France : plus près de la vérité sur le génocide au Rwanda

Atalayar_Presidente Emmanuel Macron

L'actuel président français, Emmanuel Macron, a crevé un nouvel abcès en recevant les conclusions du rapport qu'il avait commandé il y a deux ans sur le rôle joué par son pays dans le plus grand génocide du XXe siècle en Afrique. "La France, le Rwanda et le génocide des Tutsis (1990-1994)" est le titre d'un dossier de 1200 pages réalisé par une équipe d'historiens dirigée par Vincent Duclert, l'un des meilleurs spécialistes mondiaux des crimes contre l'humanité.

Comme il l'a fait avec l'épineux dossier de la colonisation française et de la guerre d'indépendance algérienne, Macron a rouvert des plaies qui étaient loin d'être refermées. Il est évident que les protagonistes et les témoins directs des événements ont leur propre mémoire et qu'il ne sera pas facile de les faire passer dans le camp opposé. Ce sont les années et les nouvelles générations qui pourront parvenir à la réconciliation, à condition que la flamme du ressentiment et de la haine historique ne s'allume pas également entre elles.

Vingt-sept ans se sont écoulés depuis le 6 avril 1994, lorsque deux missiles sol-air ont abattu l'avion dans lequel le président rwandais, le hutu Huvénal Habyarimana, et le président burundais, Cyprien Ntayamira, s'apprêtaient à atterrir à l'aéroport de Kigali, causant la mort des deux dirigeants.

Immédiatement, la majorité hutue du Rwanda (85% de la population) a déclenché un massacre massif de la minorité tutsie (15%), dans lequel sont également tombés les Hutus modérés qui tentaient de les protéger. Entre 800 000 et un million de personnes ont été massacrées, la plupart à la machette, en à peine cent jours, au cours desquels se sont concentrées toutes les horreurs imaginables. Outre les milices hutues les plus extrémistes, y compris les soldats de l'armée régulière, de nombreux paysans ont pris des machettes, non pas pour leur travail agricole mais pour assassiner hommes, femmes et enfants dans une énorme orgie de sang.

Les Nations unies ont estimé que plus de 250 000 femmes ont été violées, dont beaucoup avant d'être tuées. Celles qui ont survécu et mené leur grossesse à terme donneront naissance à 300 000 enfants qui sont aujourd'hui le symbole vivant de cette tragédie, qui durera jusqu'à la mi-juillet 1994.

Responsabilité, pas complicité

Le rapport exclut explicitement que la France ait été complice du massacre, mais souligne le fait que le Rwanda d'Habyarimana était protégé par la France alors gouvernée par le socialiste François Mitterrand. En 1990-1993, Mitterrand avait accédé à toutes les demandes du président rwandais pour former et armer la police et l'armée, composées presque exclusivement de Hutus. En réalité, ces armes et ces enseignements servaient à Habyarimana pour construire les milices qui allaient diriger et mener à bien le génocide.

Ces faits, ainsi que les multiples avertissements adressés au palais de l'Élysée par les commandants militaires et civils français stationnés dans la région, selon lesquels un massacre de grande ampleur se préparait, sont ce qui amène les historiens à conclure que la France, et plus particulièrement le cabinet présidentiel de l'Élysée, est confrontée à "un ensemble de responsabilités sévères et écrasantes".

Le rapport note également "la réaction tardive au lancement de l'opération Turquoise qui, si elle a permis de sauver de nombreuses vies, n'a pas empêché l'extermination de la majorité des Tutsis rwandais dans les premières semaines [du génocide]". L'ancien chef de la Mission militaire de coopération (MMC) à Kigali, le général Jean Varret, a déclaré au Monde cette semaine qu'il était "soulagé qu'après 26 ans de débats stériles, la lumière commence à être faite sur le conflit".

Varret a vécu toutes ces années le terrible cauchemar d'avoir dû taire ce qu'il avait vu et su face à la politique de l'Elysée qui voulait faire prévaloir cette tragédie dans le cadre d'une guerre civile ethnique.  Ce n'est pas un hasard s'il a été démis de ses fonctions après s'être désolidarisé publiquement de cette théorie, imposée par le cercle des collaborateurs du président Mitterrand, et notamment par le très puissant secrétaire général de l'Elysée, Hubert Vedrine.

Contrairement aux présidents Nicolas Sarkozy, qui a parlé d'une simple "erreur politique", et François Hollande, qui a promis puis échoué à ouvrir les archives rwandaises, Emmanuel Macron veut reconstruire les relations avec Kigali, qui ont été gravement endommagées depuis lors. Cependant, tout le monde en Afrique n'accepte pas les conclusions de la Commission Duclert. Tout d'abord, parce qu'il était composé exclusivement d'historiens français, sans donner la parole aux voix rwandaises. Beaucoup d'entre eux pensent que la France a aveuglément donné la priorité à Habyarimana parce qu'il garantissait un Rwanda francophone et francophile, au sein de la "Françafrique", par opposition à une minorité tutsie plus encline à se tourner vers les influences anglo-saxonnes. Pas moins d'un million de Tutsis rwandais, alors réfugiés en Ouganda, au Burundi et au Congo, étaient prêts à retourner dans leur pays, le Rwanda, avec la bénédiction des États-Unis et du Royaume-Uni.

Cette lutte d'influence détermine sûrement la sacro-sainte raison d'état qui a conduit Hubert Vedrine à déclarer qu'il a "toujours fait ce qui était juste" et qu'il "mènerait à nouveau la même politique".