Le Mythe d’un Peuple Sahraoui : Quand la Gauche Radicale Espagnole Adopte une Construction Coloniale de l’Ère Franco
- Une Invention Coloniale : La Fabrication Franco de l’Identité Sahraouie
- Le Rôle de África: Revista de Tropas Coloniales
- Les Contradictions du Récit Colonial
- Pourquoi une « Nation Sahraouie » n’a Jamais Émergé
- Le Sahara Occidental : Un Milieu Naturel Hostile et une Économie Nomade
- Pourquoi la gauche radicale espagnole ferme-t-elle les yeux sur le Maroc ?
- La libération marocaine et le soutien sélectif de la gauche radicale espagnole
- Une adoption aveugle du récit algérien
- Une Contradiction dans l’Interprétation du Droit International par la Gauche Radicale
- L'hypocrisie d'adopter une construction coloniale de l'époque franquiste
- Un calcul géopolitique plutôt qu’une position de principe
Quelle est l’origine de la notion « peuple sahraoui » ? Reflète-t-elle une réalité sociologique et historique authentique ? Peut-on considérer des tribus nomades engagées dans l’élevage de chameaux, le pâturage et les activités transhumantes comme un peuple?
Toute consultation des archives espagnoles de la fin des années 1960 révèle comment le gouvernement franquiste a fabriqué de toutes pièces la notion d’un « peuple sahraoui » à travers diverses stratégies, largement documentées dans l’ouvrage de Rahhal Boubrik, La question du Sahara : aux origines d’une invention coloniale 1844-1975.
Une Invention Coloniale : La Fabrication Franco de l’Identité Sahraouie
Le « peuple sahraoui » est une construction coloniale, ultérieurement adoptée par le Front Polisario et l’Algérie, et aujourd’hui recyclée par la gauche européenne, en particulier la gauche radicale espagnole. Que cette fabrication franquiste soit désormais défendue par la gauche radicale demeure l’une des grandes ironies de l’histoire dans le débat sur la décolonisation du Sahara occidental.
Dans les années 1960, le Maroc avait réussi à internationaliser la question du Sahara occidental et gagnait du terrain dans sa revendication territoriale. Le gouvernement espagnol, sous la direction du général Franco, mobilisa alors un groupe d’anthropologues, d’historiens et de militaires pour fabriquer une identité sahraouie distincte. L’objectif était de construire l’idée d’un « peuple sahraoui » séparé, servant ainsi de stratégie coloniale pour contrecarrer les revendications légitimes du Maroc et maintenir l’influence espagnole sur la région.
Boubrik a minutieusement démontré comment le concept d’un peuple sahraoui distinct fut élaboré comme une manœuvre destinée à garder le Sahara occidental sous domination coloniale espagnole, ou à défaut, sous un état de dépendance totale. Je ne vais pas m’attarder sur ces détails, mais plutôt sur l’acte de construction lui-même et sur la naïveté de la gauche radicale espagnole qui continue d’intégrer cette notion coloniale franquiste dans son discours actuel sur le Sahara occidental.
Le Rôle de África: Revista de Tropas Coloniales
Pour construire le « peuple sahraoui », Franco et ses responsables coloniaux se tournèrent vers la revue África: Revista de Tropas Coloniales. Fondée en 1924 par Gonzalo Queipo de Llano, un militaire africaniste influent, cette revue visait à justifier la présence espagnole au nord et au sud du Maroc, mettant en avant la prétendue mission civilisatrice de l’Espagne. Même Francisco Franco y contribua avant de devenir le dirigeant absolu de l’Espagne à la fin des années 1930. Une autre figure clé de la politique coloniale espagnole, Tomás García Figueras—qui rédigea de nombreux ouvrages coloniaux et orientalistes sur le Maroc—faisait également partie de ses contributeurs. Cette revue véhiculait un discours nationaliste, militariste et colonialiste, exaltant la grandeur impériale espagnole et son prétendu impact bénéfique sur ses colonies.
En 1967, la revue fut mobilisée pour fabriquer l’identité d’un « peuple sahraoui » distinct. Elle publia des articles décrivant un groupe ethnique doté de sa propre culture, de ses institutions et de caractéristiques sociologiques spécifiques.
Les Contradictions du Récit Colonial
Ce récit colonial était pourtant contradictoire : il s’opposait à la justification coloniale espagnole de longue date, selon laquelle il était nécessaire de civiliser des populations du Sahara « arriérées » et « ignorantes ». Les responsables coloniaux franquistes voulaient le beurre et l’argent du beurre : ils dépeignaient les indigènes comme arriérés et nécessitant la civilisation espagnole, tout en les présentant comme un peuple distinct doté de sa propre histoire et de ses institutions.
Une autre contradiction apparaît lorsque cette supposée distinction fut mise en œuvre par l’Assemblée Générale du Sahara (un organe consultatif sahraoui). L’argumentation restait tribale : « le peuple » était structuré comme suit : famille → ‘arsh (groupe de familles) → fakhda (groupe d’‘arsh) → tribu (composée de plusieurs fakhda). Pourtant, jamais les ethnographes coloniaux de África: Revista de Tropas Coloniales n’expliquèrent quand et comment cette structure tribale se transformerait en une nation ou un peuple distinct.
Pourquoi une « Nation Sahraouie » n’a Jamais Émergé
Les structures tribales du Sahara n’ont jamais permis l’émergence de mythes partagés, de folklore, d’institutions ou de sagas historiques assez puissants pour forger une identité nationale distincte. Lorsque la tribu sahraouie Ma’alainine mobilisa les tribus sahraouies au début du XXe siècle pour résister au colonialisme français et espagnol, elle le fit au nom du peuple marocain, auquel elle s’identifiait pleinement.
En plus des contradictions mentionnées ci-dessus, ni la géographie, ni l’écologie, ni le tissu sociologique n’ont favorisé l’émergence d’un peuple distinct. Plongeons dans l’histoire de l’occupation humaine du territoire et de son activité économique pour comprendre pourquoi cela a toujours été le cas.
Le Sahara Occidental : Un Milieu Naturel Hostile et une Économie Nomade
Les conditions environnementales extrêmes du Sahara occidental—aridité extrême, précipitations minimales, fluctuations sévères de température et tempêtes de sable fréquentes—ont historiquement empêché le développement d'une population sédentaire ou d'un État-nation unifié. Les ressources en eau sont rares, avec seulement quelques puits et une seule rivière saisonnière, la Saguia al-Hamra, qui reste à sec pendant la majeure partie de l'année. La végétation est également limitée, rendant l'installation permanente insoutenable.
Ainsi, le pastoralisme nomade est resté le mode de vie dominant, les tribus se déplaçant de façon saisonnière à la recherche d'eau et de pâturages. Cette dépendance structurelle à la mobilité a rendu impossible le développement d'une économie distincte et autosuffisante ou d'une entité politique centralisée dans la région…(Cette évaluation, y compris les cinq paragraphes suivants, est basée sur les observations d’un géographe qui a mené une étude sur la région dans les années 1990 et qui préfère rester anonyme. Bien que l’étude n’ait jamais été publiée, les observations de cet expert fournissent un contexte précieux pour comprendre les conditions environnementales de la région).
Historiquement, le Sahara occidental n’a jamais été une entité géopolitique isolée, mais plutôt une région profondément intégrée au Maroc. Ses tribus dépendaient du commerce et des échanges avec le Souss, le Drâa et l’Anti-Atlas, renforçant ainsi leurs liens économiques et politiques avec le Maroc. L’introduction du chameau au IIIe siècle après J.-C. a révolutionné le commerce transsaharien, reliant la région aux grands centres commerciaux tels que Tombouctou, Gao et Djenné. Au fil des siècles, elle a été habitée et gouvernée par diverses confédérations nomades, à commencer par les Berbères Sanhaja, suivis de l’arrivée des tribus arabes Ma’qil au XIIIe siècle, ce qui a conduit à l’arabisation linguistique et culturelle de la région. Pourtant, ces populations sont restées organisées selon des structures tribales, sans posséder les éléments constitutifs d’un État-nation unifié.
Les principaux groupes tribaux, tels que les Tekna, les Reguibate, les Oulad Delim et d’autres, fonctionnaient comme des entités indépendantes et souvent rivales, plutôt que comme un peuple cohésif. Leurs allégeances n’étaient pas tournées vers une nation sahraouie imaginaire, mais vers leurs clans et leurs liens plus larges avec le Maroc.
La Confédération des Tekna contrôlait les routes commerciales transsahariennes menant à Oued Noun et à la vallée du Drâa, renforçant ainsi leur intégration avec le Maroc. De même, la Confédération des Reguibate, initialement un ordre religieux, s’est ensuite développée en un groupe guerrier, s’engageant dans des conflits pour les droits de pâturage avec d’autres tribus sahariennes.
Ces dynamiques confirment que les structures sociales et politiques du Sahara occidental ont toujours été fragmentées tribalement et profondément liées au Maroc. L’idée d’un « peuple sahraoui » comme une identité nationale distincte est donc une construction coloniale moderne plutôt qu’une réalité historique.
Pourquoi la gauche radicale espagnole ferme-t-elle les yeux sur le Maroc ?
Pourquoi la gauche radicale espagnole adopte-t-elle si naïvement une fabrication de l’ère franquiste—une construction initialement conçue pour bloquer la décolonisation du Sahara occidental ? La raison principale est qu’elle est aveugle aux droits du peuple marocain et à ses aspirations en matière d’intégrité territoriale. Leur position ne découle pas d’un engagement sincère envers l’exactitude historique ou le droit international, mais d’une ignorance profondément enracinée, quoique délibérée, du récit marocain de libération anticoloniale. Alors qu’ils soutiennent la révolution algérienne et les ambitions chimériques du Polisario au Sahara, ils n’ont jamais manifesté d’intérêt pour les luttes de libération des Marocains.
La libération marocaine et le soutien sélectif de la gauche radicale espagnole
Pour la gauche radicale , les luttes des Marocains ne peuvent être légitimes que lorsqu’elles sont anti-régime et ciblent spécifiquement le système monarchique. Ce n’est que lorsque les Marocains apprennent à se distancer du Makhzen qu’ils deviennent dignes du soutien des mouvements de gauche radicale en Espagne. Ainsi, au nom d’une rhétorique alimentée par l’Algérie contre le Makhzen, ils préfèrent fermer les yeux sur les droits historiques du peuple marocain et sur son intégrité territoriale.
Une adoption aveugle du récit algérien
L’une des principales idées fausses qui sous-tendent leur position est leur acceptation sans réserve du récit algérien, qui rejette les revendications territoriales du Maroc comme étant un simple « expansionnisme du Makhzen » plutôt qu’une aspiration légitime et historiquement fondée du peuple marocain. Cette perspective efface l’agentivité marocaine, car elle ignore la voix même du peuple marocain et encadre la question uniquement à travers le prisme du pouvoir étatique. Selon cette vision, seul ce que fait ou dit le Makhzen (l’appareil d’État marocain) est jugé pertinent, tandis que les dimensions historiques et populaires de la revendication marocaine sur le Sahara occidental sont écartées. Cette cécité sélective révèle non seulement un parti pris politique, mais aussi un désintérêt fondamental pour ce que les Marocains veulent réellement ou ce pourquoi ils luttent.
Une Contradiction dans l’Interprétation du Droit International par la Gauche Radicale
La gauche radicale espagnole prétend souvent défendre le droit international, pourtant sa position sur le Sahara occidental contredit les principes mêmes qu’elle affirme soutenir. La Résolution 1514 (XV) de l’ONU sur l’Octroi de l’indépendance aux pays et peuples colonisés stipule clairement que l’autodétermination ne doit pas se faire au détriment de l’intégrité territoriale des nations. Cela signifie que si l’autonomie et la décolonisation sont reconnues comme des processus légitimes, elles ne doivent pas être manipulées pour fragmenter artificiellement des États souverains. Pourtant, dans le cas du Maroc, elle ferme les yeux sur ce principe.
L'hypocrisie d'adopter une construction coloniale de l'époque franquiste
Si la gauche radicale espagnole était réellement engagée en faveur de la décolonisation, elle reconnaîtrait que le Sahara occidental était historiquement lié au Maroc bien avant la colonisation espagnole et que les tribus de la région entretenaient des liens politiques, sociaux et économiques de longue date avec le sultanat marocain. Au lieu de cela, elle continue de propager une construction coloniale qui a été, ironiquement, développée par l’État franquiste lui-même – le même système qu'elle prétend dénoncer. Il s’agit d’une ironie historique que de voir ces militants défendre aujourd’hui une fabrication géopolitique de l’ère franquiste tout en affirmant s’opposer à l’expansionnisme colonial.
Un calcul géopolitique plutôt qu’une position de principe
En fin de compte, la position de la gauche radicale espagnole sur le Sahara occidental ne repose ni sur une défense de principe du droit international ni sur une volonté sincère de décolonisation, mais plutôt sur un calcul géopolitique visant à contrer l’influence marocaine. Leur lecture sélective de l’histoire et du droit, leur adhésion aveugle à la propagande algérienne et leur perpétuation du mythe colonial franquiste révèlent les contradictions profondes de leur position. S’ils étaient cohérents avec leurs principes, ils reconnaîtraient que le véritable vestige colonial au Sahara occidental n’est pas la revendication marocaine, mais bien la manipulation historique de l’identité sahraouie par l’Espagne franquiste pour justifier une domination coloniale prolongée.