Macron liquide les anciens partis gouvernementaux
C'était déjà un terme obsolète, mais en France, le vieil antagonisme politique gauche-droite vient d'être définitivement enterré. Emmanuel Macron, vainqueur du premier tour des élections présidentielles, a le mérite d'avoir enterré ce vieux cliché, qui a été si utile par le passé pour diviser et polariser les sociétés sous l'opposition colorée entre rouge et bleu.
A cette occasion, la représentation de la gauche traditionnelle par le Parti socialiste était incarnée par Anne Hidalgo, toujours la maire de Paris. Son maigre 1,74% des voix la place parmi les partis marginaux, loin des 5% nécessaires pour récupérer les coûts de la campagne électorale dans les caisses de l'État, ce qui, en termes de comptabilité scrupuleuse, équivaut à décréter la faillite du PS également. Entre François Mitterrand et François Hollande, le Parti socialiste a gouverné la France pendant 19 ans sur les 64 années d'application de la Constitution de 1958.
Quant à la vieille droite, qui a fait sa mue et changé de nom pour se présenter à ces élections sous le nom de Républicains, elle n'a même pas réussi à franchir la barre des 5%. Valérie Pécresse, leur candidate et présidente de la région la plus riche du pays, Paris-Isle de France, s'est retrouvée avec 4,79%, ce qui les privera également de fonds publics pour couvrir les dépenses de campagne. Excluant Charles De Gaulle, le fondateur de la Cinquième République, et son premier successeur, Georges Pompidou, l'actuelle droite modérée ou le centre-droit se revendique comme l'héritier des présidents Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy. En outre, comme dans le cas du PS, ils sont désormais définitivement passés à l'histoire.
Ces deux formations ont monopolisé le pouvoir depuis 64 ans que la Constitution actuelle est en vigueur, à l'exception du centriste Valéry Giscard d'Estaing (1974-1981) et d'Emmanuel Macron lui-même (2017-2022), dont il veut faire de sa formation d'origine, La République en Marche (LRM), "un grand mouvement politique d'unité et d'action", comme il l'a lui-même déclaré dans son premier discours après les résultats de ce premier tour des élections. Ainsi, en plus de balayer les socialistes et les conservateurs, Macron a également relégué les communistes - Fabien Rousell, représentant du PCF, est arrivé à 2,31% - et même l'environnement politique aux oubliettes de l'histoire, puisque Yannick Jodot, avec son taux de 4,58%, n'a pas non plus franchi le seuil des 5%, qui lui donne droit au remboursement des dépenses électorales.
Ainsi, pour le second et dernier tour du 24 avril, Macron incarnera un réformisme solidement ancré dans un européisme compatible avec la souveraineté nationale. En face de lui, il sera à nouveau confronté à Marine Le Pen, dirigeante du Rassemblement national (RN), deux leaders et partis ultra-nationalistes désormais très sceptiques à l'égard du processus d'intégration européenne. Il s'agit toutefois d'une modération substantielle par rapport à la position traditionnelle de Le Pen, qui prônait dans sa campagne il y a cinq ans la sortie de la France de l'euro et par conséquent l'implosion de l'Union européenne elle-même.
Le Pen ne renonce pas pour autant au "recouvrement de la souveraineté nationale", fondé sur la nécessité de répondre à la situation "préoccupante" de millions de Français qui ont franchi le seuil de pauvreté. Elle prône donc le non-respect des règles budgétaires européennes, " briser la tyrannie bureaucratique de Bruxelles ", pour que la France puisse ensuite augmenter " massivement " et par décret le salaire minimum ; multiplier les subventions " pour augmenter le pouvoir d'achat " et rejeter les législations européennes qui entravent l'exercice de la souveraineté nationale. En bref, malgré le prétendu adoucissement de son langage, Le Pen continue sur une ligne d'insubordination, qui n'est pas très différente de ce que Boris Johnson a matérialisé avec le Brexit, ou des exigences de la Pologne et de la Hongrie de ne pas respecter l'ensemble de l'acquis européen.
Au cours de ces deux nouvelles semaines de campagne, Le Pen va continuer à tenter de séduire les désenchantés. La classe ouvrière est pratiquement la sienne, car elle en a assez que ni le PC ni le PS n'aient empêché la fermeture des usines et des secteurs dans lesquels ils ont travaillé pendant au moins deux générations. Elle aura beaucoup de mal à convaincre les nouvelles générations, celles qui ont déjà déversé la bile de leur mécontentement au premier tour et qui devront maintenant peser ce qui est le mieux pour leur avenir.
Malgré le tableau sombre que ses adversaires présentent de la France, Macron a réussi au cours de son mandat à réduire les chiffres du chômage, a entamé la réindustrialisation d'un pays qui, comme le reste de l'Europe, avait cru innocemment au bien-fondé de mettre des secteurs stratégiques, comme l'énergie, entre les mains de la Russie ou de la Chine, et a promu le leadership pour que l'Union européenne ne soit pas un simple acolyte dans la bataille géostratégique décisive qui s'annonce. La France souffre moins que ses voisins européens du fléau de l'inflation, qui menace de devenir incontrôlable. Mais il devra se montrer très persuasif pour remettre sur les rails les réformes qu'il a également promises et qui ont été interrompues : porter l'âge de la retraite à 65 ans, baisser les impôts, réformer une fois pour toutes le coûteux système national de retraite et augmenter les dépenses publiques dans les industries stratégiques. Il devra également s'attaquer à l'énorme dette publique, qui s'élève à 2 800 milliards d'euros, soit 112,5 % du PIB, et réduire la multitude de subventions qui pèsent sur le budget national.
Bien que les propriétaires des votes soient chacun des 48 millions d'électeurs français, les dix candidats éliminés au premier tour ont déjà incité leurs partisans à voter pour ou contre l'un ou l'autre finaliste. Macron bénéficie déjà du soutien mitigé des socialistes, des communistes, des écologistes, des conservateurs et même du populiste d'ultra-gauche Jean-Luc Mélenchon, le seul des perdants à avoir obtenu plus de 20 % des voix.
Marine Le Pen pourra compter sur son collègue ultra-nationaliste Éric Zemmour (7,05% des voix) et sur le souverainiste Dupont-Aignan (2,07%). A priori et sauf cataclysme tellurique, Macron gagnera et aura un autre quinquennat pour finir ce qu'il a laissé à moitié terminé. Savoir s'il améliorera le résultat qu'il a obtenu contre la même Le Pen en 2017, 66,1% contre 33,9% pour celle qui était alors leader du toujours Front national, est une question statistique.