Rhétorique migratoire
Dans cet ouvrage, l'auteur considère que les attitudes que nous, Européens, entretenons à l'égard des mouvements migratoires vers notre continent peuvent être résumées en deux points de vue opposés : une perspective bienveillante à l'égard du phénomène migratoire (que Simone appelle "l'Europe coupable"), et une autre attitude plus hostile à l'égard de ceux qui migrent vers l'Europe (qu'il appelle "la grande substitution").
Selon la première attitude, la grande migration serait la réponse tardive mais inévitable aux siècles d'exploitation, d'arrogance et de cruauté que l'Occident a infligés à la planète entière, en particulier aux régions d'où proviennent les flux migratoires, sous la forme du colonialisme, de l'esclavage et de l'exploitation des ressources naturelles.
Puisque, de ce point de vue, l'Europe a contribué à l'appauvrissement d'une grande partie de la planète, elle aurait désormais le devoir de l'atténuer et de réparer les dommages causés en facilitant l'immigration. En résumé, dans la perspective de l'Europe coupable, la grande migration est un événement "historiquement inévitable, éthiquement juste et économiquement commode" pour l'Occident, qui paie le prix de siècles d'extermination et d'exploitation.
Dans la perspective opposée, la grande migration est l'instrument principal d'un projet (dont on ne sait s'il est délibéré ou formé par la somme aléatoire d'actions indépendantes) visant à remplacer progressivement la population européenne par des migrants arrivant en grand nombre sur le continent. Ces migrants profitent de l'État-providence européen tout en conservant leurs propres modes de vie qui, à certains égards, sont incompatibles avec les fondements idéologiques de l'État-providence occidental lui-même. En bref, selon l'attitude du "grand remplacement", l'Europe ne fait que s'autodétruire en accueillant des migrants sans limite.
Chacune de ces deux attitudes a développé une "rhétorique" correspondante. Dans le contexte de son livre, Simone entend par rhétorique des récits, en partie vrais et en partie faux, qui proviennent de différentes sources et dont le but est de justifier le point de vue choisi. La rhétorique utilise des mécanismes typiques, par exemple : créer des associations paradoxales entre les causes et les effets, qui provoquent la surprise, ou établir des analogies entre des événements apparemment liés mais substantiellement différents.
Ces mécanismes produisent souvent des visions qui ne coïncident pas entièrement avec la réalité, mais qui sont crédibles pour nous en raison de la part de vérité qu'elles contiennent. En outre, les rhétoriques contiennent une forte composante émotionnelle et un attrait médiatique, qui les aident à se répandre parmi les citoyens et à se consolider en tant que convictions diffuses.
Simone développe dans son ouvrage les rhétoriques, entendues dans ce sens précis, qui caractérisent l'attitude de "l'Europe coupable" : "[les Européens] ont ce qu'ils méritent", "l'Europe sera sauvée par l'immigration" ; "[les migrants] sont un petit pourcentage" ; "nous sommes tous des migrants, nous sommes tous des métis" ; ou encore "à l'ère de la mondialisation, il n'y a pas de frontières".
Pour notre part, nous pouvons ajouter la rhétorique qui façonne les discours sous-tendant la perspective du "grand remplacement" : "les migrants prennent nos emplois" ; "les migrants profitent de notre État-providence sans y contribuer" ; "les migrants apportent l'insécurité et l'augmentation de la criminalité dans nos sociétés" ; et, en fin de compte, "les migrants sont à l'origine du terrorisme".
Il est relativement facile de voir comment ces récits, qui simplifient et parfois banalisent les questions migratoires, tissent les discours sur la migration qui occupent l'espace public. Un exemple de chacune des deux attitudes : lors du débat qui l'a opposé au président J. Biden le 27 juin, D. Trump a déployé pratiquement toute la rhétorique du "grand remplacement" : il a accusé Biden d'avoir créé des emplois uniquement "pour les immigrés illégaux" ("les immigrés prennent nos emplois") ; il a affirmé que la sécurité sociale et Medicare sont au bord de l'effondrement parce que les immigrés les "détruisent" ("les immigrés profitent de notre État-providence sans y contribuer") ; ou a affirmé que "les migrants assassinent et violent nos femmes" ou que "des terroristes du monde entier" entrent par la frontière sud des États-Unis ("les immigrants apportent l'insécurité et l'augmentation de la criminalité dans nos sociétés" ; "les immigrants sont à l'origine du terrorisme").
Les rhétoriques opposées, qui sous-tendent l'attitude de "l'Europe coupable", sont également très fréquentes : la Biennale de Venise 2024, actuellement en cours, a pour slogan "Stranieri Ovunque" ("Des étrangers partout"), encadré par la rhétorique "nous sommes tous des migrants, nous sommes tous des métis" ; la rhétorique liant la mondialisation à l'assouplissement/la suppression des frontières est présente dans des essais tels que "Frontières ouvertes. La science et l'éthique de l'immigration" (2019) ; des titres tels que “Investir dans les migrants, c'est investir dans notre société du futur” ou “L'immigration est bénéfique pour tous si elle est gérée correctement” sont conformes à l'idée que “l'Europe sera sauvée par l'immigration”, etc.
En résumé, l'essai du professeur Simone tente de fournir, à notre avis, une vision équidistante des processus migratoires, en présentant les arguments pour et contre de manière nuancée ; d'autre part, il les contextualise de manière appropriée dans le scénario européen actuel et, enfin, il tente de systématiser les discours stéréotypés qui sous-tendent les attitudes à l'égard de l'immigration.
Luis Guerra est titulaire d'un doctorat en philologie et est chercheur en communication et migration.