Justice et communication

S'il est parfaitement nécessaire et fortement exigé que les juges puissent exercer le droit et rendre la justice dans la plus grande indépendance et impartialité, encore faut-il que les délais soient raisonnables, que les décisions soient compréhensibles, que la justice soit accessible à tous et qu'elle soit à l'écoute de tous et, en premier lieu, des victimes. Bref, la justice doit être communicative et constituer un véritable service public qui veille à l'application de la loi et au respect des droits de chacun.

Pour que tout cela ait lieu, pour que les citoyens aient accès à un service public de la justice, les magistrats, dans l'exercice de leur pouvoir juridictionnel indépendant, devront mobiliser des ressources humaines, financières et logistiques, mettre en place un appareil administratif, établir une organisation pour le fonctionnement des juridictions, C'est dire que la justice ne peut être réduite à l'indépendance du juge et le bon jugement à son impartialité, sous peine de ne pas saisir la complexité de l'action judiciaire, ce qui signifie qu'il ne suffit pas d'avoir jugé en toute indépendance pour avoir bien jugé, d'où l'enjeu considérable de l'administration judiciaire dans les processus de réforme de la justice, que ce soit au Maroc ou à l'échelle internationale.

L'administration de la justice doit veiller à ce que la justice soit plus proche des citoyens, plus efficace et plus accessible, c'est-à-dire qu'un système judiciaire bien administré est un système qui veille à informer et à communiquer de manière à contribuer à la cohésion sociale et au développement du pays.

Ces dernières années, dans de nombreux pays, la communication a occupé une place importante dans les outils de réforme de l'administration publique, y compris des administrations judiciaires, et est devenue une dimension stratégique de la gouvernance publique, dans la mesure où les départements ministériels, les institutions nationales, les administrations publiques et même les tribunaux, utilisent largement la communication externe comme outil pour soutenir et renforcer leurs décisions et leurs actions.

La reconnaissance du rôle fondamental que la communication peut jouer dans la gouvernance des services publics s'est traduite dans différentes expériences internationales par une série de réformes visant à moderniser le secteur public et à promouvoir la communication en tant que partie inhérente de l'action publique et essentielle pour la démocratie et la participation des citoyens.

Au Maroc, l'adoption de la nouvelle constitution en 2011 a permis des avancées décisives en matière de gouvernance publique, représentant non seulement une véritable accélération du processus de modernisation des institutions déjà engagé, mais aussi un tournant dans la transformation progressive du mode de gouvernance publique, en termes de transparence, de redevabilité et d'ouverture aux citoyens.

Les textes législatifs et réglementaires qui ont été adoptés dans ce cadre ont véritablement comblé le vide juridique en matière de communication dans la gouvernance des services publics, ont établi les procédures de réception, de suivi et de traitement des commentaires, plaintes et propositions des usagers, ont garanti aux citoyens le droit d'accès à l'information, ont prévu la simplification et la numérisation des procédures administratives, Le processus de réforme a donc permis de réglementer, de promouvoir et de consolider la communication de l'administration publique en tant qu'outil pertinent pour la gouvernance des services publics, mais aussi en tant que droit fondamental des utilisateurs.

Il convient également de noter dans ce contexte que le système de gouvernance publique au Maroc est aujourd'hui, et plus que jamais, confronté à la nécessité de fournir ses services à des populations de plus en plus exigeantes et mieux informées de leurs droits et obligations qu'auparavant. Il est donc essentiel à cet égard que les organismes publics, et plus particulièrement les organismes administratifs, se soient préoccupés, depuis une décennie surtout, de la communication en tant que composante intégrée du service offert à la société, sans oublier que le processus de démocratisation au Maroc, ainsi que l'élargissement de la marge des droits et des libertés, ont facilité l'émergence d'un espace public qui a permis une plus grande écoute des demandes sociales et a poussé les institutions étatiques à réaliser des projets de communication pour améliorer leurs relations avec les citoyens.

Qu'en est-il du service public de la justice ? Il semble tout à fait légitime de se demander dans quelle mesure l'administration judiciaire a pu développer des pratiques de communication qui s'inscrivent dans une logique de gouvernance du service public et se fondent sur le devoir de l'administration judiciaire d'informer les usagers et les citoyens sur les services auxquels ils ont droit.

A l'instar des grandes réformes des systèmes judiciaires entreprises dans de nombreux pays, qui se sont appuyées sur les principes de la bonne gouvernance dans le but de rendre la gouvernance du service public de la justice plus ouverte, transparente et participative, le système judiciaire marocain, suite à la constitution de 2011, et en application des hautes instructions royales, est entré dans une nouvelle phase marquée par de nouveaux principes et choix qui sont venus jeter les bases d'une transformation structurelle remarquable de son fonctionnement, je citerai deux textes de loi :

Dans le cadre des nouvelles dispositions de la constitution marocaine de 2011, promouvant le droit d'accès à l'information comme l'un des droits constitutionnels, la loi 31-13 a permis aux citoyens d'accéder aux informations détenues par certaines personnes morales de droit public telles que la Chambre des représentants, la Chambre des conseillers, les administrations publiques et les juridictions, c'est ainsi que la loi relative au droit d'accès à l'information, en termes de transparence et de bonne gouvernance a inscrit les juridictions au cœur des organes chargés d'une mission de service public.

Outre la loi sur l'accès à l'information, il y a également la loi sur l'organisation judiciaire qui, selon l'article 36, prévoit la manière dont l'institution judiciaire s'acquitte de son devoir d'information, en désignant l'huissier de justice comme le porte-parole officiel de la juridiction auquel les journalistes doivent nécessairement s'adresser pour accéder à l'information demandée. Elle prévoit également que les juridictions peuvent, le cas échéant, communiquer directement avec les médias afin d'éclairer l'opinion publique, de sorte qu'au-delà de la recherche de la satisfaction du droit à l'information des usagers du service public de la justice, l'enjeu serait d'utiliser les médias comme un moyen d'expression et d'information permettant à chacun d'être informé, mais aussi de se forger une opinion.

La même loi établit dans son article 25 que les tribunaux adoptent une gestion numérique des procédures judiciaires, conformément aux programmes de numérisation de l'administration judiciaire élaborés et mis en œuvre par l'autorité gouvernementale chargée de la justice, en étroite coordination avec le Conseil supérieur de la magistrature et la Présidence du ministère public.

En ce sens, les TIC jouent actuellement un rôle influent dans la communication de l'administration judiciaire, leur utilisation offrant aux usagers et aux justiciables des moyens efficaces d'accès à l'information, tout en fournissant aux avocats et aux magistrats de nouveaux outils de travail pour traiter les dossiers. A l'instar d'autres expériences au niveau international, la transformation numérique des modalités d'accès à l'information au Maroc offre aujourd'hui aux professionnels de la justice, ainsi qu'à l'ensemble des citoyens, plusieurs avantages, dont la possibilité de consulter des documents juridiques accessibles sur Internet.

Sans aucune exagération, je peux affirmer qu'au Maroc, parmi les institutions les plus engagées dans les processus d'inscription de la fonction communicationnelle comme mécanisme de bonne gouvernance, l'institution judiciaire s'est distinguée par une ouverture communicationnelle remarquable ces dernières années, malgré la spécificité de sa gouvernance, qui repose sur un système administratif géré conjointement par les deux pouvoirs exécutif et judiciaire, et qui semble conduire cette institution régalienne à une complexité de pratiques communicationnelles qui sont loin d'être stables et homogènes.

Force est de constater qu'aujourd'hui, et depuis la réforme du système judiciaire encadrée par les principes de la nouvelle constitution, la communication relative à la gouvernance du service public de la justice bénéficie d'une reconnaissance claire de la part des acteurs concernés, reconnaissance qui se traduit par la construction de nouvelles pratiques d'information et de communication, qui méritent d'être étudiées et valorisées.

Pour l'institution judiciaire au Maroc, la communication publique est essentiellement une communication d'information et un outil de gouvernance du service public de la justice ; elle consiste à mettre à la disposition des citoyens et des usagers les informations produites ou reçues, quel qu'en soit le support, par l'administration judiciaire.

Il s'agit généralement des informations nécessaires pour faciliter l'accès à la justice, ainsi que l'évaluation de son fonctionnement, et concerne les règles et procédures judiciaires, les données statistiques sur l'activité des juridictions, ainsi que les informations sur la gestion des ressources humaines et financières du service public de la justice.

L'analyse des textes fondateurs de la réforme de la justice, ainsi que des recherches de terrain sur les perceptions des principaux acteurs du système judiciaire, nous ont montré comment les pratiques communicationnelles de l'administration judiciaire représentent dans leur complexité l'expression de la capacité de cette véritable institution à intégrer les TIC, à s'ouvrir à la société et à se faire comprendre de ses usagers.

L'instabilité de ces pratiques communicationnelles, actuellement assumées comme des activités embryonnaires de production et de reproduction du champ de la communication publique de l'institution judiciaire, inscrit cette communication dans un processus de transformation, qui aura besoin de temps pour évoluer dans un écosystème en constante mutation et fortement marqué par une série de projets visant à renforcer la communication numérique et à moderniser davantage le système judiciaire marocain.