Deux guerres qui fracturent l'Europe
Pour la première fois depuis deux ans, la guerre en Ukraine n'a pas été à l'ordre du jour du dernier Conseil européen. C'est une autre guerre, celle qui oppose Israël au Hamas, qui a occupé l'essentiel des préoccupations des chefs d'État et de gouvernement des Vingt-sept, qui n'ont pas réussi à faire l'unanimité sur ces deux défis majeurs, dont l'issue finale aura manifestement apporté un nouvel ordre, ou du moins une partie significative de celui-ci.
Alors que le noyau dur du cabinet de guerre - le Premier ministre Netanyahou et ses ministres Galant et Gantz - affichait en Israël une unité sans faille, à Bruxelles les divergences et les nuances ont abondé. Israël mène la guerre de toute l'humanité", a déclaré Netanyahu sans ambages, ajoutant que "si Israël ne la gagne pas, nos alliés sauront bientôt qu'ils seront les prochains [à tomber]".
Les dirigeants de l'UE n'ont pu qu'accepter d'appeler à la mise en place de corridors humanitaires à Gaza et d'appeler à des "pauses pour les besoins humanitaires", une formule de consensus minimum accompagnée de la volonté d'organiser rapidement une "conférence de paix internationale".
Cependant, il ne semble pas que l'UE ait aujourd'hui la force et l'influence nécessaires pour assurer la réalisation immédiate de ces deux objectifs. Le gouvernement israélien affirme qu'il "mène sa deuxième guerre d'indépendance" tout en soulignant que les appels à la pause ou à la trêve, "inspirés d'une manière ou d'une autre par le Hamas, ne cherchent pas de solutions humanitaires mais à alléger la pression de la guerre sur eux-mêmes".
Avec leurs bombardements sélectifs de cibles en Syrie et en Irak, les États-Unis sont également entrés directement dans cette guerre, dans laquelle tous les acteurs s'efforcent de ne pas dépasser les limites étroites de Gaza. La réalité dément cette affirmation. Les attaques de colons juifs contre des agriculteurs palestiniens en Cisjordanie, ainsi que les opérations militaires juives contre des membres présumés du Hamas, également en Cisjordanie occupée, indiquent que la guerre s'est désormais étendue à tous les territoires palestiniens. Si les attaques du Hezbollah contre le territoire israélien se poursuivent, le Liban risque d'être une cible privilégiée pour les Israéliens, car la force de maintien de la paix de l'ONU ne semble pas en mesure de les empêcher.
D'autre part, les cibles bombardées par les Etats-Unis en Syrie et en Irak étaient destinées à étouffer dans l'œuf les attentats prétendument planifiés par des organisations islamiques soutenues et financées par l'Iran, ce qui redessine, qu'on le veuille ou non, l'antagonisme entre l'Occident et le monde arabe qui était censé s'estomper. Ce dernier est d'ailleurs à nouveau impliqué dans son ensemble par la propagande renouvelée du Hamas et du Djihad islamique, qui appelle à son alignement inconditionnel sur le peuple palestinien, en prétendant, dans le cas du Hamas, en être l'unique représentant.
Dans cet échiquier compliqué et infernal, il y a également eu une coïncidence importante à Moscou : celle d'une délégation du Hamas avec le vice-ministre iranien des Affaires étrangères, Ali Bagheri Kani. Le Kremlin s'est empressé de nier qu'ils aient été reçus par le président Vladimir Poutine en personne, mais il ne faut pas être très perspicace pour en déduire que les officiels russes qui les ont accueillis leur ont simplement montré les premiers flocons de neige tombant sur la capitale russe.
Pour en revenir au Conseil européen, ses membres ont pu voir et entendre le président ukrainien Volodymir Zelenski sur vidéo à Bruxelles, qui a une fois de plus appelé à ne pas relâcher l'attention et l'aide accordées à son pays lésé. Outre la Hongrie hargneuse de Viktor Orban, la Slovaquie de Robert Fico a déjà rejeté cet appel. La Russie espère insister sur l'approfondissement des fractures qui deviennent déjà plus évidentes au sein de l'UE. À cette fin, elle n'hésitera pas à pousser sa propagande anti-occidentale dans le monde musulman et le nouveau Sud global.
Face à de tels défis, l'UE n'a d'autre choix que de se constituer elle aussi en cabinet de guerre, c'est-à-dire de définir clairement les objectifs à atteindre, dont le premier reste que l'Ukraine ne perde pas la guerre face à l'envahisseur russe, d'éliminer ou du moins de mettre de côté les désaccords, de définir immédiatement et sans cérémonie une politique commune face à l'immigration déjà en cours et qui ne manquera pas de se multiplier à moyen terme, et de se préparer à faire face à la déstabilisation qui touchera encore plus toute la bande sahélienne. En d'autres termes, arrêtons le métalangage et appelons un chat un chat. Par exemple, l'Europe n'est pas et ne vit pas dans une oasis de paix. Elle est confrontée à deux guerres, même si pour l'instant elles ne touchent qu'apparemment et tangentiellement son territoire.