Le Gouvernement perd son interlocuteur avec la communauté musulmane

Riay Tatary Bakry

La mort par COVID-19 du président de la Commission islamique d'Espagne (CIE), Riay Tatary Bakry, laisse le Gouvernement espagnol sans aucun interlocuteur devant les deux millions de musulmans en Espagne. Tatary, médecin d'origine syrienne, représentait pour l'administration un islam modéré, dialogique et pragmatique. 

La Commission islamique d'Espagne, située au sommet de la pyramide des organisations représentant les adeptes de cette croyance religieuse, est depuis des années une organisation mutuelle chargée de distribuer les biens et avantages accordés par le Gouvernement espagnol pour répondre aux besoins socio-économiques de ses membres, tout en agissant comme un mur de soutènement contre les courants les plus exigeants de l'Islam, radicaux ou non, auxquels adhèrent la grande majorité des musulmans vivant en Espagne. 

Selon les statistiques traitées par l'Administration espagnole, la grande majorité des musulmans vivant en Espagne sont d'origine marocaine, beaucoup ont la nationalité espagnole et d'autres sont seulement résidents. Au sein de cette majorité de croyants, il existe deux courants principaux : les partisans du Parti de la justice et du développement (PJD) qui gouverne au Maroc et le Mouvement de justice et de charité (Ahl ual Ihsan), qui est toléré au Maroc et bénéficie d'un soutien massif de la part des militants et des fidèles. La Fédération espagnole des entités religieuses islamiques (FEERI), dirigée par Mounir Benjelloun, qui les représente, a été à la tête de la Commission islamique d'Espagne pendant un certain temps, avec l'UCIDE de Riay Tatary, jusqu'à ce que le gouvernement intervienne pour marginaliser les représentants marocains, mal à l'aise pour Madrid en raison de leur attitude critique envers la monarchie marocaine, et indomptables. 

L'attitude de l'exécutif espagnol, qui privilégie les partisans de Tatary au détriment de ceux de Benjelloun, n'a cependant pas été bien vue par les services antiterroristes espagnols, puisque l'imam de la mosquée de Madrid, Riay Tatary, était soupçonné de liens avec les cellules d'Al-Qaida, alors que la position des islamistes marocains de Justice et Charité était clairement une condamnation du terrorisme.

Dans certains milieux du renseignement espagnol, on estime que la meilleure formule pour l'avenir de la Commission islamique d'Espagne est de revenir à la coprésidence entre ses deux organisations subsidiaires : le FEERI de Benjelloun et l'UCIDE, héritier de Tatary. 

Car la question actuelle est : quel sera le rôle que l'organisation des musulmans espagnols jouera dans l'après-COVID-19 ? Une fois l'état d'urgence sanitaire passé, les questions en suspens seront repensées : l'avenir des immigrés sans papiers, dont une grande partie sont musulmans ; les mineurs sans papiers ; la participation socioprofessionnelle des musulmans à la reconstruction après la crise, et le rôle des organisations religieuses dans les changements nécessaires qui seront introduits dans la législation et dans la Constitution qui sera reformulée après la crise. Si le Gouvernement choisit de poursuivre la marginalisation des Marocains de la Justice et de la Charité, qui sont majoritaires en Catalogne et dans le Levant espagnol, seuls les partisans de l’indépendance en bénéficieront. Il est intéressant de noter que les musulmans d'Espagne, un peu moins de 5% de la population, peuvent être un facteur de cohésion de la nation, et non une source de divergence.