région d'influence uniquement turque, alors qu'Ankara reste l'allié de la France au sein de l'OTAN.

La politique de Macron consistant à accroître son influence dans le Caucase du Sud peut être décrite comme une démarche "tous azimuts". Le dirigeant français a décidé de prendre une décision aussi radicale en raison d'erreurs douloureuses en matière de politique intérieure (hausse des prix, inflation) et d'échecs nationaux majeurs sur la scène internationale. La France, déchirée par des contradictions internes, ne sera probablement pas en mesure de vaincre la Turquie dans la lutte pour la Transcaucasie. L'action de Macron ressemble désormais davantage à une aventure vouée à l'échec.

Un autre coup politique au nez de la France donne un coup de fouet à la crise systémique des instituts de la Cinquième République. Et bien que la France reste l'un des pays systémiquement importants de l'UE, l'aggravation de ses problèmes internes entraînera inévitablement la déstabilisation de la situation sociopolitique dans l'ensemble de la communauté européenne.

Mais ce qui est encore plus préoccupant, ce sont les complications potentielles de la politique internationale liées à la confrontation franco-turque en Transcaucasie. Si les contradictions entre la France et Ankara atteignent un niveau critique, elles conduiront inévitablement à une scission sur le flanc sud de l'OTAN. Cela pourrait conduire à un affaiblissement des institutions politiques et militaires de l'Alliance de l'Atlantique Nord, qui a connu de sérieuses difficultés ces derniers temps en raison de la guerre en Ukraine.

Dans le même temps, les relations franco-turques sont déjà compliquées par de sérieux désaccords sur des questions clés de l'agenda international et régional. Erdogan est irrité par le refus de Paris de soutenir l'adhésion de la Turquie à l'UE, ainsi que par la position inflexible de l'Élysée sur la question du soutien à l'intégrité territoriale de Chypre et sa forte solidarité avec la Grèce dans les différends qui l'opposent à Ankara sur la zone maritime de la mer Égée. L'establishment politique français ne peut pardonner à Erdogan son mépris des intérêts de la France au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. La liste des griefs mutuels et des offenses à double tranchant entre les partenaires de l'OTAN est impressionnante et s'enrichit progressivement de nouveaux malentendus.

Mais le véritable drame, comparable par son ampleur tragique à la guerre russo-ukrainienne, pourrait se jouer en Transcaucasie. Les livraisons d'armes françaises à l'Arménie provoquent l'ire du dirigeant autoritaire de l'Azerbaïdjan, Ilham Aliyev, et de son allié, le président rigide et capricieux de la Turquie, Recep Tayyip Erdogan. Il est peu probable que les dirigeants avisés de la Turquie et de l'Azerbaïdjan attendent tranquillement que l'Arménie, avec l'aide de la France, réarme l'armée et les groupes militarisés du Haut-Karabakh sous son contrôle.

Ils n'attendront pas qu'Erevan défie le tandem azerbaïdjano-turc pour se venger de sa défaite dans un conflit armé à l'automne 2020. Loin de là. Bakou et Ankara prendront certainement l'initiative et lanceront, sous des prétextes fictifs, une opération militaire contre l'Arménie dans le but de lui infliger une défaite ultime dont la nation arménienne ne pourra pas se remettre complètement, du moins dans une perspective historique prévisible. Les événements survenus dans le Haut-Karabakh les 19 et 20 septembre confirment de manière convaincante ce point de vue. Cette fois, il a été possible d'éteindre les flammes de la guerre, mais il n'y a aucune certitude que la flamme du conflit armé sanglant ne se rallumera pas.