Les relations entre le Maroc et l’Espagne après la crise ou le besoin de renouvellement de doctrine

Marruecos España

‘La paresse chemine si lentement que la pauvreté la rattrape’. B. Franklin

Il parait que nous, ceux qui aiment l’Espagne, sommes condamnés, tant que les relations entre les deux pays continuent à être régies par une doctrine désuète et méfiante, à ressembler à celui que le poète soudanais Ibrahim Jammaa décrit dans un de ses poèmes exquis :

Ma chance est comme cette farine sur des épines fut parsemée
Et à des pieds nus, dans un jour de vent, dirent de ramasser

Il est certain que le dernier épisode de la crise que vit notre pays avec deux pays de l’UE (l’Espagne en particulier) est attribué au changement géopolitique résultant d’une succession d’initiatives et de nouveautés qui eurent lieu au Maroc ; entre autres :

-La politique des grands ports qui lui permit de recouvrir sa dimension méditerranéenne.
-Son retour naturel et très réussi à l’Union Africaine.
-Sa pénétration économique dans bon nombre de pays africains.
-La démarcation de ses frontières maritimes.
-Les importantes ressources du mont Tropic.
-La fermeture des passages frontaliers à Sebta et Melilia.
-La reconnaissance des Etats Unis de la souveraineté sur le Sahara. 

Par conséquent, la crise actuelle avec notre voisin du Nord indique que la peur de l’inconnu l’emporte sur l’élan, que le traitement des variables d’aujourd’hui et de demain avec les constantes du passé est une démarche vétuste, et que le logiciel actuel est devenu obsolète. Bref, qu’il est temps d’adopter une nouvelle approche capable d’adapter les intérêts des deux pays avec les nouvelles donnes géopolitiques et géostratégiques. 
 

Les intéressés par les affaires maroco-espagnoles savent que la position de l’Espagne aux niveaux politique, militaire et ‘sociétale’ vis à vis le Maroc (le Sahara entre autres sujets) s’articule autour de quatre visions :

  • -La première se nourrit des testaments d’Isabelle la catholique qui estiment que la persécution des ‘moros’ au-delà des mers et leur harcèlement systématique est la seule garantie de la sécurité de l’Espagne. Telle vision fut revisitée par Antonio Cánovas del Castillo, le président du Parti Conservateur et du gouvernement espagnol entre 1895 y 1897. Un des fervents disciples de cette école est l’ex président Aznar.
  • -La deuxième considère que le projet d’autonomie élargie proposé par le Maroc est un bon stimulant pour sa démocratisation et le renforcement des relations entre les deux pays, mais à condition de maintenir le rapport de forces à faveur de l’Espagne et que le voisin du Sud renonce à ses revendications relatives à Sebta et Melilia. Les origines de cette conceptualisation remontent à Angel Ganivet, auteur de l’Idearium español, et une des têtes visibles de la génération du 98 qui se pencha sur la revitalisation des racines culturelles de l’Espagne suite à la perte de ses dernières colonies. Entre les personnalités qui défendent cette thèse on trouve José Luis Margallo, le ministre des affaires étrangères du gouvernement de Mariano Rajoy, qui insista dans ces dernières sorties médiatiques sur le besoin de renouveler la position de l’Espagne sur le Sahara en estimant que, comme disait Keynes, ‘il faut changer d’opinion quand les circonstances changent’.
  • -La troisième ne trouve aucun problème en reconnaitre la souveraineté du Maroc sur le Sahara mais envisage laisser le sujet des deux enclaves en ‘stand by’ jusqu’à ce que les conditions atteignent le degré de maturité suffisant qui permettrait de les intégrer dans un ‘deal’ incluant le retour de Gibraltar à la couronne espagnole. Moratinos et Zapatero se trouvent parmi ceux qui prêchent pour cette solution et ce dernier l’a réitéré la semaine dernière dans une de ces interviews. Cette vision est également partagée par un bon nombre de militaires. Tous considèrent qu’un voisin fort et lié à l’Espagne ne peut lui être que bénéfique.
  • -Et une quatrième qui croit en l’auto-détermination et ne se prive d’utiliser les trois registres pour y aboutir, à savoir la logique de l’Etat profond (les services d’intelligence), la logique normative (diplomatie et économie) et la logique des ONG qui nous rappelle parfois le travail subreptice des missionnaires. Il est utile de rappeler que l’ONU, qui parlait également de référendum, ne le fait plus depuis 2003.
     

Ceci dit, l’oscillation des relations maroco-espagnoles entre tintamarre et quiétude se doit donc à des raisons internes motivées par la querelle de ces quatre représentations, auxquelles s’ajoutent des raisons externes liées aux intérêts des grandes puissances au Maroc qui voient avec suspicion la montée en puissance de l’Espagne au Maroc au point de devenir son premier partenaire économique. 

Cette dernière situation est le corollaire du changement qui eut lieu au niveau de la doctrine espagnole vis-à-vis du Maroc qui est passée de ‘s’intéresser à sa stabilité politique mais pas à son développement économique’ à une nouvelle doctrine basée sur l’instauration d’un ‘matelas d’intérêts économiques’ avec le voisin du Sud.

Il s’agit d’une évolution significative qui permit de créer un climat de confiance mutuel encourageant les entreprises espagnoles à investir au Maroc. Et c’est cette dynamique, qui se compte en faveur des dirigeants des deux pays, qu’il faudrait renforcer et développer conformément aux nouveaux enjeux. 

Pour cela, il faudrait passer à une troisième vitesse qui requiert d’abord de trancher avec l’esprit qui se cache derrière cette phrase schizophrène qui prétend pouvoir ‘nager sans tremper ces habits’. Le Sahara, simplement et sévèrement, est une affaire de vie ou de mort pour le Maroc, doit comprendre l’Espagne ! Travailler dans ce sens depuis l’UE, cadre qui régit désormais les relations entre les deux pays, lui permettrait de soulager les pressions liées à sa spécificité interne.

Il est de droit de l’Etat espagnol de veiller sur ces intérêts avec l’Algérie mais sans porter préjudice à ces avantages avec le Maroc.L’Espagne n’a nul besoin de s’engager dans des voies qui ternissent son image et remettent en question la crédibilité de son système judiciaire et la séparation des pouvoirs. De telles démarches pousseraient l’offusqué à relever le gant et riposter. Ceux qui connaissent les rouages de l’affaire du Sahara savent qu’il s’agit d’une boîte de pandore ouverte à toutes les surprises.

Si l’objectif est d’apporter une solution aux générations qui naquirent et grandirent dans les campements sans cap ni horizon, on est loin, très loin du bon chemin. Et pour des raisons historiques, nos amis espagnols sont appelés à former partie de la solution au lieu de continuer à former partie du problème.

La vraie patrie est le temps qui limite notre existence et pas la terre qui est éternelle, et ‘l’action politique est comme le scalpel du chirurgien, elle ne laisse pas le temps à l’incertitude’, dixit F. Mitterand.

Je ne voudrais pas que l’amour que l’on professe à l’Espagne se mue en frustration et haine. Je ne voudrais non plus que l’image des marocains chez nos voisins revienne à l’époque de l’inquisition et aux préjugés liés aux soldats rifains que Franco (ou l’haj Abdeslam comme il les a fait croire) a enrôlés dans une guerre idéologique et fratricide privant les terres du Rif et Jebala de ses braves hommes.
 

Pour cela, et après le retour inévitable à la sérénité, il faut entreprendre des actions susceptibles d’asseoir de nouvelles relations entre les deux pays, en l’occurrence :

  • -Avancer dans l’affaire du Sahara conformément à la nouvelle configuration géopolitique tout en alliant les intérêts des deux pays avec ceux des sahraouis qui sévissent dans les campements.
  • -Renforcer la présence linguistique de l’Espagne au Maroc qui s’amenuise de plus en plus même si le Maroc accueille le plus grand nombre d’instituts Cervantes dans le monde.
  • -Créer conjointement une véritable plateforme médiatique qui puisse participer dans le changement des stéréotypes et mettre en exergue les aspects culturels et économiques qui nous unissent. 
  • -Réévaluer sérieusement le rôle des diplômés marocains des universités espagnoles et l’ajuster aux investissements de l’Espagne au Maroc. 
  • -Quant au sujet de Sebta et Melilia, je considère de toute revendication territoriale, indistinctement de son degré de légitimité, devrait se baser sur le bénéfice équitable des deux parties du conflit des ressources du territoire en question, assurer son développement humain, reconnaitre la dimension géographique ainsi que les droits culturels. Les frontières existent d’abord dans les pensées et celles des deux enclaves, bien qu’elles offrirent des milliers de postes de travail aux marocains pendant de longues décennies, démantelèrent son tissu industriel et supposèrent un appel de sirène malsain à des dizaines de milliers de personnes à venir s’installer dans les villes limitrophes pour se dédier à la contrebande.

Après, il y a une autre donnée que je chuchote à l’oreille de nos amis espagnols ainsi que de certains de mes concitoyens : Vous dites que la pauvreté est la principale raison qui pousse les gens à vouloir sortir du pays. Oui, mais, ne s’agit-il pas là du paradoxe de l’œuf et de la poule ? En d’autres termes : Que serait-il passé si le Maroc aurait investi en développement ces milliards de dollars qui furent alloués durant un demi-siècle aux dépenses militaires au Sahara ? Qu’en serait-il de la situation de ces gens-là si la contrebande via Sebta et Melilia n’aurait pas condamné des milliers d’entreprises marocaines à la faillite et au licenciement de leurs travailleurs ?

Et in fine, de quelles frontières parle-t-on quand ces dernières ne cessent de s’effondrer sous la pression accablante des nouvelles structures de la mondialisation sur l’Etat-nation dans son acception traditionnelle basée sur les frontières ?
J’ai commencé cet article avec une citation qui dit que ‘la paresse chemine si lentement que la pauvreté la rattrape’. Il est possible que l’image renvoyée soit celle qui décrit mieux les derniers événements qui eurent lieu à Sebta. 

‘La bêtise vient de la paresse’ disait Jacques Brel.

Pour y remédier, l’UE doit sortir de la situation de paresse articulatoire de sa politique extérieure vis-à-vis le Maroc et procéder par distinction non par approximation par rapport aux dossiers du Sahara et Sebta et Melilia.
 

Au lieu d’attiser le feu, elle doit ex-ante intercéder et calmer les esprits ; et surtout, se rendre compte que seule la création d’un espace d’interdépendance et complémentarité économiques dans les zones limitrophes de ces dernières pourrait apporter une solution à ce conflit. Telle est la démarche à entreprendre pour les faire concevoir sous l’angle des géographes et non celui des spécialistes en droit international.

Quant au conflit de Sahara, elle est sensée comprendre que c’est dans le projet d’autonomie élargie et la coopération avec les USA pour construire une véritable plateforme économique dans la zone où résident les solutions aux problèmes de travail, de l’émigration et de la sécurité.

Continuer ad vitam aeternam à ‘se reposer de ne rien faire’, comme disait Cocteau, veut dire plus d’instabilité, moins de sécurité et prospérité, bref offrir la zone sur un plateau d’argent au chaos et au danger djihadiste qui a entamé sa marche vers le Nord. Inutile de rappeler les liens entre le front Polisario et des mouvements terroristes d’Afrique et de Moyen Orient.
 

Et celui qui n’anticipe pas est condamné, tôt ou tard, à être visité par l’ignorance et la misère.

Pour terminer, je pense qu’il n’est pas important que l’on soit d’accord ou pas sur les allégations de l’Espagne relatives à la réception de Ghali ou celles du Maroc pour expliquer ce qui s’est passé à Sebta. Ce qui l’est vraiment c’est de savoir a fortiori que l’erreur engendre l’erreur et que notre rôle, comme intellectuels, est de trouver la vérité au milieu de l’erreur.

‘Ne pas se corriger après une erreur est la vraie erreur’. Ainsi parla Confucius !

Mohamed Nouri, président de l'association Alcántara Maroc-Espagne, chercheur à l’Institut de la Paix et la Gestion des Conflits. Université de Grenade