Dérive pro-iranienne du président tunisien

El presidente de Túnez, Kais Saied - AFP/KARIM JAAFAR
Le président tunisien Kais Saied - AFP/KARIM JAAFAR
A peine a-t-il assisté aux funérailles du président Ebrahim Raisi à Téhéran et est-il rentré en Tunisie que Kais Saied procède à un remaniement ministériel aussi inattendu que surprenant. Le chef de l'Etat tunisien, qui détient tous les pouvoirs depuis 2021, n'a changé que deux ministres, mais avec une ampleur suffisante pour alimenter les soupçons de durcissement du régime. 

Le communiqué officiel indique que Khaled Nouri sera à la tête du ministère de l'Intérieur, secondé par un secrétariat d'État nouvellement créé, spécifiquement en charge de la sécurité nationale, un poste qui sera occupé par Sofiene Sadok. Nouri et Sadok sont considérés comme des « faucons » dans les milieux universitaires et les organisations de défense des droits de l'homme, plus encore que le précédent ministre de l'intérieur, Kamel Feki, considéré comme l'un des hommes les plus proches du président Saied. 

Les craintes d'un fort durcissement du régime ont été alimentées par la vague d'arrestations des deux dernières semaines, qui a touché des défenseurs des droits de l'homme, des avocats et des journalistes bien connus. Vendredi, coïncidant avec le retour du président de Téhéran, plusieurs milliers de manifestants avaient défié les forces de l'ordre pour dénoncer le retour à « un État policier », allusion à la dictature de 23 ans de Zine El-Abidine Ben Ali, renversé en 2011 par le mouvement populaire à l'origine de ce qu'on appelle le printemps arabe.  

Kais Saied, qui a longuement rencontré personnellement le guide suprême Ali Khamenei à Téhéran, semble avoir reçu l'aval du régime iranien, d'autant plus que le président tunisien a rejeté catégoriquement les « ingérences étrangères inacceptables » de la France, des États-Unis et de l'Union européenne, exprimant leur profonde inquiétude face à l'augmentation massive des arrestations et des violations des droits de l'homme. 

Lors de ses contacts avec d'autres présidents, premiers ministres et ministres des affaires étrangères pendant son séjour en Iran, le chef d'État tunisien a eu l'occasion de réitérer son idéologie anti-impérialiste et sa ferme opposition à ce qu'il appelle les « diktats étrangers ». Il renforce ainsi son hostilité croissante à l'égard de son ancienne métropole française et de l'Union européenne, qui n'ont pas fourni les fonds suffisants pour éviter la quasi-faillite dans laquelle se trouve actuellement la Tunisie. 

À cet égard, il convient de rappeler la quête incessante de Saied pour obtenir des fonds. Fréderic Bobin écrit dans Le Monde, où il rappelle que Saied avait refusé de signer un accord avec le Fonds monétaire international (FMI) pour un prêt de 1,8 milliard d'euros parce qu'il n'acceptait pas les conditions exigées. Le président a alors demandé une aide financière à l'Arabie saoudite, mais l'homme fort du royaume saoudien, Mohammed bin Salman, a exigé qu'il accepte le prêt du FMI comme condition préalable. Après ce nouveau revers, Saied a frappé à la porte du Qatar, qui a exigé qu'avant de lui donner l'argent, il trouve un compromis avec le parti islamiste Ennahda, que Saied a persécuté en emprisonnant ses principaux dirigeants, dont son chef historique, Rachid Ghannouchi. Enfin, après avoir essayé avec les Emirats Arabes Unis, il se heurte cette fois au veto de l'Algérie, très irritée par l'approfondissement des relations émirati-marocaines, renforcées par la signature des Accords d'Abraham avec Israël. 

En conséquence, Kais Saied semble avoir trouvé compréhension et soutien auprès des ayatollahs iraniens, qui l'ont incité à renforcer son autoritarisme en formant une alliance avec l'Algérie, clairement anti-occidentale et également opposée au Maroc. Cette esquisse géopolitique aurait commencé à se dessiner précisément au début du mois de mars à Alger, à l'occasion du sommet des pays exportateurs de gaz, auquel Kais Saied aurait participé en tant qu'invité d'honneur. Il s'y est entretenu à plusieurs reprises avec Ebrahim Raisi, le président iranien aujourd'hui décédé. Avec lui et d'autres dirigeants de puissances gazières, Kais Saied aurait évoqué « la volonté commune de se défaire du colonialisme pour que les peuples libérés puissent exercer leur pleine souveraineté sur leurs ressources naturelles ».  

Si cette dérive se confirme, comme tout porte à le croire, la situation en Afrique du Nord devrait se réchauffer considérablement.