Les grâces du satrape

Le président de facto du Venezuela, Nicolás Maduro, a accordé sa grâce à 26 députés de l'Assemblée nationale (AN), qui ont été persécutés, dont beaucoup en exil et condamnés dans plusieurs affaires par les tribunaux bolivariens, c'est-à-dire par des juges nommés et instruits directement par Maduro. Le satrape (une personne qui gouverne de manière despotique et arbitraire et qui affiche son pouvoir) a déclaré qu'il avait accordé sa grâce dans l'intérêt de la concorde nationale et pour faciliter les élections législatives prévues le 6 décembre prochain.
L'autre président du pays, le président d´AN, Juan Guaidó, et à ce titre mandaté par la majorité des députés de la Présidence de la Nation, décrit cette manœuvre comme une utilisation grossière des otages, sur le modèle de la porte tournante cubaine : libérer quelques prisonniers politiques pour les emprisonner ou en emprisonner d'autres dès la moindre protestation qui déplaît au régime. Le régime, tant de la propre bouche de Maduro que de celle de son ministre de la défense et homme fort, Vladimir Padrino, ne se lasse pas de répéter que l'opposition ne gouvernera jamais le Venezuela. Pour Juan Guaidó et Leopoldo López, ce réfugié de l'ambassade d'Espagne, il y a de nombreuses raisons de ne pas se présenter aux élections qu'ils jugent préalablement truquées et frauduleuses.
Les avertissements de Maduro et Padrino semblent avoir été entendus par au moins quelques-uns des soixante pays qui ont reconnu Guaidó comme un président légitime. Certains voisins d'Amérique latine ont même envisagé d'activer le TIAR (Traité interaméricain d'assistance réciproque), c'est-à-dire une intervention militaire, mais aujourd'hui, à l'instar de la diplomatie de l'Union européenne, ils sont plus enclins à prôner un dialogue entre le gouvernement bolivarien et l'opposition, même s'ils savent que cela conduit à la prolongation indéfinie du régime. La persécution policière et judiciaire des membres du parlement et des candidats potentiels non toxicomanes, ainsi que la mise hors la loi de leurs forces politiques, semblent donc convaincre une grande partie de la communauté internationale que le régime de Chavista est pour l'instant inébranlable.
Selon la définition donnée par le penseur italien Norberto Bobbio, pleinement reprise par des hommes politiques tels que Felipe González, le Venezuela n'est même plus une dictature, mais une tyrannie : un régime de pouvoir absolu dont le tyran fait un usage excessif. Son fondement est la soumission complète du peuple, non pas à l'État mais au gouvernement, la doctrine du devoir, le parti devant la Constitution, la prédominance des approches émotionnelles sur les approches rationnelles, l'utilisation du populisme dans l'établissement de mesures politiques qui ne cherchent pas le bien-être ou le progrès du pays, mais plutôt l'acceptation des électeurs quelles qu'en soient les conséquences.
Mais, malgré tout cela, et sous la pression de l'escalade drastique des sanctions par les États-Unis, Nicolas Maduro tente de donner aux prochaines élections un semblant de démocratie, en essayant avec ces manœuvres et d'autres de fracturer l'opposition. Il accomplit déjà quelque chose parce que le leadership de Juan Guaidó est déjà remis en question, tant par ceux qui supposent qu'il n'y a pas d'autre recours que de faire un pacte, comme dans le cas de l'ancien candidat présidentiel Henrique Capriles, que par ceux qui accusent la stratégie de préconiser un gouvernement d'urgence national de Guaidó et Leopoldo López, comme dans le cas de l'ancienne députée et leader du parti Vente Venezuela, María Corina Machado, d'avoir tort et d'être molle.
Le régime a déjà donné à Capriles son premier atout, en reconnaissant que ses efforts ont réussi à transformer la prison en résidence surveillée du député Juan Requesens, que Maduro a gardé dans les sistres cachots de l'hélicoïde pendant plus de deux ans, sans procès, bien sûr. Quant à María Corina Machado, l'ancienne députée combative estime que Guaidó a manqué l'occasion de construire un cadre juridique qui faciliterait une intervention militaire internationale, seule façon, selon elle, de parvenir à l'expulsion de l' « usurpateur » Nicolás Maduro.
La réquisition lancée par Machado dénonce le fait que certains opposants et leurs partis respectifs se sont laissés infiltrer et même acheter par le régime. Il fait référence à certains cas de corruption qui ont terni l'image d'une opposition solide au régime bolivarien. Ces affaires seront évidemment utilisées par la machine de propagande de Chavista pour briser la confiance de l'électorat qui, lors des élections précédentes, a infligé une lourde défaite au régime, que celui-ci a boycotté par toutes sortes de moyens et d'astuces, tant légaux qu'illégaux.