L'État-providence et le rôle du secteur privé : Le paradoxe de Maslow

Tour Mohammed VI à Rabat - AFP/FADEL SENNA
La question centrale qui préoccupe de nombreux acteurs politiques, notamment dans les pays du Sud, est la relation complexe entre les attentes croissantes des différentes couches sociales et la capacité des institutions constitutionnelles et politiques à y répondre

Cet écart, qui semble se creuser malgré les efforts consentis, pose un véritable défi aux gouvernements.

Le paradoxe réside dans le fait que plus la classe moyenne s'élargit, plus les revenus augmentent et plus les libertés s’étendent, les attentes, elles, ne cessent de croître.

La pyramide de Maslow illustre bien ce phénomène : en satisfaisant certaines attentes fondamentales, d'autres attentes, plus complexes, apparaissent. Par exemple, au Maroc, le PIB a doublé en l’espace de deux décennies, ce qui a permis à un grand nombre de Marocains de sortir de la pauvreté et d’accéder à la classe moyenne. Ces individus, qui auparavant se souciaient surtout de leur subsistance, aspirent désormais à plus : loisirs, services, voyages, éducation, et mobilité. 

Toutefois, l'accès à la classe moyenne, notamment dans ses franges les plus précaires, entraîne souvent des frustrations. Ainsi, même si les dépenses sociales augmentent, le mécontentement populaire suit la même courbe, car chaque montée dans la pyramide des besoins génère de nouvelles ambitions. Cela ne signifie pas qu'il faille réduire les investissements dans le social, mais plutôt qu’il est urgent de stimuler l'économie pour offrir aux ménages davantage de moyens de diversifier leurs sources de revenus. 

Un État-providence ne peut fonctionner sans une économie libre, dynamique et créatrice d'emplois et de richesse. Contrairement à ce que prônent certains partisans d'une intervention étatique accrue, le véritable État-providence repose sur un équilibre délicat entre l'investissement public et une économie libre capable de générer des opportunités complémentaires. 

Le gouvernement, le parlement et l’État doivent donc, à travers la loi de finances, trouver cet équilibre entre la mobilisation des ressources fiscales et le soutien à l'initiative privée. L’approche actuelle au Maroc, qui se reflète dans les dernières lois de finances, privilégie une réduction de la pression fiscale sur les petites et moyennes entreprises tout en taxant davantage les grandes entreprises. Les fonds collectés sont ensuite investis dans le social. Cette stratégie est justifiée, car les PME se sont révélées plus efficaces dans la création de richesse et d'emplois, comme l’a souligné un récent rapport de la Banque mondiale. 

Cependant, cette approche présente des limites. La durabilité des dépenses liées à la protection sociale et la capacité à mobiliser des ressources fiscales de manière régulière restent des défis majeurs. Il serait également judicieux de transformer une partie des excédents des grandes entreprises en investissements nationaux, notamment dans les régions défavorisées, où ces investissements pourraient créer des emplois et de la richesse. 

Les attentes des citoyens continueront de croître tant que l’on n’aura pas trouvé un équilibre véritable entre l’intervention de l’État et la contribution du secteur privé. Cet équilibre est indispensable pour créer un maximum d’opportunités et répondre efficacement aux besoins croissants de la population. 

Il est donc crucial de renforcer les outils à la disposition du gouvernement et du secteur privé pour répondre aux attentes des citoyens. Par exemple, au Maroc, la loi de finances, l’intervention de Bank Al-Maghrib pour maîtriser l’inflation, et les initiatives du secteur privé sont des mécanismes essentiels mais encore insuffisants. Le marché des capitaux, notamment, ne joue pas encore son rôle de financement diversifié et adapté aux besoins de tous les secteurs. Les produits financiers manquent également de flexibilité et d’efficacité, comparé à ceux disponibles dans d'autres économies. 

Le financement des startups, par exemple, reste difficile en raison de la prédominance d'une culture financière et d'investissement traditionnelle. Même la loi de finances, principal instrument de réponse aux attentes des citoyens, offre peu de marge de manœuvre en raison des dépenses fixes élevées, qui ne peuvent être réduites sans mettre en péril des équilibres cruciaux au sein de l’État. 

Enfin, l’ouverture du marché du travail, le renforcment du capital institutionnel, et la stimulation des investissements privés sont essentiels. L’intégration du Maroc dans les environnements économiques arabe, africain et européen peut également générer une croissance supplémentaire de trois points, avec un impact direct sur l’emploi et la richesse. 

Les expériences internationales montrent qu'un État-providence ne peut répondre à toutes les attentes sans un secteur privé fort et engagé. Au Maroc, le secteur privé dépend encore en grande partie de l'État, ce qui a entraîné un rôle croissant de l'investissement public, estimé à 34 milliards de dollars sous le gouvernement d'Aziz Akhannouch. Cependant, la contribution du secteur privé demeure limitée. Des initiatives telles que la création du Fonds Mohammed VI pour l'investissement, l'adoption du nouveau code des investissements, et la réforme des Centres Régionaux d'Investissement (CRI) constituent des opportunités majeures pour attirer et mobiliser le capital privé, tout en stimulant le développement économique du pays.